27 février 2020: En démocratie, le tirage au sort est-il une alternative légitime à l’élection ?
Le thème
En démocratie, la principale source de légitimité est l’élection. La chose est évidente pour les organes délibérants, comme les parlements et les assemblées régionales ou locales. Que les modes d’élection puissent fortement varier et, dans certains cas, être indirects, n’y change rien. Le cas des organes exécutifs est plus complexe : si certains d’entre eux sont élus par le corps électoral ou le parlement, d’autres, après leur nomination par une personne ayant ce pouvoir formel, tirent leur légitimité d’un vote de confiance, voire simplement de l’absence d’un vote de défiance du parlement. Techniquement, il n’y a pas élection, mais la légitimation par la confiance du parlement a néanmoins son fondement démocratique dans l’élection de ce dernier.
Le régime de l’élection s’étend – dans de nombreux pays, mais pas tous – aux juges. Tel est le cas notamment aux Etats-Unis et en Suisse.
Or, on a vu apparaître récemment, en France comme en Suisse, un regain d’intérêt pour le tirage au sort comme alternative à l’élection.
En France, la Convention citoyenne sur le climat, voulue par le Président Macron, réunit 150 citoyens tirés au sort. Ils ont pour mandat de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Le Président de la République s’est engagé à ce que les propositions législatives et réglementaires issues de la Convention soient soumises « sans filtre » soit à référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe.
En Suisse, une initiative populaire fédérale a abouti, qui demande que les juges du Tribunal fédéral soient désignés par tirage au sort, parmi les personnes admises à ce tirage en fonction de critères objectifs d’aptitude professionnelle et personnelle établis par une commission indépendante.
La disputatio proposée par le CETEL ne porte pas sur les avantages politiques ou pratiques du tirage au sort, mais sur sa légitimité en tant qu’alternative à l’élection dans un régime démocratique. Elle implique donc de se poser la question de la nature de la légitimation démocratique et des conditions que doivent remplir les modes de désignation des organes étatiques pour produire cette légitimation.
La méthode
Produit de la scolastique médiévale, imposée par le règlement de l’université de Bologne au XIe siècle, la dispute (disputatio) repose sur un raisonnement dialectique. Elle n’est pas rhétorique en ce sens qu’elle ne vise pas à persuader, ne comportant pas d’éléments censés insufler du pathos. Structurée autour d’un problème formulé sous une forme interrogative (quaestio disputata), la dispute laisse tout d’abord la place à la discussion de deux thèses antagonistes (pro et contra) initiée par le premier intervenant qui répond à la question (respondens), suivi par le second qui s’oppose en apportant des arguments contraires (opponens). Après un second tour où chaque partie objecte aux arguments de l’adversaire, la question est tranchée par le maître (magister) dans une détermination magistrale dont l’originalité consiste moins à déclarer la victoire de l’un des concurrents que d’opérer une réconciliation des diverses positions à l’aide de la raison, susceptible le cas échéant de déboucher sur une interrogation ou une vérité simplement probable.
Les intervenants
Respondens :
Nenad Stojanović, professeur de sciences politiques à l’Université de Genève, membre du comité d’initiative sur la justice (désignation des juges fédéraux par tirage au sort)
Opponens :
Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille, membre de l’Institut Universitaire de France
Magister :
Thierry Tanquerel, professeur honoraire de droit public à l’Université de Genève, ancien directeur du CETEL
Organisation :
Alexandre Flückiger, professeur de droit public à l’Université de Genève, membre du comité directeur du CETEL
27 février 2020Archives 2020