Une protéine pour renforcer l’action du thymus
Au Département de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE), une recherche met en exergue le rôle de catalyseur que joue la protéine CYR61 dans le thymus, le siège du développement des cellules immunitaires. Les expériences mettant cette protéine à contribution ont mené à l’augmentation sensible de la production de ces cellules, les lymphocytes T. Les résultats de ces travaux font l’objet d’un article dans la dernière édition de la revue Nature Communications.
Le thymus est un organe étrange, à la fois discrètement logé au bas de la gorge et dont la forme boursouflée est caractéristique d’un plat qui fait le plaisir des gourmets: le ris de veau. De son rôle, Beat Imhof, professeur au Département de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’UNIGE dit dans un sourire qu’il correspond à «l’école des cellules immunitaires». Une rude école, puisque c’est dans le thymus que les lymphocytes T sont formés à tuer les pathogènes.
Une protéine qui dope la prolifération cellulaire
Au laboratoire du professeur Imhof, le chercheur Yalin Emre a repéré que la protéine CYR61, connue dans la littérature scientifique pour favoriser la prolifération cellulaire (y compris celle des cellules cancéreuses), est exprimée par les cellules épithéliales du thymus, autrement dit que le thymus produit la protéine CYR61. Quelles sont les relations qu’entretient la protéine avec ses voisins à l’intérieur de l’organe? La recherche de Yalin Emre a mis en évidence ses affinités avec les lymphocytes T et les cellules du stroma thymique, sur lesquels elle se fixe.
Un effet bénéfique sur les cellules thymiques
La recherche s’est poursuivie sur du tissu en culture, puis in vivo avec des souris, attestant des deux rôles de la protéine, qui favorise à la fois la prolifération des cellules épithéliales thymiques et favorise le contact de ces dernières avec les lymphocytes T immatures en développement dans le thymus. Enfin, dans l’idée de mettre à contribution cette capacité de CYR61 dans un contexte sain, les chercheurs ont administré la protéine à des thymus in vitro. Ces organes se sont développés de manière significative. Les cellules de leur stroma ont ainsi proliféré, gonflant le volume des thymus. Le même résultat a été observé in vivo, sur des thymus traités par la protéine et qui avaient été greffés chez des souris dépourvues de thymus. La capacité des organes greffés à recruter des cellules-souches hématopoïétiques a augmenté, et par conséquent la production de lymphocytes T en développement aussi; les quantités de cellules immunitaires en formation ont doublé au regard de celles produites par un thymus non-stimulé. Toutefois ce phénomène s’est-il produit de manière très proportionnée, car, tant au niveau du stroma que des lymphocytes, la capacité individuelle de développement des cellules entrées en contact avec la protéine CYR61 est demeurée identique à celle des cellules présentes dans un thymus naturel.
Des cellules immatures aux lymphocytes T, tueurs experts
Ces observations ouvrent d’intéressantes perspectives de renfort du thymus, qui joue un rôle primordial dans notre immunité. En effet, après leur passage dans cet organe, les cellules-souches hématopoïétiques qui naissent dans notre moelle osseuse sont transformées en lymphocytes T, c’est-à-dire qu’elles sont dotées d’un récepteur ad hoc, qui les fera chacune reconnaître un seul type de molécules qu’elles traqueront. Si, parmi ces molécules, il y en a qui font partie de notre propre organisme -le soi-, le thymus se charge de désactiver les lymphocytes T en développement susceptibles de tuer le soi. En temps de guerre, lors d’une infection, c’est une course contre la montre qui s’engage dans le corps entre la production de nos cellules immunitaires et les agents pathogènes, qui se démultiplient et cherchent à prendre le pilotage de nos cellules pour s’y reproduire à toute allure.
Organe-clé de la lutte contre les infections, le thymus œuvre ainsi en deux étapes, produisant d’abord des quantités faramineuses de cellules dites «immatures», puis déléguant aux cellules de son stroma -soit ses propres cellules constitutives- la charge de ne sélectionner, parmi les immatures, que les cellules aptes à distinguer le non-soi, afin qu’une fois libérées dans le circuit sanguin du corps, elles puissent s’attaquer de manière efficace à chacun des pathogènes qui leur correspond.
Âges, forces et faiblesses du thymus
Mais avec l’âge et dès la fin de la puberté, le thymus décroît puis se ratatine. Il intervient cependant tout au long de la vie d’un être humain, une vie qui a tendance à toujours plus s’allonger dans les pays riches. Avec le vieillissement de la population, les sociétés industrialisées ont donc un intérêt à se pencher sur les moyens d’enrayer les infections, qui s’en prennent aux organismes plus faibles que représentent ceux des malades chroniques ou des personnes âgées. Dans certaines maladies génétiques, les cellules sanguines qui se forment dans la moelle osseuse, les fameuses cellules-souches hématopoïétiques, ne peuvent pas se différencier en lymphocytes T même après leur séjour dans le thymus. Freiner la dégénérescence naturelle du thymus et renforcer cet organe pourraient donc contribuer à pallier certaines carences.
Perspectives thérapeutiques
En culture, la force catalytique de CYR61 a été constatée sur les seules cellules épithéliales du stroma thymique. In vivo, des transplants de lobes de thymus traités par la protéine ont augmenté le volume de l’organe et induit une augmentation notoire des lymphocytes T dans le sang de souris immuno-déficientes. Le thymus ainsi traité et greffé fonctionnait normalement, c’est à dire que ses cellules n’ont pas présenté un développement anarchique. De tels résultats laissent augurer de prometteuses perspectives sur la voie de la recherche thérapeutique pour contrer l’obsolescence du thymus.
Contact:
Beat Imhof, tél.: 022 379 57 47 et
Yalin Emre, tél.:
022 379 57 35