Les risques de troubles alimentaires révélés dès l’enfance
Des chercheurs genevois et américains mettent en lumière le lien entre un poids corporel anormal chez les très jeunes enfants et un risque plus élevé de développer des troubles des conduites alimentaires à l’adolescence.
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Les troubles des conduites alimentaires – anorexie mentale, boulimie ou encore hyperphagie – se déclarent généralement à l’adolescence et laissent bien souvent les jeunes patients et leurs familles démunis. Face à ces troubles, dont la prévalence est en augmentation, la question de la détection précoce s’impose comme essentielle. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en collaboration avec des collègues de l’Université de Caroline du Nord aux États-Unis, apportent un nouvel élément permettant d’identifier, longtemps avant la période critique de l’adolescence, les enfants plus susceptibles que les autres d’être touchés par ces troubles graves. En effet, un poids anormalement haut ou bas dès l’âge de deux ans augmente significativement le risque de troubles alimentaires. Des résultats, à découvrir dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, qui devraient alerter les pédiatres sur ce problème important de santé publique.
Ce que l’on appelle communément les troubles des conduites alimentaires regroupent toutes les pathologies relatives à l’alimentation, dont on se prive en cas d’anorexie mentale, ou dont les jeunes absorbent de très larges quantités très rapidement et sans contrôle en cas de boulimie ou d’excès hyperphagique. Si ces troubles sont d’abord considérés comme des affections psychiatriques, de plus en plus d’études tendent à prouver que de multiples facteurs d’ordre biologique et environnemental sont également à l’œuvre. «Quelle que soit l’origine de ces troubles, il est essentiel d’en renforcer la prévention et la détection précoce, et donc d’identifier des facteurs de risque visible dès le plus jeune âge», prévient Nadia Micali, professeure à la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin-cheffe du service de pédopsychiatrie des HUG qui a dirigé ces travaux.
Signes d’avertissement dès le plus jeune âge ?
Pour ce faire, les chercheurs ont analysé les données de 1’502 participants d’une étude britannique longitudinale de grande ampleur ayant suivi des parents et leurs enfants sur plus de vingt ans: leur poids a été mesuré régulièrement de la naissance à l’âge de 12 ans, puis à 14, 16 et 18 ans. La professeure Micali et son équipe se sont appuyés sur ces données pour déceler d’éventuels causes communes aux troubles alimentaires. «Nos résultats démontrent qu’une différence importante de poids chez de très jeunes enfants marque un risque augmenté de troubles alimentaires», indique la professeure Zeynep Yilmaz, de l’Université de Caroline du Nord, première auteure de cette étude. «Ainsi, un indice de masse corporelle (IMC) bas – d’environ 0.5 point d’IMC par rapport à la moyenne – dès l’âge de 2 ans pour les garçons et de 4 ans pour les filles, constitue un facteur de risque pour le développement de l’anorexie mentale chez les adolescents, tout comme un IMC excessif dès le milieu de l’enfance serait un facteur de risque pour le développement ultérieur d’autres troubles alimentaires tels que la boulimie nerveuse.»
«Jusqu’à présent, nous n’avions que très peu d’indications sur la façon d’identifier les enfants à risque accru de développer des troubles de l’alimentation plus tard à l’adolescence,» explique la professeure Cynthia Bulik, spécialiste des troubles de l’alimentation à l’Université de Caroline du Nord. «L’examen des courbes de croissance de milliers d’enfants sur plus d’une décennie nous a permis d’établir des profils d’alerte précoce signalant les enfants à risque.» Cette découverte doit rendre les pédiatres particulièrement attentifs aux enfants qui tombent en dessous de leur courbe de poids pendant plusieurs années. Il en va de même pour les enfants du décile supérieur – qui sont, eux, à risque accru de développer des troubles boulimiques.
Une dysrégulation métabolique à l’œuvre ?
Bien que les troubles de l’alimentation soient essentiellement de nature psychiatrique, l’étude souligne la nécessité d’examiner également les facteurs de risque métaboliques en plus des composantes psychologiques, socioculturelles et environnementales. «Les différences dans le poids corporel des adolescents qui ont par la suite développé des troubles de l’alimentation ont commencé à apparaître à un très jeune âge, bien trop tôt pour être causées par des pressions sociales pour être mince ou suivre un régime. Une explication plus probable est que les facteurs métaboliques sous-jacents qui sont déterminés par la génétique pourraient prédisposer ces individus à une dysrégulation du poids. Cela s’aligne avec nos autres travaux génétiques qui ont mis en évidence une composante métabolique de l’anorexie nerveuse», analyse la professeure Micali, qui conclut: «Nos résultats soulignent en outre la composition plurifactorielle des troubles de l’alimentation, de même que la nécessité de développer des outils de détection précoce qui pourraient entrer dans les contrôles de routine effectués par les pédiatres de ville. En effet, plus tôt le problème est identifié, mieux il pourra être pris en charge, tant du point de vue familiale qu’individuelle.»