2023

Décoder la "danse" des protéines de signalisation pour stopper l'inflammation

Une équipe de l'EMBL Grenoble et de l'UNIGE met en lumière l'activation moléculaire de la MAP kinase p38α par la protéine MKK6, l'interrupteur final déclenchant la réponse inflammatoire.
 

Simulation de la danse nuptiale des deux kinases mise en évidence par l'équipe de recherche. © Ella Marushchenko/EMBL


L'inflammation est une réaction normale de nos cellules pour lutter contre le stress. Cependant, si elle est trop intense, elle peut entraîner une «tempête» de cytokines et mettre notre vie en danger. On sait qu’une réaction en chaîne de kinases active la réponse inflammatoire. Ces enzymes ont fait l'objet d'études approfondies mais on sait encore peu de choses sur leurs interactions, ce qui rend difficile la mise au point de médicaments efficaces pour les cibler. Une équipe de l'EMBL Grenoble et de l'Université de Genève (UNIGE) a découvert comment la MAP kinase p38α, l'interrupteur final régulant l'inflammation, est activée par sa kinase en amont. Elle révèle que les deux kinases s'engagent dans une "danse" finement chorégraphiée, où MKK6 active p38α. Ces résultats, publiés dans Science, ouvrent de nouvelles voies pour stopper les tempêtes de cytokines en ciblant p38α et pour étudier des processus similaires dans deux autres familles de MAP kinases, impliquées respectivement dans le cancer et la maladie d'Alzheimer.


Les cellules sont régulièrement confrontées à un stress - dû à des facteurs dommageables tels que des agents pathogènes - qui peut altérer le fonctionnement normal d'un organisme. Pour lutter contre ce stress, les cellules ont développé plusieurs mécanismes d'adaptation, dont la réponse inflammatoire. Si l'inflammation est nécessaire, elle peut, en trop grande quantité, altérer le fonctionnement des cellules et des organes. C'est le cas des tempêtes de cytokines - des cascades inflammatoires au cours d'une infection - qui échappent à tout contrôle et peuvent entraîner des maladies graves et même la mort, comme cela a été récemment mis en évidence durant la pandémie de COVID-19.


Grâce à de récents travaux, des chercheurs/euses de l'EMBL Grenoble et du laboratoire du professeur Francesco Luigi Gervasio à l'UNIGE - spécialiste des simulations de dynamique moléculaire - fournissent des informations essentielles sur une protéine appelée p38α, appartenant à la famille des MAP kinases, qui joue le rôle d’"interrupteur" cellulaire dans le déclenchement de la réponse inflammatoire. L'équipe a non seulement obtenu la première structure de p38α activée par une autre protéine kinase régulatrice - MKK6 - mais aussi des informations sans précédent sur la dynamique (la "danse") des deux kinases, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour la mise au point de médicaments destinés à stopper les tempêtes de cytokines.


L'interrupteur final: une cible médicamenteuse

L'inflammation est déclenchée par une série de kinases qui s'activent les unes les autres dans une réaction en chaîne, la dernière kinase de la série étant responsable de l'activation de la transcription des gènes nécessaires à l'inflammation. Ce processus libère des cytokines, des molécules de signalisation pro-inflammatoires, qui, en cas de suractivation, peuvent conduire à des «tempêtes» de cytokines. Cette réaction en chaîne des kinases est bien régulée et s'apparente à un circuit logique: la réponse à l'inflammation nécessite l'activation de boutons spécifiques, qui finissent par activer p38α, point de rencontre de tous les signaux et dernier interrupteur du processus inflammatoire.


Comme la réaction en chaîne des kinases peut provenir de différentes «branches» du circuit logique, ce dernier interrupteur constitue une cible médicamenteuse particulièrement pertinente. La réponse inflammatoire est régulée par p38α et est fortement activée lors d'une tempête de cytokines. En l'inactivant, on pourrait empêcher l'inflammation de se produire, au lieu d'essayer de la traiter alors qu'elle est déjà en cours. Les protéines kinases, dont la p38α, ont donc fait l'objet d'études approfondies. Cependant, d'importantes parties du puzzle sont encore manquantes.


Les médicaments ont principalement ciblé le site de liaison des nucléotides des kinases - un site commun et bien connu, présent dans toutes les kinases - où s'effectue le transfert de phosphate. Ce manque de spécificité des médicaments signifie qu'un médicament conçu pour empêcher une kinase d'émettre des signaux peut également en empêcher d'autres. «Il existe d'innombrables molécules conçues pour cibler la p38α, en particulier son site de liaison aux nucléotides, mais aucune n'a encore dépassé le stade des essais cliniques en raison de ce manque de spécificité», explique Matthew Bowler, chercheur à l'EMBL Grenoble, qui a co-dirigé cette étude avec Erika Pellegrini, ex-doctorante au sein de son laboratoire.


Percer le mécanisme d'activation

En utilisant la cryo-microscopie électronique (cryo-EM) et des techniques complémentaires, telles que la diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS), l'équipe a réussi à obtenir la structure 3D du complexe et à identifier un site d'amarrage inconnu où les deux enzymes interagissent - une information précieuse pour comprendre comment la p38α est activée. «Il pourrait s'agir d'une cible intéressante pour des inhibiteurs qui bloqueraient cette interaction spécifique, et donc le signal déclenchant la réponse inflammatoire», explique Pauline Juyoux, ex-chercheuse à l'EMBL Grenoble et première auteure de l'étude.


Du côté de l’UNIGE, l’équipe du professeur Francesco Luigi Gervasio a dévoilé comment les deux kinases s'unissent après une «danse» dynamique qui commence par une «étreinte» du site KIM et s’achève par la formation d'un dimère face à face. «La beauté de la combinaison des simulations de pointe avec les données SAXS et Cryo-EM par le biais d'approches statistiques avancées réside dans le fait que nous pouvons "voir" la danse nuptiale des deux kinases, tout en sachant que ce que nous voyons dans l'ordinateur est entièrement étayé par toutes les données expérimentales disponibles. Les simulations ont nécessité plusieurs mois de supercalculs généreusement alloués par le Centre national suisse de calcul», explique Francesco Luigi Gervasio.


Ces résultats offrent une nouvelle cible médicamenteuse à explorer et ouvrent la voie à l'étude de processus similaires dans deux autres familles de MAP kinases: les ERK kinases, impliquées dans le cancer, et les JNK kinases, également impliquées dans l'inflammation, en particulier dans la maladie d'Alzheimer.

15 sept. 2023

2023

Nos expert-es

Parler aux spécialistes de toutes disciplines

La photothèque

Découvrir et télécharger les images de l’UNIGE

Les archives

Tous nos communiqués depuis 1996

S'abonner aux communiqués de presse
media(at)unige.ch

Université de Genève

24 rue Général-Dufour

CH-1211 Genève 4

T. +41 22 379 77 96

F. +41 22 379 77 29