Notre état d’attention dépend d’une poignée de neurones
Une équipe de l’UNIGE et de l’ETH Zurich montre comment la région cérébrale appelée locus coeruleus gère le passage d’un état de concentration focale à une conscience globale accrue.
Comment notre cerveau passe-t-il d’une concentration focale à un état d’alerte globale? Une étude menée pas des neuroscientifiques de l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec l’ETH Zurich, montre qu’une région cérébrale appelée locus coeruleus (LC) et le neurotransmetteur noradrénaline agissent comme de véritables chefs d’orchestre pour permettre la réorganisation des fonctions cérébrales selon les besoins de concentration du moment. L’étude, à découvrir dans la revue Nature Neuroscience, démontre que le mode de déclenchement des neurones du LC permet de passer d’un état de concentration à un autre. Cette découverte permet de mieux comprendre les fonctions cérébrales saines et la cognition humaine,
et pourrait influencer les approches visant à optimiser les performances et le bien-être.
Comment les athlètes parviennent-ils et elles à la concentration nécessaire pour performer dans leur discipline? La réponse réside dans la remarquable capacité du cerveau à se focaliser sur une seule tâche en éliminant les distractions. Ce phénomène – que le milieu du sport appelle «être dans la zone» - est non seulement une compétence essentielle pour les athlètes, mais aussi pour toute personne confrontée à une tâche difficile, comme passer un examen ou maîtriser un instrument de musique. Mais, par moments, ces personnes doivent aussi être capables d’être pleinement conscientes de leur environnement, notamment lorsqu’il s’agit de repérer des dangers potentiels.
Une structure minuscule
Les neuroscientifiques de l’UNIGE et de l’ETH ont étudié ce qui permet au cerveau de passer de cette concentration focale intense à une conscience globale accrue. L’équipe de recherche s’est concentrée sur la noradrénaline — un neurotransmetteur connu pour être impliqué dans la régulation de l’attention — libérée par une minuscule région localisée au cœur du cerveau appelée locus coeruleus (LC) et impliquée dans la perception de l’environnement.
«Sa petitesse et sa localisation profonde ont d’emblée constitué un défi. Chez l’humain, elle est très difficile à observer et il est impossible d’agir dessus pour prendre le contrôle de son fonctionnement par des moyens externes. Pour ces raisons, nous nous sommes tournés vers la souris. La LC y est composée d’environ trois mille neurones, mais garde une influence remarquable sur les septante-cinq millions de neurones du cerveau», explique Valerio Zerbi, professeur assistant au Département de psychiatrie et au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE, et initiateur de l’étude.
En utilisant des techniques avancées – telles que l’optogénétique pour manipuler artificiellement les neurones du LC des souris, et la photométrie pour mesurer la libération de noradrénaline – la fonction du LC a pu être explorée, en collaboration avec le laboratoire de Johannes Bohacek, professeur à l’ETH Zurich. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), quant à elle, a permis de fournir les premières preuves empiriques de la manière dont la stimulation du LC affecte l’activité cérébrale dans différentes régions.
Une question de rythme
Les neuroscientifiques ont découvert qu’un déclenchement du LC à raison de trois fois par seconde et à un rythme continu dit «tonique», n’avait pas les mêmes conséquences que si cette même fréquence était délivrée durant une courte période seulement, soit un rythme «en rafale». «Lorsque le LC se déclenche en rafales, plus de noradrénaline est relâchée et les fonctions sensorielles du cerveau sont priorisées. Ce mode cérébral permet aux souris d’être plus alertes à l’environnement qui les entoure à travers leurs sens», explique Valerio Zerbi.
À l’inverse, lorsque le LC se déclenche de manière tonique, moins de noradrénaline est libérée par le LC et des régions cérébrales telles que le cortex préfrontal et l’hippocampe s’activent. Ces deux structures sont connues pour le traitement des informations et les processus de réflexion, donc la concentration intense.
Contrôler son locus coeruleus pour performer
«Le secret des athlètes de haut niveau pourrait bien résider dans leur maîtrise de leur LC, même si un équipement de pointe et un entraînement méticuleux font certainement partie de l’équation. En maîtrisant avec précision l’activité de leur LC, ils et elles peuvent passer d’un état de concentration intense à un état d’attention globale pour réaliser des performances», conclut Valerio Zerbi.
Grâce aux enseignements tirés de cette étude, l’imagerie cérébrale pourrait aider les athlètes à mieux utiliser leur LC pour se concentrer, notamment en faisant appel à des approches de neurofeedback, une technique qui utilise des dispositifs pour surveiller l’activité cérébrale en temps réel et permettre de la réguler en se basant sur un retour d’informations visuelles.