Automne 2020

Géographies d’un monde (dé)confiné

La crise de la Covid-19 a engendré une série de bouleversements dans les rapports que les êtres humains entretiennent à l'espace, et ce à toutes les échelles, de la sphère domestique aux relations internationales. Dès le début de la pandémie, les sciences sociales ont été mobilisées pour aider à mieux comprendre cette situation inédite, complexe et à l'issue encore incertaine. Cette nouvelle session du cycle de conférences "Enjeux sociaux, enjeux spatiaux" explorera la multiplicité et la richesse des analyses produites sur la gestion et la pensée de l'espace face à l’épidémie de Sars-CoV-2. Les intervenant.e.s questionneront les différentes échelles du confinement, la gestion des frontières internationales, le passé et le futur des villes face aux maladies, et les imaginaires spatiaux. Ils/elles montreront également comment la pandémie peut être révélatrice de l’état du monde contemporain et de ses limites.

 
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Jeudi 12h30-14h, automne 2020

Conférences désormais exclusivement en ligne, accessibles à tou.tes (après votre inscription, vous recevrez un e-mail de confirmation contenant les instructions pour rejoindre la réunion)

         

Contact: Estelle.Sohier@unige.ch

Image : © Estelle Sohier
Frontière franco-suisse, route de Bois-Chatton (GE) Mai 2020.

CALENDRIER

Jeudi 17 septembre 2020

Séance de présentation

Jeudi 24 septembre 2020
Bernard Debarbieux
Mesures sanitaires en temps de Covid19 : Mieux nommer pour mieux comprendre

La gestion de la crise sanitaire a suscité, dès l’annonce des premières mesures sanitaires, une étonnante créativité terminologique ; étonnante autant par les choix qui ont été faits que par l’adhésion massive dont elle a été l’objet. La présentation réfléchira à l’adoption de certains des termes, à ce qu’ils révèlent, mais aussi à ce qu’ils cachent.

Bernard Debarbieux est professeur de géographie et d’aménagement du territoire à l’Université de Genève. Il s’est spécialisé dans les théories de la territorialité et de l’imaginaire social de l’espace.

Jeudi 1er octobre 2020
Juliet Fall
Fenced In”: penser l'expérience du confinement en images et en théories

Cette intervention porte sur les approches auto-ethnographique en géographie et leur mise en images pour développer une réflexion sur la recherche comme expérience incarnée, vécue et partagée. Face au vertige du confinement et de la fermeture brutale des frontières de la Suisse, et avec un quotidien bouleversé par la quadruple injonction d’être simultanément chercheuse, enseignante universitaire, mère de famille et ‘home teacher’ de deux enfants, Juliet Fall s’est amusée à tenter l’auto-ethnographie comme méthode de recherche. Le résultat, produit sous forme de bande dessinée, fut publié en été 2020 comme article scientifique dans une revue internationale. Entre risque d’un vertige narcissique et une géographie créative féministe et émancipatrice, quelle place peut-il y avoir en géographie pour l'auto-ethnographie visuelle?

Juliet Fall est professeure en géographie à l’Université de Genève, spécialiste de la géographie politique et des épistémologies féministes et visuelles.

Jeudi 8 octobre 2020
Stéphane Frioux
Assainir la ville : naissance de l’urbanisme et lutte contre les maladies transmissibles dans le monde occidental aux XIXe et XXe siècles

De l’urbanisme « tactique » du déconfinement du printemps 2020 à l’imposition du masque dans l’espace public dans les grandes métropoles françaises quelques semaines plus tard, les villes et leur densité se sont révélées des objets de police sanitaire à l’occasion de la pandémie de Covid-19. Elles l’ont été bien avant, à l’occasion des tentatives de contrôler les épidémies de peste médiévales et modernes, ou les nouveaux fléaux surgis à l’ère industrielle : choléra, fièvre typhoïde, tuberculose. On reviendra sur les façons dont le savoir médical d’une époque donnée a pu infléchir la fabrique de l’environnement urbain, et dont ce dernier a pu être considéré comme un facteur de « risque » pour la diffusion de maladies difficiles à prévenir et encore plus à soigner, à l’époque considérée. Comme la Covid-19 met la prévention et la santé publique sur le devant de la scène, la conférence sera l’occasion de revenir sur l’âge d’or de l’hygiénisme, avant que les progrès du domaine thérapeutique ne le fassent considérer comme archaïque.

Stéphane Frioux est maître de conférences à l’université Lumière-Lyon 2. Ses travaux se situent au croisement de l’histoire de la santé, de l’histoire urbaine et de l’histoire environnementale. Il a publié notamment, en collaboration, Hygiène et santé en Europe de la fin du XVIIIe siècle aux lendemains de la Première Guerre mondiale (2011), et Un air familier. Sociohistoire des pollutions atmosphériques (2015). Sa thèse portant sur l’hygiène urbaine fin XIXe – milieu XXe siècle a été publiée en 2013 aux Presses universitaires de France :  Les batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente glorieuses.

Jeudi 15 octobre 2020
Marc Atallah
Quand le réel devient fictionnel : la science-fiction et l’imaginaire des catastrophes

La crise de la Covid-19, outre ses problématiques sociétales et économiques, s’est également remarquée par sa capacité à mobiliser, inconsciemment, de nombreux imaginaires afin de donner du sens à ce que l’on ne pouvait pas maîtriser : comportements étranges, théories du complot, repli sur soi, anxiété numérique, peur de la traçabilité et autres villes désertes semblent davantage ressortir à un film de science-fiction qu’aux comportements d’individus rationnels. L’enjeu de mon propos sera d’analyser pourquoi l’imaginaire science-fictionnel vient combler les lacunes de nos représentations et quelles fonctions anthropologiques une telle substitution peut avoir dans nos vies.

Marc Atallah est directeur de la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains (musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires), directeur du Numerik Games Festival et maître d’enseignement et de recherche à la Section de français de l’Université de Lausanne. Ses recherches portent principalement sur les littératures conjecturales (utopie, dystopie, voyages imaginaires, science-fiction) et sur les théories littéraires (théories des genres, théories de la fiction). Il est l’auteur de nombreux articles et a écrit ou co-édité plusieurs ouvrages, dont L’Art de la science-fiction (2016), Pop Art, mon Amour. L’art de Tadanori Yokoo et du manga (2016), Je suis ton père ! Origines et héritages d’une saga intergalactique (2017), Le Jeu (2018), Mondes (im)parfaits. Autour des Cités obscures de Schuiten et Peeters (2019), Les Dystopies du numérique (2019) et La Parade monstrueuse (2020).

Jeudi 22 octobre 2020
Dominique Bourg
Anthropocène : phase 2

"Après sept décennies d’altérations du système Terre, je défendrai l’hypothèse selon laquelle nous sommes entrés dans la phase 2 de l’Anthropocène, celle des effets boomerang de notre destructivité. Je rappellerai en quoi l’épisode de la Covid-19 relève de cette phase. J’esquisserai la rigueur et l’ampleur des actions qui nous permettraient de ne pas heurter avec la violence maximale l’iceberg vers lequel nous conduit à toute vapeur notre trajectoire."

Dominique Bourg est un philosophe de la durabilité et de l’environnement, professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Ses domaines de recherche concernent notamment l'éthique du développement durable.Il a publié de nombreux ouvrages, comme La Pensée écologique. Une anthologie, avec Augustin Fragnière (Puf, 2014) ; Dictionnaire de la pensée écologique, avec Alain Papaux (Puf, 2015) ;  Une nouvelle terre. Pour une autre relation au monde (Éditions Desclée de Brouwer, 2018) ; Le marché contre l'humanité (Puf, 2019).

Jeudi 29 octobre 2020 (conférence de 20 minutes, suivie d’une séance de travail avec les étudiant.e.s)
Nicolas Leresche
Géographicité et pandémie

La notion de géographicité a été développée dans les années 1950 par le géographe Eric Dardel comme définition de « la présence immédiate et concrète des individus à la Terre ». Peu usité aujourd’hui, ce concept a cependant marqué la géographie humaniste des décennies suivantes. Pour le mieux, alors qu’il s’agissait de se défaire d’une géographie néo-positiviste et de revaloriser l’importance des affects et de la substance, mais avec souvent le risque d’inscrire la discipline dans un matérialisme de surface d’où les rapports de pouvoir seraient absents. L’autre impasse de l’approche phénoménologique de Dardel réside dans l’angle mort des objets techniques alors même qu’ils participent au premier chef des rapports que nous entretenons avec la réalité géographique. A partir de ce constat, l’objectif de cette présentation sera de revenir sur quelques épisodes qui ont ponctué l’épidémie de Sars-CoV-2 afin de voir si oui ou non le concept de géographicité est toujours une catégorie utile d’analyse. Son intérêt sera alors autant de porter un questionnement géographique sur cet événement que de chercher à consolider le concept de géographicité dans une perspective de type post-phénoménologique.

Nicolas Leresche est chercheur et doctorant au Département de géographie et environnement de l’Université de Genève. Après une première carrière faite de tours d’adresse et d’acrobaties en public, il s’est tourné vers l’anthropologie et la géographie culturelle. Sa thèse porte sur les duplicatas touristiques et la notion d’immersion comme motif culturel et comme modalité socio-technique d’être au monde.

Jeudi 5 novembre 2020
Semaine de lecture


Jeudi 12 novembre 2020
Michel Lussault
Le coronavirus, agence spatiale!

Cette présentation tentera de montrer en quoi on peut considérer que le coronavirus Sars-CoV-2 constitue l’opérateur spatial de l’année 2020. On montrera qu’il a bouleversé les « géopolitiques » à toutes les échelles, de celle, globale, du Monde en situation de crise, à celle des corps des individus confinés. La pandémie constitue un formidable révélateur de l’état du Système-Monde contemporain.  

Michel Lussault est géographe, professeur à l’université de Lyon (Ecole Normale Supérieure de Lyon), membre du laboratoire de recherche Environnement, villes, sociétés (UMR 5600 CNRS/Université de Lyon) et du Labex IMU (Laboratoire d’excellence Intelligence des mondes urbains) de l’Université de Lyon. Dans son travail, il analyse les modalités de l’habitation humaine des espaces terrestres, à toutes les échelles et en se fondant sur l’idée que l’urbain mondialisé anthropocène constitue le nouvel habitat de référence pour chacun.e et pour tou.te.s. Il a créé en 2017 l’Ecole urbaine de l’université de Lyon, qu’il dirige.

Jeudi 19 novembre 2020
Ola Söderström
La smart city pandémique: trois modes d’existence

"Travaillant sur la smart city indienne et sud-africaine, les neuf membres de notre équipe de recherche ont été témoins dès mi-mars, alors que la pandémie Covid-19 se diffusait dans les cinq pays où nous vivons, de l’émergence d’une « smart city pandémique ». Les technologies, les institutions et les personnes que nous observions et avec lesquelles nous travaillions ont en effet été refaçonnées et réorientées ces derniers mois afin de gérer la crise sanitaire. Tirant parti de travaux dans le domaine des ontologies plurielles et des études postcoloniales urbaines, cette conférence analyse l’articulation dans les villes du Sud Global des trois modes d’existence de la smart city – soutenue par l’Etat, par les entreprises privées et par les citoyens – qui ont été à la fois révélés et réorganisés en ces temps pandémiques. En conclusion – et pour ouvrir la discussion – j’interrogerai plus généralement sur cette base un aspect de l’« effet pandémique » : comment la pandémie accélère et légitime des transformations de la société par le numérique."

Ola Söderström est professeur de géographie sociale et culturelle à l’Université de Neuchâtel. Ses travaux récents portent sur la géographie urbaine de la santé mentale et sur les stratégies de développement des villes du Sud Global à l’ère de la mondialisation accélérée.

Jeudi 26 novembre 2020
Julie de Dardel
(Dé-)confinement et prison. Vers une globalisation de la décroissance carcérale ?

Au printemps 2020, alors que les mesures de confinement se généralisent aux quatre coins du globe, les prisons apparaissent d'emblée comme des espaces à haut risque qui inquiètent les gouvernements, en tant que poudrière sanitaire et sécuritaire. La lutte contre la pandémie mondiale vient ainsi ajouter un argument de poids à la longue liste de critiques envers l'institution pénitentiaire formulées par nombre de spécialistes et praticien.ne.s de la justice pénale, qui appellent alors, de part et d'autre de l'Atlantique, à "saisir l'occasion historique" de la crise de la Covid-19 pour repenser la prison et les politiques de répression qui la sous-tendent. Alors que le dernier quart du XXe siècle a été marqué par la mondialisation du "tournant punitif" et de l'hyper-incarcération, assiste-t-on aujourd'hui aux prémices de l'internationalisation d'un modèle de décroissance carcérale, dont les pays scandinaves, qui ont connu une baisse drastique de leur population pénitentiaire, seraient le berceau? Dans cette conférence, nous évoquerons les spécificités de ces politiques dites "réductionnistes", au cœur d'un projet de recherche actuellement en cours d'élaboration.

Julie de Dardel est maître-assistante au Département de géographie et environnement de l'Université de Genève. Elle a consacré l'essentiel de ses recherches aux prisons, à la répression pénale et aux mouvements sociaux et elle est notamment l'autrice des ouvrages Exporter la prison américaine. Le système carcéral colombien à l'ère du tournant punitif (Alphil, 2016) et Révolution sexuelle et Mouvement de libération des femmes à Genève (1970-1977) (Antipodes, 2007).

Jeudi 3 décembre 2020
Rebecca Durollet
Vivre l'expérience du "monde rétrécissant" des personnes grandes vulnérables : réflexions autour du confinement à domicile

Cette conférence vise à faire un parallèle entre une recherche doctorale sur les spatialités des personnes atteintes de troubles cognitifs et la crise sanitaire de 2020. Dans le contexte de la crise de la Covid-19, en Suisse, on a vu monter au front et s’opposer deux camps : celui qui, par souci pour nos aîné.e.s et concitoyen.ne.s les plus vulnérables, exige de mettre l’économie en berne et de confiner l'ensemble de la population, et celui qui, au nom d’un système performant menacé, va jusqu’à proposer de "sacrifier les vieux". La crise de la Covid-19 n'est pas finie, mais on peut déjà en tirer un premier bilan et une série de questionnements. Elle aura eu l’intérêt de rendre visible la solitude de certaines personnes. Elle aura probablement renforcé l’idée que vieillir à domicile, même seul.e, vaut mieux que celle d’attendre la mort dans un établissement, même collectivement. Elle aura aussi permis aux citoyen.e.s de se rendre compte que le chez-soi ne s'arrête pas aux frontières du logement et de la sphère privée. Elle aura peut-être valorisé des formes d’habitat encore marginales, comme les quartiers intergénérationnels. Enfin, elle aura forcé tout le monde, pendant un temps, à « se mettre à la place » de celles et ceux à qui l’on ôte, par notre mode de fonctionnement individualiste, des droits fondamentaux, en particulier l’accès à certains espaces et la liberté de choisir ses pratiques sociales et spatiales.

Rebecca Durollet est assistante-doctorante au Département de géographie et environnement de l'Université de Genève. Elle termine actuellement sa thèse de doctorat intitulée N'oublions pas celles et ceux qui oublient. Les spatialités de la démence dans un contexte de maintien à domicile, sous la direction du Prof. Laurent Matthey.

Jeudi 10 décembre 2020
Sunčana Laketa
Affective Atmospheres of Urban Lockdown

"To regain control of cities under threat, lockdown is likely to become an increasingly viable security measure in the context of urban security issues, be it a terror attack, a natural disaster, or a pandemic. Yet, very little is known about the way lockdown, a security measure that traces its genealogy from prisons, mediates the emotional and affective dynamics of urban life. This talk explores the felt experience of the city in the midst of the lockdown in order to highlight the intimate and the embodied implications of these security strategies. Here, I draw from my ongoing work on the urban lockdown of Brussels during 2015 and 2016 in the aftermath of terror attacks. Before the arrival of the Covid-19 lockdowns, this was an unprecedented spatial interventionin a post-1945 European city. Linking feminist approaches, geographies of affect and urban geopolitics, I address the changed experience of the city under lockdown, the new routines, dealings with fear, and even relived memories of previous violence. Drawing parallels between terror threat and the current Covid-19 crisis, the talk questions how lockdown challenges the meaning of cities – as places of contact, of exchange and openness of urban life. State-led narratives fail to capture the ordinary acts through which social life is organized amid diverse security threats. What can we learn from these acts as the “new normal” is being rapidly assembled in the post-Covid city?"

Sunčana Laketa is a feminist political and urban geographer, working as an SNF Ambizione Fellow at the University of Neuchâtel. In her work she attends to affective and emotional geographies of (post)conflict cities. Her recent publications examine the geopolitical dimensions of affect and emotions, performative subjectivities and landscapes in the “divided” city of Mostar in Bosnia and Herzegovina. Her current research investigates the urban affective atmospheres of security and terror threat in Paris and Brussels.

Jeudi 17 décembre 2020
Frédéric Giraut
La frontière, la Covid-19 et moi: exercice d’autofrontiérisation et de théorisation des (rares) bienfaits de la frontière et de sa (fréquente) instrumentalisation

La gestion de la crise sanitaire de la Covid-19, exercice de biopolitique jamais égalé à l’échelle mondiale, a (re)généré et fétichisé des frontières en tout genre et à toutes les échelles. Particulièrement à l’échelle du corps, du foyer et de l’Etat-Nation, singulièrement peu à l’échelle pertinente des bassins de vie et de leurs réseaux de transport, au sein desquels en revanche la pratique du contrôle des populations et de leurs corps s’est effectuée. Il s’agit de revenir ici, d’une part sur le concept de frontiérité, entendu comme régime différencié de franchissement, et d’autre part sur la question de l’échelle pertinente pour l’instauration des barrières sanitaires. Ceci en critiquant la renaturalisation de la frontière internationale et en questionnant de manière réflexive le concept de frontiérité.

Frédéric Giraut est professeur de géographie politique à l'Université de Genève et frontalier pratiquant.