Expositions de l'UNIGE

Quand la littérature s’empare des identités genrées

L’identité, en tant que telle, désigne le caractère de ce qui demeure identique à soi-même et ouvre sur la singularité d’une expérience propre. Pourtant la notion se décline aussi selon plusieurs aspects qui attestent de l’appartenance de tel individu à un groupe, dans le sens où celui-ci est assigné à ou se reconnaît dans une identité sociale, culturelle, nationale, religieuse ou développée à partir de son sexe, de sa sexualité et de son genre. Dans ce cadre, nous considérons l’identité genrée en tant que processus identitaire qui oscille entre le féminin et le masculin, où plusieurs autres facteurs interviennent comme la sexualité et l’ethnie.
Comment penser cette notion complexe d’identité revendiquée de manière souvent contradictoire à partir de postures politiques et/ou normatives très diverses? En se penchant sur la littérature française du XXe siècle, qui d’autre que Virginie Despentes ou Jean Genet met si bien en perspective les processus identitaires liés aux questions de sexe, de sexualité et de genre et essaie de répondre à cette question?

L’auteure qui n’a pas peur de la masculinité:
Virginie Despentes

À la sortie de Apocalypse bébé, Virginie Despentes explique qu’il est «plus facile d’être écrivain femme en étant lesbienne». Sa posture est claire. Elle écrit d’un champ littéraire hors d’atteinte, hors de la domination masculine, hors de la loi symbolique du Père créateur de l’écriture. Despentes déclare: «Être gouine maintenant, pour moi, c’est une vraie rédemption et cela réconcilie ma virilité et ma féminité.» Sans être pour autant dans le rejet de l’hétérosexualité, ni d’une certaine féminité, elle s’inscrit dans le sillage féministe de Virginia Woolf qui note: «Si une femme écrivait ses sentiments, tels qu’elle les éprouve, aucun homme ne les éditerait» ou dans les pas plus inattendus de Michel de Montaigne pour lequel «les femmes ont raison de se rebeller contre les lois parce que nous les avons faites sans elles». L’œuvre de Despentes heurte, réveille, déconstruit et exhorte les femmes à ne plus avoir peur de la masculinité, qu’elles peuvent se réapproprier comme un programme politique.


Une nouvelle scène pour les identités genrées:
Jean Genet

Du côté de Jean Genet, une phrase clé témoigne de son intérêt pour le genre: «S’il me fallait faire représenter une pièce théâtrale où des femmes auraient un rôle, j’exigerais que ce rôle fût tenu par des adolescents et j’en avertirais le public grâce à une pancarte qui resterait clouée durant toute la représentation.» Genet affranchit la diversité sexuelle et s’inscrit dans une mouvance libertaire qui le garde de toute appartenance communautaire. Genet réinstalle la scène des identités genrées qui, dérobée dans les miroirs, dans les rues de Paris la nuit venue, exhibe son caractère fuyant. Le genre se fait et se défait chez Genet qui ne cesse pas de démontrer que le masculin et le féminin ne sont pas figés. Dans son œuvre, Genet fait justement circuler le genre pour en faire une esthétique à part entière. Notre-Dame-des-Fleurs met en scène un thème qui parcourt tout le roman: le paravent des identités ou le désir d’être autre. L’écrivain invente un personnage phare – Divine – un-e travesti-e prostitué-e qui réalise à lui-elle seul-e l’identité des contraires. Avec Divine, on assiste à l’éclosion d’un personnage clé: la «folle», la «tante» qui descend les Champs-Élysées au petit matin et traîne dans les bars de Montmartre. L’écrivain convoque les notions de travestissement, de parodie des rôles sexués, de théâtralité qui invitent à repenser le genre dans son rapport à la multiplicité.

Repenser les identités

À l’heure de la globalisation qui loue la diversité et le métissage et met pourtant en lumière la peur de l’autre, l’identité est souvent binaire, tantôt sexuelle ou culturelle, tantôt féminine ou masculine, tantôt figée ou mouvante. À l’heure où s’ouvrent et se ferment les frontières, où la laïcité se bat avec l’ultra-religieux, le contexte ne fait jamais l’économie de la violence. L’identité nationale, la xénophobie, l’homophobie, la transphobie, le nationalisme sont autant de stigmatisations des minorités. Dans un climat et un paysage mouvants et de plus en plus radicaux, il convient de réfléchir avec précaution à la notion d’identité et à ses limites. Si la construction de l’identité reste utile, elle recèle également une part d’inquiétude croissante, appelle la métaphore de l’enracinement qui présume plus la fermeture des barrières que l’amour de la Terre. Elle suppose une fidélité à soi, mais aussi, paradoxalement, une trahison de l’autre en soi qui transmue le concept en fardeau ou en contrainte.


AGNÈS VANNOUVONG, chercheuse en études genre et romancière

4 oct. 2018

Savoirs LGBTIQ+