2023

Les inégalités de la décarbonation de l’électricité

Une équipe de l’UNIGE révèle comment un secteur de l’électricité à faible émission de carbone pourrait favoriser ou au contraire désavantager certaines régions d’Europe.
 

Les chercheurs/euses de l'UNIGE ont évalué les conséquences de 248 scénarios de décarbonation sur 296 régions d'Europe. © AdobeStock.
 

Réduction des gaz à effet de serre, nouveaux emplois, opportunités d’investissement: les avantages d’une décarbonation de l’électricité, l’un des secteurs les plus polluants, sont évidents. La transition vers une production électrique moins émettrice risque cependant d’impacter négativement certaines régions (chômage, hausse des coûts de l’énergie) selon leurs vulnérabilités et leurs capacités d’adaptation, alors qu’elle pourrait en favoriser d’autres. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a cartographié précisément les conséquences socio-économiques positives et négatives de la décarbonation de l’électricité pour 296 régions d’Europe d’ici 2050. Elle révèle que les régions du Sud et du Sud-Est du continent pourraient être les plus fragilisées. Ces résultats sont à découvrir dans Nature Communications.


L’électricité consommée en Europe est en grande partie produite par des centrales à énergies fossiles (gaz, charbon) fortement polluantes. À lui seul, le secteur est responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur ce continent. Le décarboner est par conséquent devenu une priorité. C’est aussi une condition préalable à la décarbonation d’autres secteurs - comme le chauffage et les transports - qui passe par l’électrification.


Si les bénéfices d’une telle transition sont évidents (réduction de la pollution de l’air, nouvelles possibilités d’emploi), ce processus pourrait aussi maintenir ou entraîner des inégalités entre régions. Par exemple, une zone abritant une centrale à charbon perdra un grand nombre d’emplois et de recettes fiscales en cas de fermeture de l’installation. Elle sera doublement pénalisée si peu de terrains sont disponibles sur son territoire pour construire de nouvelles centrales à énergies renouvelables.


L’impact de 248 scénarios évalué

Les données sur les conséquences régionales d’une électricité décarbonée font encore défaut. Pour y remédier, une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a analysé les impacts socio-économiques de 248 scénarios de transition du secteur électrique sur 296 régions d’Europe. Ces régions correspondent au niveau NUTS‑2 de la Nomenclature des Unités Territoriales Statistiques (NUTS) définie par l’UE, qui divise l’Espace économique européen en zones de 800 000 à 3 millions d’habitant-es.


«Pour modéliser les différents scénarios, nous avons pris en considération, pour chacune des régions, l’ensemble des moyens de production d’électricité disponibles, comme le nucléaire, l’hydraulique, le photovoltaïque, l’éolien, les énergies fossiles, ainsi que le transport et le stockage d’électricité. Nous avons étudié leurs configurations possibles en 2035 pour parvenir au zéro net de gaz à effet de serre en 2050», explique Jan-Philipp Sasse, ancien post-doctorant au sein du groupe Systèmes d’énergies renouvelables de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’UNIGE, et premier auteur de l’étude.


Des critères de vulnérabilité ont été retenus pour chaque région, comme la pollution de l’air, le prix de l’électricité, la nature de l’emploi, le nombre de parcelles disponibles et les nouveaux investissements que cette transition pourrait générer ou non. La quantité d’électricité consommée, produite, importée et exportée localement, chaque 6 heures durant un an, a aussi été prise en compte. Traitées par cluster informatique haute performance – un regroupement de plusieurs ordinateurs de pointe - ces données ont permis de modéliser les différents scénarios et leur impact.


Clivage Nord-Sud

«Nos résultats révèlent que les avantages d’une transition visant des émissions nettes de GES nulles en 2050 seraient visibles d’ici 2035 déjà. En termes de qualité de l’air, d’investissements et de création d’emplois, ces avantages seraient plutôt concentrés dans les régions riches d’Europe du Nord. Celles d’Europe du Sud et du Sud-Est seraient vulnérabilisées», indique Evelina Trutnevyte, cheffe du groupe Systèmes d’énergies renouvelables de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) et professeure associée à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences de l’UNIGE, co-auteure de l’étude.


Par exemple, le Jutland Nord, au Danemark, bénéficierait d’investissements supplémentaires - et donc d’emplois - liés aux installations éoliennes en mer. En revanche, la Sicile et la Campanie subiraient une augmentation des prix de l’électricité. En effet, en raison de leur situation géographique, ces deux régions d’Italie ne seraient pas en mesure d’importer aussi librement de l’électricité d’autres régions européennes, où celle-ci est moins chère. «Par contre, en Suisse, l’impact de cette transition serait pratiquement neutre parce que le pays n’abrite pas de centrales à combustibles fossiles à fermer, et que les autres vulnérabilités et avantages sont équilibrés».


Sur la base de ces résultats, les scientifiques ont créé des indices de bénéfices et de vulnérabilités selon les différents scénarios. Ces données pourront être désormais intégrées aux stratégies de transition énergétique dans le secteur de l’électricité. Elles constituent une base pour la coordination, à l’échelle européenne, d’une transition énergétique juste et équitable comprenant des mesures pour compenser les inégalités régionales.

2 mai 2023

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