Histoires d'émotions

Les émotions, une vraie ressource pour l’entreprise !

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Il est de plus en plus courant de parler des émotions au travail. Depuis une vingtaine d’années, notamment par le biais de best-sellers comme « L’intelligence émotionnelle » de Daniel Goleman (1995), les émotions et leur reconnaissance dans le contexte professionnel sont dans l’air du temps. Pourtant, les habitudes ont la peau dure : les émotions sont encore largement considérées comme individuelles et reléguées à la sphère privée, de crainte qu’elles soient mal perçues ou vues comme un signe de faiblesse sur le lieu de travail.

 

Pourquoi est-ce important d’exprimer ses émotions au travail ?

Les émotions sont au cœur de notre vie, elles sont des déterminants essentiels de nos comportements et actions. Sous-estimer ou ignorer leur influence dans le contexte professionnel ramène à exclure le facteur humain de la vie d’entreprise. Or, l’entreprise est un système qui ne peut pas vivre et se développer sans ses collaborateurs et collaboratrices. Ceci n’est pas nouveau. Dès les années 1930, plusieurs études ont montré que les émotions sont à la base de nombreux processus organisationnels comme les dynamiques de groupe.


Malgré tout, les émotions n’ont pas encore gagné leurs lettres de noblesse dans le monde du travail. Font-elles encore « peur » ?

L’engouement actuel pour les émotions est en fait une forme de « redécouverte ». Pourquoi ? Entre 1950 et 1980 environ, sous la forte influence du behaviorisme, les émotions sont perçues comme des imperfections à la rationalité. Les entreprises et le monde du travail en général ont alors tendance à les exclure.

Il faut attendre la fin des années 1990 pour que les émotions connaissent un regain d’intérêt dans le contexte professionnel et que le facteur humain soit reconsidéré. Cette dynamique s’est renforcée ces dernières années, car les travailleurs et travailleuses sont confronté-es à des changements constants. L’entreprise qui réussira demain est celle qui sera à même de se réinventer en permanence et d’accepter l’inconnu. Il est dès lors essentiel de pouvoir mobiliser ses collaborateurs et collaboratrices et de pouvoir compter sur leurs capacités à faire face et à innover. Les émotions font partie intégrante de la vie d’une entreprise. Elles doivent être reconnues comme des ressources, au même titre que la force de travail ou les compétences techniques.


Dès lors, n’y aurait-il pas un risque d’instrumentalisation des émotions ?

Oui, c’est un risque. Il peut y avoir une forme d’instrumentalisation lorsque les compétences émotionnelles, et d’une manière plus générale les leviers de la psychologie positive, sont utilisées pour « presser comme un citron » les personnes afin qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Cette récupération instrumentale repose sur une vision tout à fait caricaturale du type Chief Happiness Officer, où seules les émotions dites positives sont acceptées. Une telle approche des émotions au travail est tout à fait factice, voire dangereuse.

Si on annule les émotions négatives, pour ne garder que les positives, seules acceptables en entreprise, il en découle une forme de formatage de l’organisation. L’impact est alors non négligeable : en formatant et rationalisant les émotions, les personnes sont empêchées de déployer au mieux toutes leurs capacités. Une situation typique d’instrumentalisation est celle du « vous pouvez exprimer vos émotions seulement si vous êtes heureux-ses et que vous plébiscitez le projet de la direction ». Si l’on agit de la sorte, dès qu’il y aura une situation de crise où les collaborateurs/trices devront se mobiliser, la réponse sera insuffisante. Il est important en temps de crise de savoir gérer toutes les formes d’émotions, négatives ou positives.


Quels sont les risques de ne tolérer que les émotions positives en entreprise ?

Dans ce cas, il y aura un réel décalage entre les émotions dites « profondes » (ce que nous ressentons dans une situation) et les émotions dites « de surface » (ce que nous nous sentons obligé-es d’exprimer). C’est une situation classique. Prenons par exemple un-e patron-ne qui fait une blague pas marrante du tout à notre goût : nous allons essayer d’exprimer une forme de contentement en disant « Ah, c’est très drôle ! » alors qu’au fond nous ressentons tout autre chose. Dès le moment où il y a un décalage entre ce que l’on ressent et ce que l’on exprime, une tension se crée. La première chose à faire est alors de comprendre d’où vient ce décalage et à quel moment concrètement nous le ressentons. Par exemple, peut-être que nous nous forçons un peu trop à être dans quelque chose d’hyper cordial, alors que personne ne nous demande cette cordialité.

Au final, c’est une forme de régulation émotionnelle qui est en jeu : nous avons tendance à nous surinvestir, de manière parfois affective, et ainsi à exagérer les attentes envers nous-mêmes et les autres. La communication est alors le meilleur des remèdes : en situation d’« incommunication », la tendance à exagérer les attentes est d’autant plus présente.

Le travail de prise de conscience du rôle des émotions dans un contexte professionnel ne vaut que s’il est partagé par toutes et tous, y compris la direction. Sans ce partage, une situation de porte-à-faux se met en place, et toute une série d’informations, notamment sur l’alignement des objectifs et l’état émotionnel, vont manquer entre les collaborateurs-trices et le management. Or, sans ces informations, y compris d’ordre émotionnel donc, le décalage entre ce que l’on ressent et ce que l’on exprime se creuse et les tensions vont croissantes.

Depuis le début de la crise du COVID, j’ai pu observer dans les entreprises et chez les professionnel-es que beaucoup de managers ne savent tout simplement pas dans quel état se trouvent leurs collaborateurs-trices. Pourquoi ? Parce que le temps de l’échange et de la communication n’a jamais été pris. Cette crise, qui a marqué par son ampleur et sa durée, a mis en lumière des séries de dysfonctionnements et a grandement réduit les possibilités de mini-ajustements.


En quoi les compétences émotionnelles sont de précieuses ressources pour agir ?

Les émotions sont comme des antennes qui renseignent nos actions, mais que malheureusement nous ignorons ou avons tendance à déconsidérer. Les compétences émotionnelles reposent sur notre capacité à repérer et à reconnaitre les signaux de ces antennes, chez nous comme chez les autres. Cela nous permet alors de travailler sur l’impact des émotions repérées. En d’autres termes, c’est une série de prises de conscience, mais qui va bien au-delà du « être triste ou être heureux ».

Développer des compétences émotionnelles ne se limite pas à reconnaitre les émotions, c’est aussi les comprendre, pouvoir se repositionner pour comprendre toutes les étapes qui contribuent à la réaction émotionnelle. Des techniques simples de régulation émotionnelle existent pour ce faire : écrire, par exemple. Il a en effet été démontré qu’écrire pendant une vingtaine de minutes, de manière automatique, sur n’importe quel support, avec pour point de départ un ressenti exerce nos capacités de régulation émotionnelle. Cet exercice, fait régulièrement, peut même avoir un impact physiologique.

Il ne faut jamais perdre de vue que l’émotion est une information sensible qui aide à l’action. Ce n’est pas une instruction. Développer ses compétences émotionnelles, c’est être en capacité de mieux comprendre pourquoi nous pouvons être guidés par certains automatismes émotionnels, notamment d’hyperréaction ou de surprojection, d’apprendre à prendre le temps de mettre la réaction émotionnelle en suspens, et d’ainsi appréhender ce qui nous touche au fond, afin d’agir en conséquence.

 

Comment développer ses compétences émotionnelles ?

Voici trois actions que vous pouvez entreprendre dès aujourd’hui :

  1. S’entraîner à repérer des décalages qui pourraient créer des situations de tension ou de rupture ;
  2. Verbaliser les émotions engendrées par ce que nous avons repéré ;
  3. Mobiliser ses ressources et ses relais pour y faire face (faire confiance à son ressenti, affirmer ses valeurs, ce à quoi l’on tient et oser demander un soutien si nécessaire).