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Cartographier la gestion émotionnelle des traumatismes

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Les traumatismes peuvent provoquer des pathologies de la peur. Les voies cérébrales impliquées par leurs traitements psychothérapeutiques sont désormais identifiées.

 

Les peurs laissent des traces dans le cerveau et s’en rappeler provoque une sensation de mal être. Lors de traumatismes extrêmes, comme ceux laissés par la guerre ou les violences interpersonnelles, une pathologie appelée dépressions de stress post-traumatique (PTSD) peut survenir. La plupart des personnes réussissent à vivre correctement avec le souvenir de leur traumatisme alors que celles développant un PTSD se terrorisent des choses du quotidien le leur rappelant. Ainsi, une voiture parquée dans la rue peut provoquer des crises d’angoisses chez une personne ayant vécu un accident de la route traumatisant.

Des approches thérapeutiques efficaces appelées thérapies d’exposition existent. Le fait de revivre à répétition les événements passés, en décrivant les peurs ressenties dans le cadre d’une consultation de psychothérapie, parvient à atténuer fortement les symptômes. Ce processus a depuis longtemps intrigué les neuroscientifiques qui cherchent à comprendre ses mécanismes neurobiologiques. C’est le sujet de recherche de Bianca Silva, postdoctorante au laboratoire de Johannes Gräff à l’EPFL.

Nouvelle route

La jeune chercheuse a vite constaté que «les travaux effectués sur le sujet n’abordent pas la question correctement. La grande majorité des paradigmes expérimentaux utilisés induisent un traumatisme puis commencent directement une thérapie d’exposition. Or, le PTSD ne se déclare que des mois, voire des années après.» L’équipe de Johannes Gräff s’est donc d’abord lancée dans l’élaboration d’un nouveau paradigme expérimental afin d’identifier les circuits cérébraux impliqués dans la réduction de la mémoire à long terme des traumatismes.

Pour border cette problématique, la postdoctorante utilise une technique basée sur l’expression de c-Fos – un facteur de transcription dont le niveau d’expression augmente fortement avec l’activité neuronale –, permettant de quantifier facilement une activité neuronale évoquée. «C’est un peu comme faire de l’imagerie cérébrale par résonnance magnétique, mais de manière statique», vulgarise-t-elle. Des souris sont conditionnées à la peur par une exposition à des chocs électriques plantaires dans un environnement prévu à cet effet. Après un mois de retour à la vie de souris de laboratoire, les souris sont réexposées au même environnement, choc électrique en moins, afin d’évoquer le souvenir de la peur. Elles y sont ensuite réexposées de manière répétée jusqu’à ce qu’elles réalisent qu’il n’est pas hostile et que leur peur disparaisse. Le niveau d’expression de c-Fos est ensuite mesuré.

La fausse piste mnésique

«Notre premier constat était que les aires cérébrales impliquées dans la mémoire à court terme n’étaient pas impliquées.». C’est le thalamus et plus particulièrement le nucleus reuniens qui démontre la plus grande expression de c-Fos. Ce noyau reçoit des connexions de beaucoup de structures cérébrales, principalement limbiques. Il envoie des projections vers le cortex préfrontal médian, l’hippocampe, le cortex enthorinal et bien d’autres structures afférentes.

Une structure pour désapprendre

Il est intéressant de noter que le nucleus reuniens n’est pas seulement actif à la fin de la procédure d’extinction de la peur, soit lorsque les niveaux de peur sont revenus à la normale, mais aussi pendant les toutes premières étapes de l’extinction, lorsque les niveaux de peur sont encore élevés. Pour étudier son rôle dans l’extinction, Bianca Silva a appliqué une stratégie d’inhibition utilisant des approches chemogénétiques pour moduler l’activité neuronale. Elle a ainsi pu démontrer que l’inhibition du nucleus reuniens altère spécifiquement le processus d’extinction de la peur, tandis que son activation l’améliore.

«Ceci suggère que le Nucleus reuniens est impliqué uniquement dans la phase d’extinction et que son activation pourrait aider les souris à apaiser leur peur sans devoir passer à travers une longue procédure de réexposition.». Elle a découvert que les souris de haut niveau de peur sont en effet capables d’atténuer leur peur beaucoup plus facilement lorsque leur noyau est activé artificiellement avec des outils optogénétiques permettant d’activer spécifiquement les neurones du noyau. «Un simple rappel dans l’environnement de conditionnement a suffi à les faire désapprendre et à revenir à des niveaux de peurs raisonnables. L’activation du noyau est donc suffisante en soi!». Bianca et le groupe de Johannes Gräff sont désormais en train d’identifier quels types de neurones sont impliqués dans ces mécanismes d’extinction et ainsi affiner la découverte des chemins mécanistiques impliqués par les thérapies psychiatriques contre le PTSD. ●

10 mars 2020

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