2,8 millions pour l’histoire des savoirs - L’UNIGE jette les bases de son Pôle en sciences historiques
Partant du constat des forces présentes à l’Université de Genève (UNIGE) dans le domaine des sciences historiques, le rectorat avait, en automne 2007, annoncé sa volonté de favoriser des synergies entre historiennes et historiens de l’institution. Sous l’appellation Maison de l’histoire, ces chercheurs ont formé un réseau interfacultaire qui voit aujourd’hui ses bases s’ancrer grâce à l'attribution de près de 2,8 millions par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) pour un projet centré sur l’analyse historique des savoirs. Financé pour trois ans, ce projet vise à mieux comprendre la manière dont les savoirs s’élaborent, que ce soit dans les domaines judiciaire, religieux, pédagogique, psychologique, économique ou de la physique théorique. Quels sont les conditions d’émergence et d’existence des savoirs? Quels en sont les acteurs et les inerties? Autant de questions qui procèdent d’une entreprise fondamentale pour une université dont la principale mission est, précisément, la fabrique de savoirs.
Dès son arrivée à la tête de l’UNIGE en automne 2007, le rectorat Vassalli a placé la vision d’une institution polyvalente, pourvue de plusieurs axes de recherche prioritaires, au cœur de sa politique de développement. Partant du constat des forces en présence dans le domaine des sciences historiques, Jean-Dominique Vassalli avait notamment fait part de sa volonté de stimuler la créativité et de favoriser les collaborations entre historiennes et historiens, en vue de la réalisation d’importants projets de recherche interdisciplinaires.
L’histoire en synergie
Cette ambition trouve aujourd’hui sa première concrétisation dans l'octroi d’un financement de près de 2,8 millions, par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), pour un projet dédié à l’analyse historique des savoirs. Intitulé Acteurs de la fabrique des savoirs et construction de nouveaux champs disciplinaires, ce projet dirigé par le prof. Michel Porret a été conçu via le collectif interfaculatire que les chercheurs et chercheuses en histoire de l’UNIGE ont constitué sous l’appellation Maison de l’histoire.
Financé pour une période de trois ans, il propose d’interroger, dans une perspective historique, la notion même de savoir, les pratiques effectives de la construction des savoirs, le rôle des acteurs individuels et collectifs et le phénomène d’émergence de disciplines. De l’avis de Michel Porret, l’intérêt de ces recherches découle en premier lieu d’une prise de conscience: les sciences ont une histoire. Et c’est cette prise de conscience qui est venue bouleverser, vers le milieu du siècle dernier, la vision que ces sciences ont d’elles-mêmes.
«De manière générale, explique l’historien, les productions de savoir, les acteurs individuels et collectifs, les pratiques, les modes opératoires permettant de passer d’un savoir diffus à un savoir formalisé ont connu des transformations fondamentales au fil des siècles, et tout particulièrement à la Renaissance et au temps des Lumières. Dans les sociétés contemporaines, le savoir est devenu un enjeu central du politique, mais d’autant plus complexe d’accès que les modalités, les instruments et les lieux de sa construction se sont diversifiés, spécialisés, fragmentés. Des institutions spécialisées dans la production du savoir ont été progressivement mises sur pied, se densifiant au fil du temps, donnant le jour à une fabrique de savoirs.»
Six axes de recherches
Pour mener leur projet à bien, les chercheurs se sont dès lors répartis en six groupes, respectivement attaché à l’analyse d’une thématique particulière : Philippe Borgeaud travaillera sur la question de la construction d’une mémoire religieuse et sur la constitution d’une histoire des religions ; Rita Hofstetter se penchera sur la fabrique des savoirs dans le champ pédagogique ; Michel Porret se consacrera à l’analyse des normes judiciaires, médico-légales et policières au temps des Lumières ; Marc Ratcliff s’emploiera à interroger la construction du champ psychologique à Genève ; Jan Lacki abordera l’histoire institutionnelle et sociale des sciences physiques théoriques ; et Kristine Bruland examinera la création et l’usage de “connaissances utiles” sous l’angle de petites économies industrielles.
Dans ce contexte, les chercheurs mettront l’accent sur les pratiques, les instruments, les «technologies littéraires», les choix techniques, les décisions scientifiques, ces dernières étant souvent liées aux impératifs politiques, notamment en ce qui concerne les développements industriels, militaires ou encore médicaux. Il ne s’agira ainsi pas de remonter vers l’hypothétique origine des savoirs, mais de repenser leur fabrication en soulignant l’émergence lente et complexe de nouveaux champs disciplinaires.
«De l’anthropologue comparatiste des mémoires religieuses au théoricien des quanta, en passant par le légiste du corps violenté, le policier, l’expert judiciaire, le clinicien, le psychologue de l’Ecole de Genève (Piaget) ou encore les spécialistes des conséquences économiques de l’industrialisation dans les villes: ces figures sociales de la connaissance s’attachent toutes à faire évoluer et à mettre en œuvre des savoirs, précise le prof. Porret. D’où la nécessité, pour des universitaires, d’en examiner l’histoire, afin de mieux configurer les savoirs de demain pour le bien commun.»
Déconstruire la mémoire religieuse
Dans ce cadre, le volet dirigé par le prof. Borgeaud entend, par exemple, développer une réflexion comparatiste et anthropologique sur la manière dont des cultures anciennes et modernes construisent une mémoire des religions, élaborent et s’approprient le passé des rites et des croyances. «Le rapport au passé est constitutif de l’identité et de la définition d’une culture, commente Philippe Borgeaud. La question est de savoir comment une société donnée fabrique un savoir «historique», et ce, dès avant la constitution de «l’histoire» au sens académique du 19ème siècle? Quelles fonctions ce savoir assume-t-il sur le plan du pouvoir et de l’idéologie?»
Les travaux de cette équipe s’enracineront dans les terrains du monde méditerranéen ancien (Proche-Orient, Egypte, Judée, Grèce et Rome), ces civilisations proposant un laboratoire idéal où l’on peut expérimenter le champ du religieux de manière non confessionnelle, avant d’aborder les grands débats du christianisme.
La physique théorique en mouvement
Pour sa part, Jan Lacki s’emploiera à analyser les circonstances intellectuelles, politiques et sociales qui président à l’émergence et à l’institutionnalisation du champ disciplinaire de la physique théorique en Suisse romande de 1870 à 1970. C’est en effet ce laps de temps qui sépare la consolidation universitaire des centres romands (ainsi la conversion en universités des Académies de Lausanne et de Genève) et la constitution des centres théoriques autonomisés et stabilisés, comme le département de physique théorique de l’UNIGE.
«Il s’agit de répertorier les acteurs, de déterminer leurs réseaux, de reconstituer les filières d’enseignement et de formation, l’organisation et les thématiques de la recherche, ainsi que les sources et l’importance de financement qui sont mis à disposition, relève le prof. Lacki. Nous nous proposons notamment d’examiner l’évolution de la place institutionnelle de la physique par rapport aux autres disciplines, en particulier celles «demandeuses» de formation propédeutique en physique, comme la médecine, et d’apprécier la situation de la figure du physicien dans la hiérarchie académique et sociale.»
Contacts: Michel Porret au 022 379 70 83
29 sept. 2009