Les secrets de la méthylation de l'ADN
La méthylation est une modification chimique qui peut se positionner à des millions d’endroits sur la séquence de l’ADN. Jusqu’à présent, les scientifiques estimaient que ce phénomène épigénétique pertur- bait voire arrêtait le fonctionnement de certains gènes. Aujourd’hui, une équipe de chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), menée par Emmanouil Dermitzakis, professeur Louis-Jeantet à la Faculté de médecine, révèle que ce n’est pas toujours le cas et que la méthylation de l’ADN peut avoir un rôle à la fois passif et actif dans la régulation génétique. Les relations mécaniques entre la variabilité de l’ADN et l’expression génétique s’avèrent donc être plus complexes et variables qu’il n’y paraissait. Cette découverte, publiée dans la revue eLIFE, met en évidence les risques potentiels liés au fait de se limiter à établir une corrélation plutôt qu’un lien de causalité entre deux variables, et ce notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer la prédisposition à une maladie.
Le génome admet de nombreuses variations génétiques, responsables de la diversité des êtres vivants et de leur prédisposition à développer certaines maladies par exemple. En raison de ces variations, les gènes peuvent s’exprimer différemment d’un individu à un autre. Le même gène peut également être exprimé de manière différente dans diverses cellules d’une seule et même personne. Ces différences parmi les individus ou les cellules peuvent être le résultat d’effets génétiques ou épigénétiques. L’épigénétique correspond à une modifi- cation chimique de l’ADN et de ses protéines associées qui pourrait permettre à nos cellules de se souvenir des défis environnementaux et des changements génétiques auxquels un individu a fait face dans le passé. Il s’agit là de proposer une nouvelle approche à l’étude du rôle de l’environnement sur l’expression génétique.
Causalité vs. corrélation
L’un des phénomènes épigénétiques sur lequel s’est penchée une équipe de l’UNIGE est la méthylation de l’ADN. Jusqu’à présent, les scientifiques estimaient que la méthylation perturbait voire arrêtait le fonctionnement de certains gènes. Aujourd’hui, après avoir mené une étude de grande envergure réalisée sur des cellules provenant du cordon ombilical de 204 nouveau-nés, des chercheurs de l’UNIGE révèlent que la méthylation de l’ADN peut avoir un rôle à la fois passif et actif dans la régulation génétique. En effet, dans certains cas, contrairement à ce qui était préalablement établi, la méthylation de l’ADN n’a aucun impact sur l’expression génétique. Les relations mécaniques entre la variabilité de l’ADN et l’expression génétique s’avèrent être donc plus complexes et variables qu’il n’y paraissait. Il était essentiel de déterminer si un lien de causalité existait entre la méthylation et l’expression génétique plutôt que de se baser sur une simple corrélation pour arriver à une telle conclusion.
«Les résultats de cette étude lèvent le voile sur la grande complexité des facteurs qui contribuent aux différences physiologiques entre les personnes et nous permettent de mieux comprendre comment se développent les maladies génétiques», explique Maria J. Gutierrez, première auteure de cet article et membre du pôle de recherche national Frontiers in Genetics.
Cette étude met en lumière l’importance capitale de déterminer le lien de causalité entre deux variables biologiques afin d’en tirer des conclusions fiables. Les corrélations s’avèrent très utiles lorsque nous évaluons l’état d’un patient. En revanche, nous ne pouvons prendre des décisions quant aux interventions médicales pertinentes qu’en établissant un lien de causalité. «La corrélation permet simplement de faire état de la santé de quelqu’un. Seule la causalité rend possible une intervention médicale. Il s’agit de la même différence qui existe entre quelqu’un qui constate que la porte est fermée et quelqu’un ayant la clef pour l’ouvrir», résume le professeur Emmanouil Dermitzakis.
Selon les chercheurs, l’approche décrite dans cette étude ouvre la voie au développement futur de modélisation de paramètres médicaux et d’ensembles de données afin d’améliorer le savoir biologique et le traitement des patients.
Contact
Emmanouil Dermitzakis, Tél: 022 379 54 83
Maria J. Gutierrez, Tél: 022 379 55 50
18 juin 2013