Souriez, vous êtes filmé... Et l'on vous sourit!
Pourquoi certains sourires paraissent-ils sincères et d’autres moins? La psychologie des émotions s’intéresse à mesurer les paramètres qui conditionnent nos perceptions et nos jugements. Dans ce contexte de recherche, un groupe de spécialistes affirme avoir vérifié que, pour qu’un sourire soit perçu comme authentique, les patrons moteurs des muscles zygomatiques, orbiculaires et d’ouverture de la bouche doivent être activés. Le professeur Didier Grandjean, de la Faculté de psychologie et sciences de l’éducation de l’Université de Genève (UNIGE), a pris part à ces travaux, qui font l’objet d’un article dans la dernière édition de la revue PlosOne.
Les psychologues Sebastian Korb et Stéphane With ont étudié des observateurs, soit une cohorte de personnes à qui étaient présentés des avatars souriants; ils ont compris que les plis autour de l’œil, ces pattes d’oie dont la littérature spécialisée dans l’étude des émotions disait qu’elles contribuent à juger le sourire comme authentique, ne suffisent pas. Non, pour que la mimique convainque, d’autres zones musculaires du visage doivent entrer en jeu: les joues, les yeux et la bouche. Et ceci dans une combinaison dynamique. Les scientifiques sont parvenus à cette conclusion en manipulant systématiquement différentes unités d’action faciales sur les avatars -les unités d’actions ont été déterminées par Paul Ekman il y a plus de 30 ans-.
Les participants à cette expérience ont été confrontés à 19 types de sourire différents, qu’effectuaient ces avatars animés, tandis que l’activité de leurs muscles faciaux était enregistrée par électromyographie (EMG). Jusqu’à présent, les psychologues des émotions travaillaient surtout avec des avatars statiques, des photos. La remise en question du critère des pattes d’oie comme déterminant pour la perception d’un sourire sincère avait déjà cours, car le sourire comprenant des plis aux coins des yeux peut s’acquérir par apprentissage. Plus on avance en âge, mieux l’on sourirait des yeux, en quelque sorte.
Ce qui n’est pas visible parle aussi
Quand la psychologie des affects s’intéresse au langage du corps, elle se focalise sur les mouvements, les expressions faciales ou les phonèmes qui s’échappent de nos bouches. Elle présuppose que ces manifestations, visibles, sont autant de signes non-verbaux très importants dans la communication. Il existe de surcroît des signes non verbaux, très subtils, invisibles pour l’observateur, que le cerveau décode et interprète cependant. Dans le jargon, les spécialistes parlent de la «mimicry» ; par ce terme venu de l’anglais, ils entendent les activations musculaires très faibles, invisibles, mais mesurables par EMG. Par exemple, les micro-contractions qui répondent à un sourire perçu chez autrui. Il s’agit de «ne pas confondre la mimicry avec l’imitation», comme le précise Didier Grandjean, professeur à la Faculté de psychologie et sciences de l’éducation et chercheur au Centre interfacultaire des sciences affectives de l’UNIGE.
Ce sont les marqueurs de la mimicry que traque l’étude qu’il cosigne avec des collègues de l’Université du Wisconsin (Etats-Unis). Par cette étude, les chercheurs ont démontré que les évaluations de l’authenticité de sourires sont liées aux activations musculaires spécifiques invisibles par l’observateur, mais qui correspondent bien, chez les avatars souriants, aux mêmes muscles. Ainsi, percevoir le sourire d’autrui et juger de son authenticité seraient liés à l’activation des mêmes muscles que son interlocuteur, et le phénomène se produirait pour permettre de mieux se représenter l’état mental d’autrui. Un mécanisme qui pourrait bien être lié aux fameux «neurones miroirs».
De l’intérêt de la sincérité
Pourquoi s’intéresser à cette question? Dans l’interaction avec autrui, l’évaluation du degré de sincérité semble fondamentale pour établir les bases de ce qui deviendra la relation. Comment se représente-t-on l’autre personne dans l’interaction sociale hors du champ verbal? C’est un des enjeux de la psychologie des émotions que d’essayer de saisir les ressorts d’échanges qui seraient à la base de bien des négociations humaines.
Contact
Didier Grandjean, tél. 022.379.92.13 ou 022.379.92.15
10 juin 2014