La sécheresse, source d’émeutes
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La communauté scientifique formule depuis plusieurs années l’hypothèse d’un lien entre les périodes de sécheresse et le déclenchement d’émeutes. Afin de vérifier formellement cette hypothèse, l’Université de Genève (UNIGE), en collaboration avec les universités d’Heidelberg (Allemagne) et Lucerne, a étudié 1800 émeutes survenues sur une période de vingt ans en Afrique subsaharienne. Les chercheurs ont ainsi pu observer un lien systématique entre la raréfaction soudaine des ressources en eau et le déclenchement de conflits, et quantifier l’impact de facteurs géographiques et sociaux sur ce même lien. Leurs résultats, qui soulignent l’importance du rôle des institutions politiques en cas de sécheresse, sont à lire dans la revue Journal of Environmental Economics and Management.
Plusieurs cas d’études rapportent que les phénomènes de sécheresses entraînent des tensions au sein des populations touchées. Par exemple, lorsqu’une vague de sécheresse s’abat sur une région, il est démontré que la production et le revenu agricole baissent, la nourriture se raréfie, les prix des denrées alimentaires augmentent et les villes ne sont plus suffisamment ravitaillées, ce qui poussent à l’émergence d’émeutes. Mais le lien entre sécheresse et émeutes est-il systématique ? Jusqu’à aujourd’hui, la majeure partie des données utilisées dans ces recherches était trop agrégée pour permettre de répondre précisément à cette question. En effet, les chercheurs fondaient leurs analyses sur des chiffres indiquant la quantité moyenne de pluie tombée pour chaque pays sur une année et sur l’émergence de conflits la même année par pays. Ces données étaient trop peu représentatives des véritables besoins en eau des populations et mal adaptées à l’étude des émeutes, un phénomène typiquement local, plus court et plus explosif que les conflits civils. Il fallait donc affiner ces statistiques et regarder au plus près chaque conflit en fonction de la région, du climat et des habitants.
La sécheresse met le feu aux poudres
Une équipe d’économistes, dont Jérémy Lucchetti, professeur à la Faculté d’économie et de management (GSEM) de l’UNIGE, a choisi d’étudier le cas de l’Afrique subsaharienne. Caractérisée par une structure économique tributaire de la présence d’eau, cette région est idéale pour démontrer l’existence systématique de ce lien. 43 pays peuplés d’au moins un million d’habitants ont été analysés.
Les chercheurs ont utilisé un indicateur de sécheresse développé par des hydrologues, le SPEI (Standardised Precipitation-Evapotranspiration Index), qui mesure les précipitations un mois donné sur une région et en soustrait la quantité d’eau qui s’évapore. Cet indice est disponible à une échelle très fine : par tranche de 50km sur 50km, il indique mois par mois la disponibilité en eau sur une période d’environ 100 ans. Les économistes ont ensuite croisé les informations du SPEI avec les données du SCAD (Social Conflict Analysis Database), qui recensent 1800 éléments d’émeutes survenus entre 1990 et 2011, géolocalisés avec précision (lieu, début du conflit et durée) en Afrique subsaharienne. «La difficulté était de sortir de la simple corrélation sécheresse-conflit en étudiant les autres facteurs qui pouvaient être liés à ces deux éléments et faire croire, à tort, à un lien entre la sécheresse et le conflit», explique Jérémy Lucchetti. «Par exemple, des groupes rebelles qui s’installent à l’écart de la capitale dans une zone désertique peuvent provoquer des émeutes sans lien direct avec la sécheresse de la région, ce qui peut nourrir une corrélation fallacieuse», illustre-t-il.
Il fallait également prendre garde de ne pas considérer la sécheresse comme la cause principale des émeutes. «En priorité, ce sont des causes politiques, économiques et sociales qui créent des tensions. La sécheresse est un élément qui met le feu aux poudres», ajoute Jérémy Lucchetti.
Les sécheresses augmentent de 10% à 50% le risque d’émeute
En contrôlant une très large série de variables annexes, les chercheurs ont découvert qu’une période de sécheresse augmente globalement de 10% la possibilité d’observer une émeute un mois donné sur n’importe quelle région, qu’elle soit désertique ou non, proche des villes ou non. «Mais si l’on croise d’autres facteurs géographiques et sociaux, ce pourcentage augmente drastiquement», souligne Jérémy Lucchetti. En effet, trois éléments jouent un rôle primordial dans le risque d’émeutes liées aux sécheresses. Le premier est la densité de la population : plus une région est peuplée, plus le besoin en eau est grand. En cas de pénurie de l’or bleu dans les zones les plus densément peuplées d’un pays, la probabilité d’observer une émeute augmente de 50%. De même, si une zone dépourvue de lac ou de rivière est frappée par la sécheresse, le risque d’y voir un conflit éclater est multiplié par 2, alors qu’au contraire, les zones possédant des lacs et rivières voient ce même risque diminuer proportionnellement. Enfin, lorsque plusieurs ethnies se partagent une même ressource d’eau au sein d’une même région, les arrangements institutionnels traditionnels peuvent s’écrouler temporairement en cas de pénurie, augmentant par 2 le risque de conflit.
Cette étude démontre le lien systématique et immédiat entre sécheresse et émeute. En effet, les économistes ont constaté que les conflits liés à la sécheresse éclatent dans le même mois que le début des pénuries d’eau, montrant la réactivité des populations face à ce problème qui touche tant l’agriculture, que l’économie et la santé. «Il s’agit aujourd’hui d’utiliser ces données afin de regarder en détails quels mécanismes les institutions politiques pourraient mettre en place afin d’éviter le déclenchement d’émeutes, comme par exemple l’établissement de mécanismes redistributifs vers les zones touchées par des sécheresses», conclut Jérémy Lucchetti.
Contact: Jérémy Lucchetti, +41 22 379 82 81
15 sept. 2017