La théorie de l’information pour lutter contre le cancer
Des chercheurs/euses de l’UNIGE et des HUG ont utilisé pour la première fois la théorie de l’information pour monitorer in vivo le développement des mécanismes de résistance aux thérapies qui ciblent des cancers.
Analyse immunohistochimique d’une coupe de métastase intestinale de mélanome. © R.Merat, Neoplasia 2021; 23 (8): 775-782.
L’un des problèmes majeurs de la cancérologie moderne est la réponse adaptative des cellules cancéreuses aux thérapies qui les ciblent de manière précise: au début du traitement, ces thérapies combattent très souvent efficacement la tumeur, puis se produit une résistance dite adaptative qui permet aux cellules tumorales de se multiplier à nouveau. Bien que cette réponse adaptative soit en théorie réversible, un tel retour en arrière se heurte à de nombreux mécanismes moléculaires qui permettent aux cellules cancéreuses de s’adapter au traitement. L’analyse de ces mécanismes est freinée par la complexité des relations de cause à effet qui sont extrêmement difficiles à observer in vivo dans les prélèvements tumoraux. Afin de contourner au mieux cet obstacle, une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) a utilisé pour la première fois la théorie de l’information, afin d’objectiver in vivo les régulations moléculaires en jeu dans les mécanismes de la réponse adaptative et leur modulation par une combinaison thérapeutique qui les atténue. Des résultats à lire dans la revue Neoplasia.
Les thérapies ciblées pour contrer le développement des tumeurs sont généralement confrontées à la problématique de la réponse adaptative: après une phase de traitement efficace qui réduit la tumeur, il se produit une adaptation à la molécule utilisée qui permet aux cellules tumorales de proliférer à nouveau. «On sait aujourd’hui que cette résistance au traitement comporte une grande composante réversible qui ne met pas en jeu des mutations, qui elles sont irréversibles», précise Rastine Merat, chercheur au Département de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’UNIGE, responsable de l’unité d’onco-dermatologie aux HUG et dernier auteur de cette étude.
La recherche confrontée à la complexité des régulations biologiques
Pour pouvoir prévenir les résistances aux thérapies ciblées, les scientifiques cherchent à comprendre les mécanismes moléculaires de la réponse adaptative. «Il peut s’agir de mécanismes qui mettent en jeu des variations dans l’expression de gènes par exemple», explique Rastine Merat. Il convient alors de modifier ou prévenir ces variations grâce à une combinaison thérapeutique qui en bloque les conséquences ou même qui les prévient. Reste un problème: la description de ces mécanismes et de leur modulation sous l’effet d’une combinaison thérapeutique est très souvent faite sur des cellules isolées en culture. Ils ne sont alors pas validés au sein des tissus tumoraux dans l’organisme. «Ceci est essentiellement dû à la difficulté d’objectiver ces mécanismes qui entrent en jeu de manière transitoire et seulement dans une minorité de cellules dans les tissus tumoraux, et surtout qui mettent en jeu des relations de cause à effet non linéaires», précise le chercheur genevois.
Appliquer la théorie de l’information aux tumeurs
Pour contrer ces difficultés, l’équipe de l’UNIGE et des HUG a eu l’idée de recourir à la théorie de l’information, plus particulièrement en quantifiant l’information mutuelle. Cette approche avait jusque-là été utilisée en biologie, essentiellement pour quantifier la signalisation cellulaire et comprendre les réseaux de régulation génétique. «Cette méthode statistique permet de mettre en lien deux paramètres impliqués dans un mécanisme par la mesure de la réduction de l’incertitude sur l’un des paramètres lorsque l’on connait la valeur de l’autre paramètre», explique Rastine Merat.
En clair, les scientifiques procèdent par étapes: ils et elles pratiquent sur un modèle murin des biopsies de tumeurs (ici des mélanomes) à différents stades de leur développement au cours des traitements. Grâce à des analyses immunohistochimiques – soit des coupes de tumeurs – ils et elles mesurent par une approche automatisée l’expression des protéines impliquées dans le mécanisme en jeu dans la réponse adaptative. «L’approche mathématique proposée est facilement applicable à des techniques de routine comme l’immunohistochimie et permet de valider in vivo la pertinence des mécanismes étudiés, même s’ils se produisent dans une minorité de cellules et de manière transitoire», se réjouit le chercheur genevois. Ainsi, les scientifiques peuvent non seulement valider dans l’organisme les mécanismes moléculaires qu’ils ou elles étudient, mais aussi l’impact de combinaisons thérapeutiques innovantes qui résultent de la compréhension de ces mécanismes «De même, nous pourrions utiliser dans les essais thérapeutiques cette approche comme marqueur prédictif de réponse aux combinaisons thérapeutiques qui cherchent à prévenir la résistance adaptative», poursuit-t-il.
Une méthode adaptée pour tous les types de cancer
«Cette méthode développée dans un modèle de mélanome pourrait être appliquée à d’autres types de cancer pour lesquels les mêmes enjeux de résistance adaptative aux thérapies ciblées existent et pour lesquels des approches de combinaison thérapeutique basées sur la compréhension des mécanismes en jeu sont en cours de développement», conclut Rastine Merat.