2021

Comment nos organes savent-ils quand arrêter de grandir?

Une équipe pluridisciplinaire menée par des chercheurs de l’UNIGE et du MPIPKS a résolu par une équation mathématique le mystère de la mise à l’échelle d’un organe en fonction de la taille de l’animal.

 

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Comment les nageoires d’un poisson de 7 millimètres, similaires à celles d’un requin baleine, savent-elles qu’elles doivent arrêter de grandir? (Paedocypris carbunculus ©Lukas Rüber ; requin-baleine ©Shamila Chaudhary)

 

Le plus petit poisson au monde, le Paedocypris, ne mesure que 7 millimètres. Autant dire rien, comparé aux 9 mètres du requin-baleine. Tous deux partagent pourtant un grand nombre de gènes et une même anatomie, avec des nageoires dorsales et caudales, des branchies ou encore un estomac et un cœur, mais ces organes sont à une échelle mille fois plus petite pour le premier ! Par quel mécanisme les organes et les tissus de ce poisson miniature s’arrêtent-ils de grandir très rapidement, contrairement à ceux de leur cousin géant? Une équipe pluridisciplinaire emmenée par des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Institut Max Planck pour la physique des systèmes complexes (MPIPKS) a pu répondre à cette question fondamentale en s’appuyant sur des études physiques et une équation mathématique, comme le révèlent ses travaux publiés dans la revue Nature.

 

Les cellules d’un tissu en développement prolifèrent et s’organisent sous l’action de molécules de signalisation, les morphogènes. Mais comment savent-elles quelle est la taille adaptée à l’organisme vivant auquel elles appartiennent ? Les groupes de recherche de Marcos Gonzalez-Gaitan, Professeur au Département de biochimie de la Faculté des sciences de l’UNIGE, et de Frank Jülicher, Directeur du MPIPKS à Dresden, ont élucidé ce mystère en suivant un morphogène spécifique dans les cellules de tissus de tailles différentes chez la drosophile, plus connue sous le nom de mouche du vinaigre.

Chez la drosophile, le morphogène decapentaplegic DPP, molécule qui participe à la formation des quinze (deca-penta) appendices (ailes, antennes, mandibules…) diffuse à partir d’une source localisée au sein du tissu en cours de développement puis forme des gradients (ou variations graduelles) de concentration décroissants au fur et à mesure qu’il s’éloigne de la source. Lors d’études précédentes, le groupe de Marcos Gonzalez-Gaitan, en collaboration avec l’équipe allemande, a montré que ces gradients de concentration de DPP s’étendent sur une zone plus ou moins grande selon la taille du tissu en formation. Ainsi, plus un tissu doit être petit, plus la zone de propagation du gradient de DPP à partir de sa source de diffusion est réduite. En revanche, plus un tissu sera grand, plus le gradient du morphogène DPP s’étend sur une large zone. La question subsistait toutefois de savoir comment l’étendue du gradient de concentration s’adapte à la taille du futur tissu/organe.

 

Une réponse multidisciplinaire à une question biologique

«L’approche originale de mon équipe, composée de biologistes, biochimistes, mathématicien-nes et physicien-nes, est d’analyser ce qui se passe au niveau de chacune des cellules, plutôt que placer nos observations à l’échelle du tissu», commente Marcos Gonzalez-Gaitan. «Le point central est de traiter la matière vivante comme si elle n’était que de la matière, c’est-à-dire d’étudier la biologie avec les principes de la physique», explique Frank Jülicher. Les deux équipes ont ainsi mis au point une batterie d’outils sophistiqués pour suivre très précisément – via des techniques de microscopie quantitative – le devenir de la molécule DPP dans et entre les cellules d’un tissu. «Ces outils nous ont permis de définir une multitude de paramètres, liés à des processus cellulaires, pour ce morphogène. Nous avons par exemple mesuré l’efficacité avec laquelle il se fixe aux cellules, pénètre à l’intérieur des cellules, est dégradé ou encore est recyclé par la cellule avant de diffuser à nouveau vers d’autres cellules. En résumé, nous avons mesuré toutes les étapes importantes du transport de DPP», explique Maria Romanova, chercheuse au Département de Biochimie et première auteure de cette étude.

 

Le mécanisme de mise à l’échelle expliqué par une équation

Les scientifiques ont donc collecté toutes ces données sur DPP dans des cellules appartenant à des tissus de tailles différentes chez des mouches normales et chez des mouches mutantes dont les organes ne se développent pas à la bonne échelle. Ils ont découvert que ce sont ces différentes étapes de transport qui définissent l’étendue du gradient. Ainsi, dans un petit tissu, la molécule DPP est principalement transportée par diffusion entre les cellules. Sa concentration chute donc assez rapidement autour de sa source en raison de sa dégradation, ce qui engendre un gradient étroit. A contrario, dans les tissus plus grands, les molécules DPP qui ont pénétré à l’intérieur de cellules sont également fortement recyclées, ce qui permet d’étendre le gradient sur une zone plus grande. «Nous avons finalement pu proposer un modèle sans aucun biais sur le transport des morphogènes, en établissant les équations mathématiques clés des mécanismes de mise à l’échelle!», s’enthousiasme Maria Romanova.

La combinaison de la physique théorique et des approches expérimentales, établie à partir de l’étude de la molécule DPP chez la drosophile, peut être généralisée à d’autres molécules impliquées dans la formation de divers tissus en développement. « Notre approche singulière et multidisciplinaire nous permet d’apporter une réponse universelle à une question biologique fondamentale qu’Aristote se posait déjà il y a bientôt 2,500 ans : comment l’œuf sait-il quand arrêter sa croissance pour donner naissance à une poule?», conclut Marcos Gonzalez-Gaitan.

22 déc. 2021

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