2023

L’apport inattendu des moines médiévaux à la volcanologie

En analysant des textes médiévaux, une équipe internationale dirigée par l’UNIGE est parvenue à dater avec précision certaines des plus grandes éruptions de l’histoire.

 

Enluminure de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle, qui représente deux personnes observant une éclipse de lune. L’enluminure comporte les mots «La lune avant est éclipsée». © Source gallica.bnf.fr / BnF

 

En observant le ciel nocturne, les moines du Moyen-Âge ont involontairement consigné certaines des plus grandes éruptions volcaniques de l’histoire. Une équipe internationale de chercheurs et chercheuses, dirigée par l’Université de Genève (UNIGE), s’est appuyée sur la lecture de textes des XIIe et XIIIe siècles, ainsi que sur des carottes de glace et des cernes d’arbres, pour dater avec précision certaines de ces éruptions. Ses résultats, publiés dans la revue Nature, apportent de nouvelles informations sur l’une des périodes d’activité volcanique les plus intenses, probablement à l’origine du petit âge glaciaire qui a vu l’avancée des glaciers européens.


Il a fallu près de cinq ans aux chercheurs/euses pour examiner des centaines d’annales et de chroniques de toute l’Europe et du Moyen-Orient, à la recherche de références aux éclipses totales de Lune et à leur coloration. Les éclipses lunaires totales se produisent lorsque la Lune passe dans l’ombre de la Terre. En général, elle reste visible sous la forme d’un globe rougeâtre, car elle est encore baignée par la lumière du Soleil, courbée autour de la Terre par son atmosphère. Mais après une éruption volcanique de très grande ampleur, la quantité de poussières dans la stratosphère est telle que la Lune éclipsée disparaît presque totalement.


Les chroniqueurs médiévaux ont consigné et décrit toutes sortes d’événements historiques, comme les actes des rois et des papes, les grandes batailles, les catastrophes naturelles et les famines. Les phénomènes célestes susceptibles d’annoncer des calamités étaient, pour eux, tout aussi remarquables. Ayant à l’esprit l’Apocalypse, cette vision de la fin des temps qui parle d’une Lune rouge sang, les moines étaient particulièrement attentifs à sa coloration. Sur les soixante-quatre éclipses totales de Lune qui se sont produites en Europe entre 1100 et 1300, les chroniqueurs en ont fidèlement documenté cinquante-et-une. Dans cinq de ces cas, ils ont rapporté que la Lune était exceptionnellement sombre.


L’apport des scribes japonais

Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à établir un lien entre les relevés des moines sur la luminosité et la couleur de la Lune éclipsée, et l’obscurité volcanique, l’auteur principal de l’étude, Sébastien Guillet, collaborateur scientifique à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’UNIGE, explique: «J’écoutais l’album Dark Side of the Moon de Pink Floyd lorsque j’ai réalisé que les éclipses de Lune les plus sombres s’étaient toutes produites environ un an après des éruptions volcaniques majeures. Comme nous connaissons les jours exacts des éclipses, cela nous a donné la possibilité d’utiliser ces observations pour préciser le moment où les éruptions ont dû se produire».


Les chercheurs/euses ont découvert que les scribes japonais prenaient également note des éclipses de Lune. L’un des plus connus, Fujiwara no Teika, écrit à propos d’une éclipse sombre sans précédent observée le 2 décembre 1229: «les Anciens n’avaient jamais vu cela comme cette fois, l’emplacement du disque de la Lune n’étant pas visible, comme s’il avait disparu pendant l’éclipse...il y avait vraiment de quoi avoir peur». La poussière stratosphérique provenant des grandes éruptions volcaniques n’est pas seulement responsable de la disparition de la Lune. Elle refroidit également les températures estivales en limitant la quantité de lumière du Soleil qui atteint la surface de la Terre. Ce qui pouvait entraîner la ruine des cultures.


Recouper textes et données

«Grâce à des travaux antérieurs, nous savons que les fortes éruptions tropicales peuvent provoquer un refroidissement global de l’ordre d’environ 1°C en quelques années», explique Markus Stoffel, professeur ordinaire à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’UNIGE et dernier auteur de l’étude, spécialiste de la conversion des mesures des cernes d’arbres en données climatiques. «Elles peuvent également entraîner des anomalies dans les précipitations, provoquant des sécheresses à un endroit et des inondations à un autre.»


La population ne pouvait alors pas imaginer que les mauvaises récoltes ou les éclipses lunaires inhabituelles avaient un lien avec les volcans. Les éruptions elles-mêmes n’étaient pas documentées, à l’exception de l’une d’entre elles. «Nous connaissions ces éruptions uniquement parce qu’elles ont laissé des traces dans les glaces de l’Antarctique et du Groenland», indique  Clive Oppenheimer, professeur au Département de géographie de l’Université de Cambridge, coauteur de l’étude. «En rassemblant les informations provenant des carottes de glace et les descriptions des textes médiévaux, nous pouvons maintenant mieux estimer quand et où se sont produites certaines des plus grandes éruptions de cette période.»


Climat et société impactés

Pour tirer le meilleur parti de cette intégration, Sébastien Guillet a travaillé avec des modélisateurs du climat afin de calculer le calendrier le plus probable des éruptions. «Il est essentiel de connaître la saison à laquelle les volcans sont entrés en éruption, car cela influe sur la propagation de la poussière volcanique et sur le refroidissement ainsi que sur d’autres anomalies climatiques associées à ces éruptions», explique-t-il.


Outre le fait qu’ils permettent de préciser la date et l’intensité de ces événements, ces résultats sont d’autant plus importants que la période comprise entre 1100 et 1300 est connue, d’après les carottes de glace, pour être l’une des plus actives sur le plan volcanique. Sur les quinze éruptions prises en compte dans la nouvelle étude, l’une d’entre elles, survenue au milieu du XIIIe siècle, rivalise avec la célèbre éruption du Tambora de 1815, qui a entraîné «l’année sans été» de 1816. L’effet collectif des éruptions médiévales sur le climat de la Terre pourrait avoir conduit au petit âge glaciaire.


«L’amélioration de nos connaissances sur ces éruptions est cruciale pour comprendre si et comment l’activité volcanique passée a affecté non seulement le climat mais aussi la société au Moyen Âge», concluent les chercheurs.

5 avr. 2023

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