Les «interrupteurs» génétiques de la croissance osseuse
Des scientifiques de l’UNIGE ont identifié les séquences génétiques régulant l’activité des gènes responsables de la croissance osseuse.
Squelette d’un embryon de souris visible par fluorescence. © Darbellay et al.
Chez les mammifères, seulement 3% du génome est constitué de gènes codants qui, transcrits en protéines, assurent les fonctions biologiques de l’organisme et le développement in utero des futurs individus. Mais les gènes n’assurent pas seuls leur fonctionnement. Ils sont contrôlés par d’autres séquences du génome qui, tels des interrupteurs, les activent ou les désactivent selon les besoins. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) a identifié et localisé 2700 interrupteurs génétiques — parmi des millions de séquences génétiques non codantes — qui régulent précisément les gènes responsables de la croissance osseuse. Cette découverte met en lumière un des facteurs importants qui influencent la taille des individus à l’âge adulte, mais aussi pourquoi leur défaillance pourrait être à l’origine de certaines malformations osseuses. Ces résultats sont à découvrir dans Nature Communications.
Grande ou petite, notre taille est pour une bonne partie héritée de nos parents. De plus, il existe de nombreuses maladies génétiques affectant la croissance osseuse, dont la cause exacte reste souvent inconnue. Et si une explication était à chercher non pas dans les gènes eux-mêmes, mais dans d’autres parties du génome responsables de leur activation? «De courtes séquences d’ADN — de véritables interrupteurs — donnent en effet le signal de transcription de l’ADN en ARN, qui sera ensuite traduit en protéines», explique Guillaume Andrey, professeur assistant au Département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’UNIGE et à l’Institut genevois de génétique et génomique (IGE3), qui a dirigé ces travaux. «Or, si on connaît bien les gènes régulant la formation des os et leur localisation dans le génome, ce n’est pas le cas des interrupteurs qui les contrôlent.»
Des os fluorescents
Guillaume Andrey et son équipe ont développé une technique expérimentale innovante, récompensée en 2023 par le Prix du Centre suisse de compétence 3R, qui permet d’obtenir des embryons de souris porteurs d’une configuration génétique précise à partir de cellules souches murines. «En l’occurrence, nos embryons de souris ont des os fluorescents, visibles par imagerie, qui nous permettent d’isoler les cellules qui nous intéressent et d’analyser les interrupteurs à l’œuvre au cours du développement osseux», indique Fabrice Darbellay, chercheur post-doctorant dans le laboratoire du professeur Andrey et premier auteur de ces travaux.
L’équipe a ainsi suivi l’activité de la chromatine, la structure dans laquelle l’ADN est empaqueté, spécifiquement dans les cellules fluorescentes osseuses. Grâce à des marqueurs de l’activation génétique, les scientifiques ont pu identifier précisément quelles séquences régulatrices entraient en action pour contrôler les gènes responsables de la construction des os. Ils et elles ont ensuite confirmé leur découverte en désactivant sélectivement les interrupteurs sans toucher au gène codant. «Nous avons alors observé une perte d’activation des gènes en question, ce qui indique d’une part que nous avions identifié les bons interrupteurs, et d’autre part que leur rôle est effectivement prépondérant pour le bon fonctionnement du gène», détaille Fabrice Darbellay.
Reconstruction par microscopie à nappe de lumière d’un fœtus de souris.
Une cartographie en trois dimensions
Sur les 2700 interrupteurs identifiés chez la souris, 2400 se retrouvent chez l’humain. «Chaque chromosome est un long fil d’ADN. Comme des perles sur un collier, les interrupteurs et les gènes qu’ils contrôlent forment de petites pelotes d’ADN sur un même fil chromosomique. C’est cette proximité physique qui leur permet d’interagir de manière si contrôlée», détaille Guillaume Andrey. Les variations d’activité de ces régions pourraient aussi expliquer les différences de taille entre êtres humains: l’activité des cellules osseuses est liée à la taille des os et donc des individus.
De plus, de nombreuses pathologies osseuses ne s’expliquent pas par une mutation touchant la séquence d’un gène connu. Il faut donc aller chercher ailleurs, et plus précisément dans les régions non codantes, mais régulatrices du génome. «Il existe déjà quelques cas répertoriés où une mutation sur les interrupteurs et non sur les gènes eux-mêmes est à l’origine d’une maladie des os. Or, il est très probable que le nombre de cas soit sous-estimé, surtout lorsque les gènes des malades semblent normaux», détaillent les auteur-es. Et au-delà des os, des défaillances de ces différents interrupteurs génétiques encore peu connus pourraient être la cause de bien d’autres pathologies développementales.