2009

Vers la molectronique du futur avec des «nano-rails»

Gordon Moore, cofondateur de la société Intel, a prédit que la puissance des ordinateurs croîtrait exponentiellement jusqu’à atteindre vers 2017 une limite physique liée à la taille des atomes. Pour contourner cette prédiction, des chimistes s’activent depuis une décennie à inverser le paradigme : plutôt que de miniaturiser les composants à base de silicium, ils imaginent l’électronique de demain, fondée sur des molécules individuelles aptes à transmettre l’information à l’échelle atomique. Le groupe de recherche du Professeur Oliver Wenger à l'UNIGE fait un pas crucial dans cette direction en dévoilant ce lundi 1er juin 2009 l’existence de rails moléculaires capables d'accélérer spectaculaire- ment le transport des charges.

nano-rail

Si la fameuse loi empirique de Moore dit vrai – et elle est vérifiée jusqu’à ce jour – les puces électroniques qui peuplent notre quotidien auront bientôt atteint les limites de la miniaturisation, signant probablement l’apogée de l’ère du silicium ! Parmi les pistes défrichées pour découvrir les substituts du silicium dans l’informatique de demain, l’électronique moléculaire (molectronique) est une approche prometteuse.

C’est dans ce domaine que l’équipe du Professeur Oliver Wenger, chimiste à l’UNIGE, investit créativité et innovation pour débusquer les molécules idéales qui, bientôt, remplaceront peut-être le silicium.

Prendre le problème à l’envers

Il faut remonter dans les années 1970 pour envisager l’utilisation de molécules individuelles capables de transférer des charges et de l’énergie à courte distance.
Mais ce n’est que vers l'an 2000 que les espoirs de connecter une molécule à un circuit se réalisent. C’est la naissance de l’électronique moléculaire et le début de l’inversion du paradigme électronique : il ne s’agit plus de miniaturiser à outrance les composants en silicium à coup de nanotechnologies dispendieuses (approche «downscaling»), mais de trouver les molécules individuelles (approche «upscaling») qui, comme les systèmes biologiques évolués (photosynthèse, respiration), contrôlent fidèlement le flux d’électrons sur d’appréciables distance.

Les candidats moléculaires idéaux

C’est ici qu’interviennent Oliver Wenger et son collaborateur Mathieu Walther. Ils étudient les mécanismes physico-chimiques fondamentaux régissant le transfert d’électrons à longue distance dans des assemblages moléculaires confectionnés sur mesure. Dans ce contexte, ils ont développé toute une panoplie de molécules inédites basées sur le principe de la diade : un segment donneur de charges et un autre segment accepteur de charges, séparés par un fil moléculaire de longueur ou de composition variable agissant comme pont entre les deux extrémités de la molécule.

Pour initier le flux d’électrons d’une extrémité à l’autre des molécules candidates, il suffit de soumettre la substance à un flash lumineux de très courte durée (environ 10 nanosecondes, ou 10 milliardièmes de seconde).

Parmi les nombreuses diades qu’ils ont créées, les chimistes genevois ont repéré deux candidats dont les caractéristiques du fil moléculaire diffèrent très faiblement mais qui se distinguent fortement dans leur capacité à transmettre les charges d’une extrémité à l’autre de la molécule (voir la figure).

Dans les deux cas, le fil moléculaire, parfaitement linéaire et rigide, est constitué de 4 blocs en forme d’hexagone (des noyaux benzéniques, dans le jargon), sortes de «nano-voies ferroviaires» à l’échelle moléculaire. Chaque bloc possède 2 décorations contenant des atomes d’oxygène (oligo-p-diméthoxybenzène) ou n’en contenant pas (oligo-p-xylène). La longueur du fil moléculaire est exactement identique (précisément 2.35 nanomètres, ou 2.35 milliardièmes de mètre) et seule la présence ou l’absence des atomes d’oxygène sur les décorations distingue ces deux ponts.

L'aptitude des «nano-voies ferroviaires» à transmettre rapidement des charges

A l’image d’un trajet en train pouvant se dérouler d’autant plus rapidement que la voie ferrée a été optimisée pour endurer des convois à grande vitesse, les fils moléculaires de l’équipe genevoise peuvent être vus, selon leurs décorations, comme des «nano-rails pour trains express», ou inversément des «nano-rails pour omnibus».

Au-delà de toute attente, les chercheurs ont en effet constaté que leurs fils moléculaires décorés d’oxygènes, à l’instar de «nano-rails pour trains express», transportent les charges 1000 fois plus rapidement d’une extrémité à l’autre de la molécule que les fils exempts d’oxygènes («nano-rails pour omnibus»).

Afin de souligner l'importance de cette découverte fondamentale, la revue spécialisée ChemPhysChem publie les résultats de l'étude dans sa dernière livrée en faisant poser en vedettes les molécules de l'équipe genevoise sur sa couverture.

De la molécule ultra-rapide à l’ordinateur ?

Oliver Wenger est formel : «Ce n’est pas demain que des ordinateurs truffés de notre molectronique seront commercialisés !». Néanmoins, le talent des chercheurs genevois à maîtriser le comportement de leurs diades révolutionnaires au moyen de subtiles variations à l’échelle atomique est un pas décisif vers l’identification des futurs substituts au silicium. Ce dernier n’a qu’à bien se tenir car ses années semblent comptées !

Contact :

Pour obtenir de plus amples informations, n’hésitez pas à contacter le Professeur Oliver Wenger (Tél. ++41 22 379 60 51).

Référence :

Tuning the rates of long-range charge transfer across phenylene wires, M.E. Walther, O.S. Wenger, ChemPhysChem 10 (8), (published June 1, 2009). http://www3.interscience.wiley.com/journal/122279639/abstract, DOI

20 mai 2009
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