Les rapports de pouvoir public-privé dans les projets urbains en Suisse
Sébastien Lambelet, maître-assistant au Département de science politique et collaborateur GEDT a présenté les résultats de sa thèse dans le cadre de Connaissance 3, l'université des séniors, le lundi 13 novembre.
Intitulée Régimes urbains 2.0, la thèse de Sébastien Lambelet revisite la littérature sur le pouvoir urbain publiée depuis l’après-guerre en analysant les modes de gouvernance des villes suisses de Zurich, Winterthour, Berne et Bienne. Elle décortique en particulier les montages de grands projets emblématiques réalisés dans ces villes au cours des années 2000 et 2010 : Europaallee à Zurich, le renouvellement de l’aire Sulzer à Winterthour, Wankdorf-City à Berne, ou encore l’aire Gygax à Bienne.
L’analyse de ces grands projets et des rapports de pouvoir public-privé qui les façonnent démontre que l’existence d’un régime urbain, soit une coopération soutenue entre les autorités municipales et certains partenaires privés d’envergure nationale, est indispensable pour renouveler les villes suisses. Conformément à ce que prédirait la littérature essentiellement américaine sur le sujet, ce régime peut être piloté par des acteurs privés, comme à Zurich (avec CFF Immobilier, dont la stratégie est fortement ancrée vers la recherche du profit) ou à Winterthour (avec Sulzer, puis Implenia).
Néanmoins, l’analyse empirique démontre que la coalition de régime urbain peut également être dominée par les exécutifs municipaux comme c’est le cas à Berne et à Bienne. Pour ce faire, trois conditions principales doivent être remplies. Premièrement, les gouvernements locaux doivent disposer de foncier dans le périmètre du projet en question et l’utiliser stratégiquement dans les négociations avec leurs partenaires privés. Deuxièmement, au lieu d’utiliser la phase d’élaboration du plan de quartier pour accorder des exceptions à leurs partenaires privés comme nous l’observons à Zurich et Winterthour, les gouvernements locaux doivent utiliser leurs prérogatives légales pour imposer leur vision de la mutation territoriale et fixer des contraintes claires aux maîtres d’œuvre (densité, gabarits). Finalement, les exécutifs locaux doivent être capables d’obtenir l’aval du législatif communal puis des citoyens (vote populaire) sans remettre en cause les grandes lignes du projet négociées avec les partenaires privés. S’ils y parviennent, ils peuvent alors utiliser la démocratie directe pour fixer leurs lignes rouges lorsqu’ils négocient avec les privés.
Contrairement à certaines idées reçues, cette recherche doctorale démontre ainsi que les villes qui votent le plus sur les projets de développement sont aussi celles qui tiennent le couteau par le manche lorsqu’il faut négocier avec les maîtres d’œuvre.
17 novembre 2023Actualités 2023