Face-à-face d’embryons: souris contre poulet
– Groupe du Dr Jean-Marc Matter, Section de chimie et biochimie –
Par quels privilèges le poulet a-t-il une vue d’aigle tandis que la souris doit se contenter d’être myope comme une taupe? Les mécanismes complexes de la rétinogénèse et les interrupteurs génétiques non codants y sont pour beaucoup...
Selon la théorie de Darwin sur l’évolution des espèces, il semblerait logique de penser que les gallinacés et les rongeurs ne partagent pas les mêmes acuités visuelles en conséquence de modifications génétiques résultant de la pression environnementale différenciée qui s’est accumulée durant des millions d’années sur les frêles épaules de ces deux espèces animales.
Grâce à des approches biochimiques et biologiques pointues, le Dr Jean-Marc Matter et son équipe ont cependant pu démontrer que le poulet et la souris, mais également l’Homme et plusieurs autres espèces, sont munis du même jeu d’interrupteurs génétiques contrôlant la fabrication de la rétine.
On pourrait alors conclure hâtivement que si les « tableaux de commande » (séquences non codantes de régulation qui asservissent l’expression d’un gène nécessaire à la rétinogénèse) sont identiques, alors l’œil des poulets et des souris devrait être équivalents.
Il n’en est rien ! En effet, les chercheurs ont constaté que les interrupteurs génétiques, bien qu’identiques, ne sont pas enclenchés en même temps et avec la même intensité chez les deux espèces. Avec une coopérativité différenciée entre diverses protéines impliquées dans la régulation, c’est au final une rétine différente qui est construite, le poulet produisant 25 fois plus de neurones rétiniens que la souris.
Cette observation satisfait d’ailleurs parfaitement aux lois de la chimie, qui imposent que les équilibres régissant les réactions (bio)chimiques sont dictés par les concentrations des (bio)molécules impliquées dans les transformations.
Au final, la théorie de l’évolution de Darwin n’est pas ébranlée, mais les résultats obtenus apportent un éclairage plus précis et plus subtil sur les voies de la sélection naturelle.
Références
- T. Rodrigues, M. Krawczyk, D. Skowronska-Krawczyk, L. Matter-Sadzinski, J.-M. Matter. Delayed neurogenesis with respect to eye growth shapes the pigeon retina for high visual acuity. Development 2016, 143, 4701-4712. Disponible en Open access
- F. Chiodini, L. Matter-Sadzinski, T. Rodrigues, D. Skowronska-Krawczyk, L. Brodier, O. Schaad, C. Bauer, M. Ballivet, J.-M. Matter. A positive feedback loop between ATOH7 and a notch effector regulates cell-cycle progression and neurogenesis in the retina. Cell Rep. 2013, 3, 796-807. Disponible en Open access.
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2 nov. 2017