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Exposition maternelle à la violence et psychopathologie des enfants

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Suivis dès l’âge de 12 mois, les enfants de mères souffrant du trouble de stress post-traumatique dû à des violences interpersonnelles de la cohorte Synapsy ont aujourd’hui entre 10 et 15 ans. Ils arrivent donc à maturité, tout comme les nouveaux projets de l’étude visant à comprendre et traiter les troubles liés au stress.

 

Les violences domestiques sont trop présentes en Suisse, déclare d’emblée Daniel Schechter, Directeur médical en recherche périnatale et jeune enfant au Département de psychiatrie SUPEA du CHUV et chercheur Synapsy pour le groupe de travail sur le stress développemental (WP#4) à l’Université de Genève. En 2018, la police suisse a recensé 18 522 infractions de violence domestique, soit seulement 38 % des cas estimés. Les victimes principales sont les femmes, avec 109 décès répertoriés sur 120 pour la période 2009-2018, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). C’est plus que la moyenne mondiale, analysait Eurostat en 2017. Beaucoup de celles qui ne succombent pas vont développer des maladies psychiatriques liées au stress, dont le trouble de stress post-traumatique (PTSD). Pire, elles peuvent transmettre des troubles de l’anxiété et du stress à leur progéniture, comme le démontrent les résultats du chercheur Synapsy.

La relation mère-enfant en cause

Hasard du calendrier, cela fait exactement 20 ans que Daniel Schechter s’intéresse aux effets de l’exposition maternelle à la violence sur la relation mère-enfant et le développement de psychopathologies chez l’enfant. « Tout a débuté en 1998 lorsque j’ai été engagé comme Directeur médical à l’Université Columbia de New York. J’avais hérité de la responsabilité d’une population clinique de familles avec des enfants de 0 à 5 ans ayant subi de mauvais traitements ou risquant d’en subir. Nous avions beaucoup d’informations cliniques sur les enfants, mais très peu sur leurs mères mis à part le fait que la plupart d’entre elles reconnaissaient avoir elles-mêmes subi des traumatismes sévères », raconte-t-il.

Dans les faits, Daniel Schechter a découvert que 90 % de ces mères avaient des symptômes cliniques du PTSD et d’autres maladies liées au stress, ce qui selon lui devait forcément avoir un effet sur la réalité clinique de leurs jeunes enfants. « Elles les perçoivent comme étant incontrôlables, agressifs, autoritaires et utilisent un vocabulaire inapproprié pour décrire le comportement d’un bébé : manipulateur, dangereux ou encore sexy », précise-t-il. Il met alors en place une étude approfondie de ces cas entre 2000 et 2008, avec le soutien de la bourse américaine NMIH Research Career Award. Daniel Schechter examine le lien entre le PTSD maternel et l’interaction comportementale entre elles et leurs très jeunes enfants. Suite à son engagement à l’Université de Genève en 2010, il décide de répliquer son étude new-yorkaise et crée la cohorte du WP#4 en rejoignant Synapsy.

Mères, bébés et écoliers impactés

Lors des deux premières phases de 4 ans du pôle de recherche Synapsy, Daniel Schechter et son équipe ont découvert que les mères PTSD ont une interprétation distordue et négative du comportement de leurs enfants et identifient mal leurs propres difficultés émotionnelles et celles de leurs enfants. Les mères et leurs enfants présentent à la fois des troubles du comportement interactif, un dérèglement physiologique du stress (mesurable au niveau du cortisol salivaire) et une activité neuronale anormale en réponse à des stimuli évocateurs d’émotions. L’activité neuronale des mères lorsqu’elles visionnent des vidéos de leurs enfants pendant le jeu et la séparation montre une hypoactivité corticale préfrontale médiane. Cette activité particulière est prédictive des futures difficultés socioaffectives de leurs enfants. En fait, le comportement interactif des mères traumatisées peut, dans de nombreux cas et sans que les mères en soient conscientes, transmettre du stress et de l’anxiété aux enfants pendant une période sensible de leur développement. Ceci provoque des comportements intrusifs et/ou d’évitements chez l’enfant. Tout cela perturbe la relation mère-enfant en dépit du désir de protection des mères.

Près de quatre ans après leur premier suivi lorsqu’ils n’étaient encore que des nouveaux-nés, les enfants commencent à développer des difficultés. Ces désormais écoliers ont fait l’objet d’un second suivi effectué par électroencéphalographie (EEG) à haute densité, réalisées par Virginie Perrizzolo à l’Université de Genève (lire l’article "Vivre de bitume et d'électroencéphalographie"). Daniel Schechter explique brièvement que « grandir auprès de mères imprévisibles, parfois intrusives et parfois insaisissables émotionnellement, rend les enfants beaucoup plus vigilants sur ce qu’elles font et ressentent. Par conséquent, ils utilisent plus d’énergie cérébrale que la moyenne lorsqu’ils analysent l’émotion dégagée par un visage, en particulier les émotions négatives ».

Développement péripubertaire et gestion du stress

Comme indiqué plus haut, les enfants de mère PTSD sont moins réactifs au stress et montrent de bas niveaux de cortisol (voir encadré) lorsqu’ils y sont exposés. « Néanmoins, comme ces enfants ont tendance à être beaucoup plus vulnérables à l’anxiété et aux maladies liées au stress, ils sont plus stressés dans leur vie de tous les jours », précise-t-il. Il veut désormais comprendre comment leur développement évolue pendant la préadolescence, sachant que la puberté est une période particulièrement stressante en soi.
En parallèle, le chercheur en psychiatrie entend comprendre si une intervention peut aider ces enfants à mieux gérer leur stress. Pour se faire, il compte utiliser des techniques de méditation en pleine conscience (voir article "Méditation Anti-stress"). La cohorte « Mindfullteen » de Camille Piguet et Paul Klauser a été incluse à celle du WP#4 à cet effet. Grâce à l’expertise en imagerie cérébrale de Camille Piguet, des mesures en imagerie par résonnance magnétique (MRI) en condition de stress vont pouvoir être réalisées pour identifier les aires neuronales impliquées.

Retour aux sources

Un binôme de chercheur composé de Virginie Perizzolo et de Dominik Moser, anciens doctorants de Daniel Schechter réengagés pour ce projet, va en outre travailler à l’analyse en modalité croisée des données issues de différentes techniques récoltées jusqu’ici. Finalement, « nous allons travailler à l’héritage de Synapsy en lançant un nouveau projet dont le but est d’aller observer ce qui se passe de la période prénatale à la première année de vie », conclut Daniel Schechter. ●

 

10 mars 2020

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