Vers une logique des significations ()

Chapitre II.
Les dĂ©placements au sein d’une structure d’arbre 1 a

Dans les chapitres prĂ©cĂ©dents, les trajets Ă  suivre sont Ă  inventer par l’enfant. Dans la prĂ©sente Ă©preuve, ils sont donnĂ©s sous la forme d’un arbre et ne sont donc qu’à choisir. Mais ces choix exigent des emboĂźtements et des exclusions, et, comme un arbre est isomorphe Ă  un « groupement » de classification, les implications entre actions intervenant dĂ©s le dĂ©part (qu’elles soient erronĂ©es, donc Ă  corriger, ou d’emblĂ©e correctes) se coordonnent toujours davantage entre elles, d’un niveau de dĂ©velopement au suivant, aboutissant finalement Ă  des opĂ©rations proprement dites d’inclusions et d’exclusions qui sont constitutives d’un tel groupement, d’oĂč leur intĂ©rĂȘt en vue de l’élaboration d’une logique des significations.

L’arbre (fig.2) est prĂ©sentĂ© aux sujets en position couchĂ©e, le tronc principal Ă  gauche et les ramifications se multipliant vers la droite, ce qui exclut un haut et un bas qui pourraient ĂȘtre source d’artefacts. Le tronc principal T se subdivise en deux grosses branches Al et A2. Chacune de celles-ci se divise elle-mĂȘme en deux rameaux B1 et B2 pour Al et B3 et B4 pour A2 : d’oĂč quatre B dont chacune se dichotomise Ă  son tour en deux petites branches : Cl et C2 pour BT, C3 et C4 pour B2‘, C5 et C6 pour B3 et enfin C7 et C8 pour B4. Chacune de ces tiges extrĂȘmes dĂ©bouche sur un garage G, d’oĂč huit G. Le tronc T et tous les rameaux sont creux, de telle sorte qu’une petite voiture introduite en T aboutira forcĂ©ment dans l’un des huit garages G. Quant Ă  savoir lequel et par oĂč elle a passĂ© pour se loger en un G, elle est fixĂ©e Ă  un long et mince ruban qui reste en place de T Ă  G aprĂšs l’arrĂȘt final en G. D’autre part, les deux rameaux A et les quatre segments B sont pourvus chacun de deux petites fenĂȘtres circulaires que l’enfant peut ouvrir puis refermer, de maniĂšre Ă  constater si ce rameau contient ou non un secteur de ruban. La voiture ne fait ni demi-tour ni marche arriĂšre 2.

 

Figure 2

On voit alors la multiplicitĂ© des infĂ©rences et opĂ©rations possibles avec ce matĂ©riel : si le ruban est en Al, cela implique que la voiture est dans l’un des G 1 Ă  4 et cela exclut les G 5 Ă  8’, si le ruban est en A2, il reste que la voiture a passĂ© par B3 ou B4, etc. Or, comme le « groupement » des classifications peut se mettre sous la forme d’un arbre, le prĂ©sent arbre est isomorphe Ă  un tel groupement, de telle sorte qu’aprĂšs avoir analysĂ© certaines des implications sensori-motrices, nous en venons aux implications entre opĂ©rations de groupements en tant que fondĂ©es sur des significations accompagnĂ©es d’énoncĂ©s mais de nature non extensionnelle.

Cela dit, nous avons pu distinguer quatre niveaux : IA et B, II et III.

1. Le niveau IA

Voici des exemples du niveau IA (quatre-cinq ans):

SAB (4 ;7) commence par ouvrir tous les G jusqu’à trouver le bon et, sur demande, montre le chemin qui y a abouti : « Ouvre seulement les F utiles pour trouver. - (Elle ouvre Al) Oui. - Qu’est-ce que ça veut dire ? - Que le R colle Ă  la voiture. - OĂč arrive-t-elle ? - Ici (Gl). Non (elle est en G2). - Dans un autre ? - Non. - Essaie. - (G2 juste). - C’est mieux de commencer par ouvrir les F en A, en B ou en Cl - En C. - Et ouvrir avant, ça aide ? - Non. - En B ? - Non, ça sert Ă  rien. - Et en Cl - Oui. - Pourquoi ? -   ». On met V en G5 : « essaie avec peu de fenĂȘtres. - (Elle ouvre en Al) Non. (En A2,l)m Oui ». Elle ouvre ensuite A2,2, ce qui est inutile puisque c’est le mĂȘme segment, puis fait de mĂȘme en B4,I puis B4,2t « Non ». Elle ouvre nĂ©anmoins C7 et C8, contradictoires avec le vide de B4. Elle passe Ă  B3,l’. « Oui », mais ouvre quand mĂȘme B3,2 (inutile). « Dans quel G elle est ? »: elle montre C4, C3, C2 puis Cl, qui dĂ©pendent de Al et sont donc contradictoires avec A2. Puis montre C5, juste par hasard, mais montrĂ© parce que situĂ© Ă  la suite de C1-C4 qui sont faux. « Et quand il n’y a pas de ruban ? - Ça ne veut rien dire. - Si le ruban est dans Bl, oĂč sera K ? - (Elle montre de G1 Ă  G5 alors que seuls G1-G2 sont justes) ». S’il est donc facile Ă  Sab de remonter des G en T, elle ne parvient Ă  aucun emboĂźtement dans le sens A vers G : « Ouvrir en A, c’est utile ? - Non. - Et en Bl - Non, ça sert Ă  rien ».

XIS (4 ;11): « A c’est utile ? - Non, lĂ  (C). - Et lĂ  (B)l - Non ».

ERI (5 ;8) ouvre au hasard les G. « C’est plus facile en ouvrant d’abord un Al - Non, parce que ça ne va pas en haut ». « Si on ouvrait A ou B, ça irait ? - On pourrait ouvrir les autres, mais les C c’est mieux parce qu’ils sont plus prĂšs du garage ».

DA V (5 ;0) dĂ©bute en C et ouvre sept G avant de trouver le bon (Gl). Sur question, il montre du doigt le chemin suivi, ce qui ne l’empĂȘche pas pour G6 de procĂ©der de mĂȘme par C successifs : « Et ces bouts lĂ  (A), ils sont utiles ? - Non. - Montre en haut par oĂč a passĂ© la voiture. - (Il ouvre B4 alors que l’arrivĂ©e en G6 implique B3). - Elle a passĂ© par là ? - Oui. ici (montre A2 et B4 (G8) et s’étonne du rĂ©sultat ; il corrige en A2. B3, G6 juste). - Essaie de ne pas ouvrir beaucoup de portes : c’est bien ou non d’ouvrir en Al - Oui (Il fait Al en l et en 2 inutile et continue en Bl). - OĂč peut arriver la voiture ? - LĂ  (de Gl Ă  G4 alors que G3 et G4 sont exclus). - Et par lĂ  (G5 Ă  G8)2 - Non, parce que le ruban n’est pas en A2 ». Mais pour G8 il recommence Ă  ne montrer que des C.

Il est clair que si les Ă©lĂ©ments C, B et A Ă©taient des objets directs Ă  emboĂźter par inclusions, le problĂšme prĂ©senterait moins de difficultĂ©. Mais mis en forme infralogique (spatiale) d’arbre oĂč les C procĂšdent par subdivision des B et ceux-ci des A, le « groupement » a beau ĂȘtre isomorphe Ă  une classification, le fait que les positions rĂ©sultent de trajets complique les questions pour le sujet qui se centre sur les positions finales sans dĂ©duire les trajets Ă  partir de leurs sources, ce qui les prive de toute nĂ©cessitĂ© sinon de comprĂ©hension. D’oĂč la pauvretĂ© des implications, qui ne portent guĂšre que sur la reconstitution facile du chemin parcouru, une fois connu son terme en G, et non pas sur l’anticipation du chemin Ă  partir de T aux G. Cette anticipation ne repose, en effet, pas sur des implications simples du type A → B (ou Al → Bl), mais sur une implication telle que l’antĂ©cĂ©dent Al entraĂźne comme consĂ©quence une dichotomie Bl ou B2 dont les termes s’excluent rĂ©ciproquement (symbole w), donc Al → (Bl w B2), etc. Il y a ainsi lĂ  un « groupement » de forme habituelle A + A, = B’, B + B’ = C, etc., mais dont la lecture ou mĂȘme la construction se faisait en sens inverse B → (A w A’); C → (B w B’) et non pas dans le sens direct A, B, C comme dans le cas de la dĂ©duction du chemin parcouru Ă  partir de son terme. Il en rĂ©sulte l’opinion gĂ©nĂ©rale que de partir de T, de A et de B « ne sert Ă  rien » (Sab), est « inutile » (Xis et Dav) et cela parce « la voiture ne va pas en haut » (Eri). En un mot, la caractĂ©ristique de ce niveau I est l’absence d’emboĂźtements dans le sens des trajets Ă  construire malgrĂ© leur facilitĂ© quand ils ne sont qu’à reconstituer.

2. Le niveau IB

Entre ce niveau I et le niveau IIA oĂč dĂ©butent les emboĂźtements systĂ©matiques, on trouve une collection de cas intermĂ©diaires avec un mĂ©lange d’implications correctes de type Al → (B1 \/ B2) et d’infĂ©rences encore non valables, autrement dit le passage d’une mĂ©thode purement empirique (examen plus ou moins exhaustif des C en nĂ©gligeant les chemins) Ă  des procĂ©dĂ©s semi-empiriques et semi-dĂ©ductifs. En un mot, ce niveau IB est caractĂ©risĂ© par des emboĂźtements partiels.

HAD (5 ;6) dĂ©bute par des C, mais au second essai il part de B1 et B3 et, comme ils sont vides, passe Ă  A2 oĂč il voit le ruban, mais il en conclut Ă  C7 et C8 sans passer par les B et trouve la V en G8. « Est-ce que B3 Ă©tait utile Ă  ouvrir ? ». Il rĂ©pond que non au vu de son succĂšs entre A2 et G8 (tous deux en une ligne droite au bas du dipositif). Pour n’essayer qu’avec trois fenĂȘtres, il ne montre que B2 et B3, donc un B sur chaque cĂŽtĂ© A.

RAC (6 ;6) dĂ©bute par B2, puis Bl : « Ah elle est là », puis C2 (juste). Au second essai elle part de A2, puis B4 et C8, ce qui est Ă  nouveau juste, mais au troisiĂšme essai, de l’absence de Al (ouvert deux fois comme si la deuxiĂšme fenĂȘtre allait corriger l’absence de ruban en Al,l), elle conclut directement Ă  C4 et C5 qui sont incompatibles. Puis elle conclut directement de l’absence de Al Ă  B2 qui ne dĂ©rive pas de A2, mais justement de Al. « Ça veut dire quoi que V n’est pas en B11 - Ah ! J’ai tout compris maintenant : elle sera en B2 parce qu’elle est en Al et, aprĂšs, peut-ĂȘtre qu’elle tourne (c’est-Ă -dire s’oriente) en B2 ». Mais, de B2. elle conclut faussement Ă  G8 qui dĂ©pend de B4. Etc. « C’est mieux d’ouvrir en Al - Non, n’importe oĂč. - C’est mieux oĂč ? - En A, B et C ». Elle suit correctement cet ordre au coup suivant, mais ensuite revient (comme au niveau IA) aux Ă©numĂ©rations des C (avec mĂ©lange d’un B). Rac tĂ©moigne ainsi d’alternances bizarres entre dĂ©ductions exactes et rechutes pĂ©riodiques aux fausses infĂ©rences du niveau IA.

G AB (6 ;0) de mĂȘme, Ă  cĂŽtĂ© d’implications exactes, en donne d’aussi fausses que Al → B3 → C4, C3, C2 et Cl.

DAN (6 ;0) dĂ©bute brillamment par A2, B3, C6 : « J’ai trouvĂ©. - Tu aurais pu en ouvrir moins ? - Non ». Il recommence jusqu’à B3 et montre Ă  nouveau C6 : « Il aurait pu ĂȘtre dans un autre G (en fait C5)? - Non. - Tu es sĂ»r ? - Oui (il ouvre C5 et trouve la F) ». « C’est utile de commencer par Al - Des fois on peut commencer par C parce qu’on trouve toujours. - Et par Al - Des fois on trouve, des fois on trouve pas. - C’est mieux en A ou en Cl - Des fois au milieu ».

LA U (6 ; 1 ) ne donne que des infĂ©rences correctes mais faciles en dĂ©butant par A, B, C et il justifie l’arrivĂ©e prĂ©vue en C5 ou C6 « parce quelle a passĂ© en B3 et comme elle ne peut pas traverser les routes de B3 vers B4 alors elle peut seulement ĂȘtre en C5 et C6 ». Par contre, il se rĂ©sume en disant : « Pour voir oĂč elle a sĂ»rement passĂ©, il faut commencer par B parce qu’avec A elle peut aller lĂ  (par le haut) ou lĂ  (par le bas). - Alors ce n’est pas nĂ©cessaire d’ouvrir en Al - En A on ne sait plus aprĂšs dans quelle direction elle va : il faut commencer par B. - Et en Cl - Oui, parce qu’on voit tout de suite. Comme le jeu est fait, ça ne sert Ă  rien de commencer par A et B ». Lau nĂ©glige donc ainsi totalement le « pourquoi » des positions finales, donc la nĂ©cessitĂ©.

MIC (6 ;2) va mĂȘme plus loin : « Pour trouver la voiture, les C ça aide beaucoup, les B ça aide un peu et les A pas du tout ». C’est la nĂ©gation mĂȘme des emboĂźtements.

J AN (6 ;6), qui est presque du niveau lia, dĂ©bute par A, puis B et C et compare Al Ă  A2 ou les B par couples, etc., « parce que tu mets toujours de l’autre cĂŽté » et que « si elle n’a pas passĂ© par lĂ , elle a passĂ© dans l’autre », « et si le ruban n’est pas lĂ , on sait qu’il est dans l’autre ». Mais cela ne l’empĂȘche pas de conclure Ă  la fin que « pour ouvrir le moins de fenĂȘtres, il faut partir des C », sans voir qu’en ce cas il y a huit fenĂȘtres tandis qu’en partant de A trois suffisent.

On constate ainsi que certaines de ces rĂ©actions tĂ©moignent d’emboĂźtements partiels, tandis que d’autres contiennent de fausses infĂ©rences. Le rĂ©sultat en est qu’au fond les positions en G finissent par ĂȘtre toutes trouvĂ©es, mais Ă  titre de situations statiques et non pas de rĂ©sultats nĂ©cessaires des trajets.

3. Les niveaux II et III

Ce n’est que vers sept-huit ans (niveau II) que le rĂ©seau est considĂ©rĂ© dans son ensemble et tend ainsi Ă  constituer un « groupement » opĂ©ratoire. Mais les sujets de ce niveau ne sont pas encore fixĂ©s sur le nombre nĂ©cessaire minimum des fenĂȘtres Ă  ouvrir, ni sur la possibilitĂ© de rĂ©ussir le tout en ne constatant que des absences de ruban, le systĂšme Ă©tant dichotomique en chacune des subdivisions. Il subsiste encore quelques infĂ©rences fausses parfois mais vite corrigĂ©es :

SEB (7 ; 10). « Pour trouver plus vite, il faut commencer en A ou en Cl - En A ». Il donne A2, B3, C5 justes. « On peut savoir combien il faut en ouvrir pour trouver ? - Non, ça dépend des fois ».

BRI (8 ;6) fait A2, B4, C7 (justes). « Tu pourrais trouver en ouvrant moins de fenĂȘtres ? - Je ne sais pas ». Il fait ensuite A2 (vide), Al, B2 (vide), Bl, G2 (vide), G1 (juste). « Si tu ouvres Al et que tu ne vois pas le ruban, c’est utile ? - Oui, ça veut dire qu’il a passĂ© par l’autre ».

DID (8 ;2) passe de Al (vide) Ă  B3 : « Dans quel G peut-elle ĂȘtre ? - En G5. - Ou un autre. - G6. - Et un autre ? - Non, parce qu’elle a passĂ© par B3 et qu’elle ne peut pas revenir en arriĂšre ». « On peut trouver avec combien de Fl - Trois. - Et avec moins ? - Peut-ĂȘtre. - Trois, ça suffit toujours ? - Des fois plus. - C’est possible sans voir le ruban ? - C’est pas possible car s’il n’y a pas de ruban en Al, alors il est en A2. S’il n’est pas en B3, alors il est en B4, et pas en C8, alors dans l’autre (C7). - Alors c’est possible sans voir le ruban ? - Non, car je ne vois pas oĂč il est : il faut voir le ruban. - On ne peut pas savoir Ă  l’avance ? -Non. - Combien en plus si pas trois ? - Cinq. - Montre encore. - Si pas Bl, alors B3. Si pas B3, alors C7. - Tu peux ĂȘtre sĂ»r avec quatre ou cinq fenĂȘtres ? - Oui ».

A un niveau lĂ©gĂšrement supĂ©rieur, les sujets affirment la nĂ©cessitĂ© de commencer dans tous les cas par A et la suffisance de trois fenĂȘtres vides pour trouver la voiture :

YVA (8 ;11) fait A2, B4 (Ă©chec), B3, C6 : « Non, alors elle est en C5 parce que j’ai vu le ruban en A2 et pas lĂ  (B4, etc.); alors la voiture ne peut pas ĂȘtre en G7 et G8. Mais j’ai ouvert une porte de trop parce que si le ruban n’était pas en B4, elle a passĂ© par B3. - On peut arriver avec moins de portes ? - Oui, une de moins. - Encore moins ? - Non, je dois voir si Al ou A2 ».

SAD (8 ;3): « Elle est en G3 parce qu’elle a passĂ© en Al et en B2 et pas en C4. - Il faut commencer par Al - Oui, toujours, parce que quand on ouvre en A on sait dĂ©jĂ  de quel cĂŽtĂ© il est. - Et si on ne voit pas le ruban quelque part ? - Ça aide assez ; si on le voit, ça aide autant. - Et si on ne le voit pas depuis A, on peut le trouver ? - Non, pas possible, il faudra la voir au moins une fois ou deux ».

Ces sujets atteignent ainsi une nĂ©cessitĂ© presque complĂšte, mais Ă  laquelle manque encore celle qui caractĂ©rise le niveau III : la possibilitĂ© de dĂ©terminer le chemin nĂ©cessaire en n’ouvrant que des fenĂȘtres qui se trouvent en fait vides :

VER (9 ;9) dĂ©bute par le niveau II comme c’est normal Ă  son Ăąge, mais suit continuellement l’ordre A, B, C. Mais Ă  partir de la question : « Elle aurait pu prendre un autre chemin pour arriver là ? », elle ne donne que des rĂ©actions du niveau III : « Non, elle Ă©tait obligĂ©e. - Avec combien de fenĂȘtres on le sait ? - Avec trois. - Pourquoi ? - Parce qu’un chemin c’est ça (A2), un autre c’est ces deux (B3 ou B4) et un autre c’est ça (un Q. - On est obligĂ© d’en ouvrir trois ? - Oui, trois est obligatoire. - L’ordre est important ? - (Elle montre les A) On est obligĂ© de commencer par A. - Et quand il n’y a pas de ruban ? - C’est qu’elle est passĂ© dans l’autre ».

CAT (10 ;3): « Si on ouvre Al et qu’on ne voit rien, elle a passĂ© par A2. Si on ouvre B3 et qu’on ne voit rien, alors elle a passĂ© par B4 et s’il n’y a rien en C7, alors elle a passĂ© par C8. Trois c’est toujours suffisant. - Si on voit, ça aide ? - Oui. - Et si on ne voit rien ? - Oui ».

CRI (11 ;1): « Quand on voit le ruban, ça aide ? - Oui. - Et si pas ? - Oui, ça veut dire que s’il n’est pas dans ce cĂŽtĂ©, il est dans l’autre. - Ça aide autant ? - Oui ».

STE (11 ;8). Dans le cas oĂč on ne voit pas le ruban : « Si on saute un trou ici (un B), ça n’aide pas. Si on va dans l’ordre, ça aide. - C’est possible de trouver G sans jamais voir le ruban ? - Oui. - C’est curieux, non ? - Non, il faut (c’est-Ă -dire il suffit de) ĂȘtre logique. - Tout Ă  fait sĂ»r ? - Oui ».

DAC (12 ;11): Trois fenĂȘtres sont nĂ©cessaires « parce qu’il y a trois segments » et « c’est toujours une sorte de contraire (c’est-Ă -dire une dichotomie). - Et si on ne voit pas le ruban ? - C’est comme si on laissait une trace blanche ».

PHA (12 ;2): « Si on ne voit jamais le ruban ? - Oui, on peut trouver en ouvrant trois F ».

Cette nĂ©cessitĂ© en quelque sorte nĂ©gative est donc ce qu’il est le plus difficile d’admettre pour les sujets, mais c’est le critĂšre selon lequel ils sont parvenus Ă  concevoir la totalitĂ© du systĂšme comme un ensemble de dichotomies fournissant les raisons des points d’arrivĂ©e en C et G sans se contenter de constats infĂ©rentiels ou semi-infĂ©rentiels et semi-empiriques. Or, ce systĂšme est un « groupement », quoique spatial (infra- logique) et ne portant pas sur une classification d’objets discrets mais sur des filiations de trajets. Mais en tant que « groupement », il soulĂšve un problĂšme : la construction des classifications est opĂ©ratoirement achevĂ©e vers sept-huit ans avec la comprĂ©hension des inclusions et leur quantification (B > A et B > A’ si B = A + A,), tandis que, dans le prĂ©sent cas, le groupement n’est opĂ©ratoirement achevĂ© que vers dix-douze ans. Or, la raison en est claire autant qu’instructive : les classifications rĂ©ussies vers sept-huit ans sont construites par le sujet selon un ordre ascendant, du particulier au plus gĂ©nĂ©ral, autrement dit sous la forme A + A, = B ; B + B’ = C ; C + C, = D, etc., oĂč les symboles « + » dĂ©signent des conjonctions obligĂ©es. Par contre, dans le prĂ©sent cas, les opĂ©rations demandĂ©es au sujet consistent en reconstructions d’ordres descendants : D = C ou C ; C = B ou B,∙, B = A ou A,, ce qui consiste Ă  remplacer les conjonctions « + » (« et ») par les disjonctions successives « ou ». La raison de ce grand dĂ©calage entre les « ou » et les « et » est alors, semble-t-il, qu’en la construction d’un groupement on se borne Ă  rajouter de nouveaux Ă©lĂ©ments, soit dans les classes dĂ©jĂ  Ă©tablies, soit en une plus gĂ©nĂ©rale qui englobe les prĂ©cĂ©dentes, tandis que dans la marche descendante reposant sur les « ou 
 ou » il s’agit constamment de raisonner sur des « possibles » en considĂ©rant chaque Ă©tage du systĂšme.

4. Conjonctions, disjonctions et opérations binaires

Il est clair que bien avant la comprĂ©hension du systĂšme total de nos trajets les sujets sont capables de certaines disjonctions locales, donc de l’emploi du « ou » en quelques situations particuliĂšres. De mĂȘme dans les Ă©preuves du chapitre I, l’enfant, ayant sorti le chien de sa boĂźte, peut aussi bien le diriger Ă  gauche qu’à droite avant de l’attirer Ă  lui. Ce sont alors les combinaisons Ă©ventuelles et limitĂ©es entre des « et » et des « ou » 3 qui peuvent prendre des formes isomorphes aux seize opĂ©rations binaires de la logique des propositions d’un systĂšme d’ensemble. Il ne s’agit en fait que de coordinations momentanĂ©es d’actions, faisant intervenir Ă  la fois des « et » et des « ou » avec naturellement la possibilitĂ© d’exclusions aussi bien que d’implications positives. De telles coordinations locales, d’apparitions prĂ©coces, se multiplient, cela va de soi, au niveau des « groupements » oĂč, selon la direction des infĂ©rences on a, si B = A + A,, l’implication : si x est un B, il est forcĂ©ment « ou » un A, « ou » un A’.

Cela dit, donnons quelques exemples :

- Il va d’abord de soi que nos trajets reposent sur des implications du type Bl → Al, oĂč la flĂšche → (symbole d’implication) exprime le fait que le passage par Al est une condition prĂ©alable de sa continuation en Bl, tandis que l’implication rĂ©ciproque Al <- Bl indique que le passage en Bl est l’une des consĂ©quences de Al.

- Par contre, il n’y a pas d’implication (p . q pour p → q et p . q pour q → p) dans les relations entre Bl et C5, etc.

- Les liaisons binaires les plus fréquentes sont les conjonctions « et » en ordre ascendant et les disjonctions exclusives « ou » (si p w q) en ordre descendant.

- Les disjonctions non exclusives (p. q N p. q V p. q) s’observent, par exemple, dans le cas oĂč un sujet a sĂ©riĂ© trois Ă©lĂ©ments A < B < C (triplets qui peuvent ĂȘtre trĂšs prĂ©coces) et oĂč il voit bien que si A est seul Ă  ĂȘtre plus petit que les autres et C seul Ă  ĂȘtre plus grand, le « moyen » B est Ă  la fois < et >.

- Il y a incompatibilitĂ© (p. q M p. q V p. q) entre les couples de garages G5, G6 et les couples G7, G8 pouvant s’écrire p. q \/ p. q, les G 1 Ă  4 Ă©tant en ce cas ni p ni q (= p . q).

- La nĂ©gation conjointe peut donc se prĂ©senter trĂšs tĂŽt : dans le cas des instruments du chapitre I, lorsque le sujet comprend comment tirer Ă  soi l’animal dĂ©sirĂ©, il exclut par cela mĂȘme les deux actions de pousser et de dĂ©placer latĂ©ralement, donc p . q.

- Il faut parler d’« équivalence » (p. q w p. q) lorsque le sujet comprend que la situation de dichotomie (« tu mets toujours de l’autre cĂŽté », dit Jan Ă  six ans) se retrouve identique lors de toutes les subdivisions.

- On peut parler de « tautologie » lorsque le sujet considĂšre comme Ă©vident (sans avoir besoin de l’exprimer) que le ruban est en Bl mais pas dans les autres, ou en B2 mais pas dans les autres, ou en B3, etc., ou en B4, etc.

- Par contre, la liaison « zĂ©ro » = « toujours faux » ne consiste qu’en contradictions Ă  Ă©viter, ce Ă  quoi l’enfant n’échappe pas toujours (par exemple, dans les conduites prĂ©instrumentales, quand les plus jeunes sujets n’effectuent que des dĂ©placements erronĂ©s sans encore tirer Ă  soi).

- Restent les liaisons « affirmations » ou « nĂ©gations » de p indĂ©pendamment de q (donc p. q V p. q, etc.) ou de q indĂ©pendamment de p : mais elles vont de soi Ă  tout Ăąge et il est inutile d’en parler.

On voit ainsi qu’indĂ©pendamment des systĂšmes d’ensemble tels qu’ils ne deviennent possibles qu’au niveau des opĂ©rations formelles propres Ă  la pensĂ©e hypothĂ©tico-dĂ©ductive et au groupe INRC, on trouve dĂšs les niveaux Ă©lĂ©mentaires des coordinations partielles et parfois seulement momentanĂ©es qui prĂ©sentent des formes comparables aux seize opĂ©rations binaires de la logique classique. Or, ce fait est important du point de vue d’une logique des significations en montrant que dĂšs les dĂ©parts les « formes » sont en partie dĂ©pendantes des contenus tout en Ă©tant nĂ©cessaires Ă  leur assimilation.

Le second enseignement important de cette recherche est de nous montrer que l’une des conditions essentielles et mĂȘme constitutives de la pensĂ©e formelle (niveau III) est le pouvoir tardivement acquis de coordonner de façon systĂ©matique et permanente les « et » et les « ou », donc les deux dĂ©marches ascendante et descendante susceptibles de parcourir un systĂšme donnĂ©.