Vers une logique des significations ()
Conclusions de la premiere partie 1 a đ
1. Les faits rĂ©unis en cet ouvrage dĂ©crivent les formes gĂ©nĂ©tiques Ă©lĂ©mentaires aboutissant Ă la formation des opĂ©rations et des structures qui rĂ©sultent de leurs compositions nĂ©cessaires. Comme constatĂ© en chaque chapitre, ces racines gĂ©nĂ©tiques consistent constamment en significations et en implications entre elles, et cela Ă partir dâimplications entre actions, demeurant initialement implicites avant leur prise de conscience et leur formulation finale en Ă©noncĂ©s.
A titre de conclusions, il nous reste Ă classer les diverses variĂ©tĂ©s observĂ©es de significations et dâimplications entre significations . A commencer par les plus simples, il faut partir de la signification des prĂ©dicats : on peut les dĂ©finir comme lâensemble des ressemblances et diffĂ©rences entre une propriĂ©tĂ© observĂ©e sur un objet et les autres prĂ©dicats simultanĂ©ment enregistrĂ©s ou dĂ©jĂ connus.
Les prĂ©dicats sont donc liĂ©s entre eux par les prĂ©opĂ©rations de « conjonctions » qui peuvent ĂȘtre « obligĂ©es » (câest-Ă -dire nĂ©cessaires, avec donc implication mutuelle, comme entre la prĂ©sence dâune forme et celle dâune grandeur) ou « libres » (donc contingente, comme entre une forme et une couleur) 2. Mais entre ces deux formes de conjonction, nous avons observĂ© chez les plus jeunes sujets ce que nous avons appelĂ© des « prĂ©dicats couplĂ©s » (chap. IV), reliĂ©s par des rapports de conjonctions « pseudo-obligĂ©es » (comme si la grandeur de lâĂ©lĂ©ment mĂ©dian en une sĂ©riation se modifiait en changeant de position).
Cela dit, un objet consiste en un ensemble de prĂ©dicats conjoints et sa signification revient à « ce quâon en peut faire », donc Ă lâassimilation Ă un schĂšme dâaction (quâil sâagisse dâune action matĂ©rielle ou mentale).
Quant aux actions elles-mĂȘmes, leur signification se dĂ©finit par « ce Ă quoi elles aboutissent » en fonction des transformations quâelles produisent dans les objets ou les situations sur lesquelles elles portent. Quâil sâagisse de prĂ©dicats, dâobjets ou dâactions, toutes leurs significations impliquent donc des activitĂ©s du sujet, en interaction avec des rĂ©alitĂ©s soit extĂ©rieures ou physiques, soit engendrĂ©es antĂ©rieurement par le sujet lui- mĂȘme comme les ĂȘtres logico-mathĂ©matiques.
On peut par ailleurs distinguer des degrĂ©s dans ces significations, selon quâelles demeurent « locales » en tant que relatives Ă des donnĂ©es limitĂ©es et Ă des contextes particuliers, ou deviennent « systĂ©miques », en tant que prĂ©parant la construction de structures, ou enfin « structurales » en tant que portant sur les compositions internes de structures dĂ©jĂ constituĂ©es.
Quand Ă la signification des significations, nous dirons quâelles sont les seuls instruments de la comprĂ©hension, par opposition aux simples constats qui, avant dâĂȘtre revĂȘtus de significations, ne fournissent que des extensions, sans intelligibilitĂ© par elles-mĂȘmes. Il nây a donc pas lieu de retenir comme essentielle lâopposition quâĂ©tablissait Frege entre Sinn (le sens) et Bedeutung (la connotation), celle-ci Ă©tant dĂ©terminĂ©e par celle-lĂ et les « tables de vĂ©rité » purement extensionnelles Ă©tant Ă remplacer par des extensions variables subordonnĂ©es aux significations.
2. Cela dit quant Ă ce que nous avons pu prĂ©ciser au sujet des significations, rappelons maintenant ce quâelles nous ont appris quant aux implications. Or, ces deux problĂšmes sont liĂ©s de façon indissociable, car si toute vĂ©ritĂ© repose sur des significations, et si celles-ci consistent, sous toutes leurs formes en des attributions de schĂšmes aux prĂ©dicats, objets ou actions, il va de soi quâil ne saurait exister de schĂšmes ou de significations isolĂ©s et quâil intervient toujours de multiples liens entre eux. Cela revient Ă dire quâĂ tous les niveaux, si bas que lâon descende, toute connaissance comporte une dimension infĂ©rentielle, si implicite ou Ă©lĂ©mentaire soit- elle. En dâautres termes, lâemploi de toute signification suppose et entraĂźne celui de certaines implications dont il convient de rappeler maintenant la nature et les diverses variĂ©tĂ©s.
Nous avons dâabord Ă©tĂ© conduits Ă remplacer lâimplication extensionnelle classique p â q = (p. q V p. q V p. q) ou p dans p . q est tout de qui nâest pas p (et non pas le complĂ©mentaire de p sous q) par ce que nous avons appelĂ© « lâimplication signifiante » A â B si au moins une signification de B est englobĂ©e (inhĂ©rence) dans celle de A et si cette signification est transitive (celle de C est englobĂ©e dans celle de B puis celle de D en celle de C, B, A, etc.).
La consĂ©quence de cette dĂ©finition de lâimplication signifiante est que, toute action comportant une signification en plus de son aspect causal (ou dâeffectuation matĂ©rielle), il doit exister des implications entre actions, câest-Ă -dire entre leurs significations. Il y a lĂ un fait fondamental, dĂ©passant de beaucoup lâensemble des implications entre Ă©noncĂ©s et intervenant dĂšs le dĂ©part en ce que nous avons appelĂ© la logique des actions en tant que substrat indispensable Ă la logique opĂ©ratoire.
Avant de montrer leurs rapports, notons dâabord que ces implications entre actions, comme dâailleurs entre Ă©noncĂ©s, peuvent se prĂ©senter sous trois formes : (1) une forme proactive (que Peirce appelait « prĂ©dictive ») consistant Ă dire que si A â B, les B consistent en consĂ©quences nouvelles dĂ©rivĂ©es de A-, (2) une forme rĂ©troactive (que Peirce appelait « rĂ©tro- dictive ») exprimant le fait que B implique A Ă titre de condition prĂ©alable ; et (3) une forme justificatrice si elle relie les formes (1) et (2) par des connections nĂ©cessaires atteignant ainsi les « raisons ». Mais il est Ă rappeler que la raison R dâune vĂ©ritĂ© nĂ©cessaire nâest jamais isolable et soulĂšve tĂŽt ou tard le problĂšme de la raison Râ de cette raison R, et ainsi de suite en une spirale dialectique qui sâajoute aux interconnections entre les implications de type (1) et (2). Cette spirale est due au fait que la rĂ©alitĂ© recule Ă mesure que le sujet sâen rapproche, et cela parce que soulevant de nouveaux problĂšmes au fur et Ă mesure quâelle est mieux connue.
3. Le propre de ces diverses liaisons initiales que nous venons de rappeler est de constituer chacune, puis entre elles, des fragments de structures, qui se coordonnent progressivement jusquâĂ la constitution des « groupements » Ă partir de sept- huit ans. Mais lâintĂ©rĂȘt de ces Ă©bauches de structurations, dues aux interactions entre significations, est de prĂ©parer la formation, non seulement des groupements du niveau des opĂ©rations concrĂštes, mais encore des seize opĂ©rations plus complexes correspondants aux seize casiers des tables de vĂ©ritĂ©, interprĂ©tĂ©es en termes de significations et non pas sous leur forme purement extensionnelle. Câest ainsi que nous avons assistĂ© Ă la formation prĂ©coce dâintersections, dâincompatibilitĂ©s, etc., mais au plan des actions et non pas des Ă©noncĂ©s, ce qui montre une fois de plus le rĂŽle formateur gĂ©nĂ©ral de la logique des actions, et des implications entre actions, source des implications signifiantes par opposition aux implications extensionnelles.
Mais, comme dĂ©jĂ dit, si lâon veut constituer une logique des significations, il convient de distinguer diffĂ©rentes formes de connecteurs « et » et « ou » ainsi que de nĂ©gations, de telle sorte quâon aboutisse Ă plus dâopĂ©rations que les seize opĂ©rations de la logique extensionnelle. Les conjonctions « et » peuvent ĂȘtre « obligĂ©es » et alors p . q devient p <=> q ou « libres » avec p . q sans rapports nĂ©cessaires, dâoĂč Ă©galement deux sortes de « ou » et dâintersection. Les nĂ©gations sont toujours relatives Ă des rĂ©fĂ©rentiels et peuvent donc ĂȘtre « proximales » (A = B â A, si le rĂ©fĂ©rentiel est B) ou « distales » Ă des degrĂ©s divers, etc.
Dans la seconde partie de cet ouvrage, R. Garcia proposera de reprendre lâensemble de ce que nous avons nommĂ© une logique opĂ©ratoire, mais sur la base des seules significations.