Vers une logique des significations ()

Chapitre VIII.
Significations d’assemblages 1 a

Le chapitre qui suit sera divisĂ© en trois sections dont le point commun est qu’elles portent sur des constructions ou transformations d’assemblages relatives Ă  des structures ou « groupements » de sĂ©riations ou de classifications.

Section I.
Les modifications d’une seriation 2

La technique de cette premiĂšre recherche est extrĂȘmement simple : une fois construite une sĂ©riation de neuf clous de hauteurs diffĂ©rentes, disposĂ©s verticalement, on demande de dĂ©signer et de dĂ©crire l’élĂ©ment « moyen » (M), donc le cinquiĂšme. Puis on demande comment faire pour que ce « moyen » devienne « le plus grand » ou qu’il devienne « le plus petit » en utilisant une rĂ©serve de clous.

1. Le niveau I

Les sujets d’un niveau initial IA trouvent diffĂ©rentes solutions :

XAV (4 ;5) prend un plus petit pour le mettre Ă  la place du moyen et dĂ©clare qu’« /7 faut le tirer comme ça » en montrant comment l’allonger Ă  ses deux extrĂ©mitĂ©s, ce qui suppose donc la non-conservation de sa longueur.

FRE (4 ;6) prend le plus grand des clous et le place au milieu, mais constate que cela détruit la sériation et se borne alors à déclarer : « je n arrive pas ».

CAR (4 ;4). Pour que le moyen devienne le plus grand, elle se contente de dire qu’« il faut changer » sa position et elle le met en tĂȘte de la sĂ©rie avant les plus grands ; pour en faire le plus petit, elle le place Ă  l’autre bout Ă  la fin des plus petits. « Qu’as-tu fait ? - J’ai changĂ© de place », comme si, une fois la sĂ©riation correctement construite par le sujet avec la place des grand/moyen/petit dĂ©terminĂ©e par la grandeur des Ă©lĂ©ments, ces places confĂ©raient la grandeur aux Ă©lĂ©ments.

ERI (4 ; 10) met le plus grand à la place du moyen mais obliquement, en reliant les autres qui sont ordonnés en deux verticales ordonnées et dit : « Il a mangé et il est devenu un peu plus grand ».

AND (5 ;6). Pour que le moyen M devienne le plus grand, elle le met Ă  la place du plus grand et celui-ci Ă  la place du M. Elle fait de mĂȘme avec le plus petit clou pour que le M devienne le plus petit de tous. On mĂ©lange ensuite les clous en demandant de faire d’un moyen « le plus grand »; elle le met Ă  cĂŽtĂ© d’un petit ce qui lui confĂšre Ă  ses yeux une nouvelle grandeur.

DAR (4 ;11) met un des plus grands sur le moyen pour l’allonger, ou l’un des petits sur le mĂȘme M pour qu’il rapetisse.

J EN (6 ;6) place le plus grand clou sur le M pour l’agrandir, puis met sur M le plus petit de tous pour le rapetisser, comme si cela ne l’agrandissait pas Ă©galement mais simplement un peu moins.

DAV (6 ;0) construit toute la sĂ©rie en une grande verticale et met le M Ă  son sommet. Pour rendre le mĂȘme M plus petit, elle met simplement le plus petit Ă  la place de M. « Et pour qu’il soit moyen ? - Il faut le laisser moyen, sinon il ne sera plus moyen ».

Aucun de ces sujets ne comprend donc la conduite si simple consistant Ă  enlever les Ă©lĂ©ments plus grands que M pour que celui-ci devienne le plus grand, ou Ă  enlever les termes plus petits que M pour rendre celui-ci le plus petit des restants. Autrement dit, ces rĂ©actions ne consistent pas en compositions de relations mais en demeurent Ă  ce que nous appelions des « prĂ©dicats couplĂ©s » au chapitre prĂ©cĂ©dent. Le plus frĂ©quent d’entre eux ne consiste qu’à « changer de place », comme dit Car, et Ă  mettre M en tĂȘte ou en queue de la sĂ©rie, comme si c’était la place occupĂ©e qui dĂ©terminait la grandeur et non pas l’inverse. Pour certains, ce dĂ©placement agit matĂ©riellement sur M qui change alors de longueur rĂ©elle : « Il a mangĂ© et il est devenu un peu plus grand », dit Eri. Pour d’autres, il faut par contre le tirer Ă  ses deux extrĂ©mitĂ©s lors du changement de position, d’oĂč Ă  nouveau une absence de conservation (Xav). Chez d’autres, le voisinage de M avec les grands ou les petits suffit Ă  le modifier (And), mĂȘme si on le place Ă  cĂŽtĂ© d’élĂ©ments sĂ©riĂ©s et non pas Ă  l’intĂ©rieur de la sĂ©rie. Eri divise la sĂ©rie en deux colonnes verticales et les relie par un M oblique qui est alors censĂ© devenir ainsi le plus long de tous. D’autres se contentent d’allonger M en mettant au-dessus de lui un Ă©lĂ©ment parmi les grands (Dar et Jen).

En un mot, il n’y a lĂ , malgrĂ© un alignement initial correct, aucune composition opĂ©ratoire des relations en jeu, celles-ci Ă©tant remplacĂ©es par ces semi-relations consistant en « prĂ©dicats couplĂ©s » fondĂ©s sur le rapport gĂ©nĂ©ral « aller avec ».

A un niveau IB, on retrouve des conduites analogues, mais avec des corrections conduisant finalement Ă  la solution consistant Ă  dissocier la sĂ©riation 1 Ă  9 en deux sĂ©ries telles que la premiĂšre allant de 7 Ă  5 ait comme Ă©lĂ©ment le plus grand M (l’élĂ©ment mĂ©dian) et l’autre allant de 5 Ă  9 ait M comme plus petit Ă©lĂ©ment.

/177 (4 ;3) débute en IA, puis construit une suite non sériée et met en son centre un M relativement grand, puis pour le rendre « le plus petit », il le couche simplement en position horizontale alors que les autres éléments sont verticaux. Mais il parvient à la solution correcte en sériant le tout et en le divisant ensuite en deux séries partielles 7-5 et 5-9 remplissant les deux conditions.

KAT (6 ;0) tĂątonne Ă©galement, puis sitĂŽt que l’expĂ©rimentateur sĂ©pare les 7-5 des 5-9, il comprend d’emblĂ©e que l’ancien M devient « le plus petit » comparĂ© aux grands et « il est le plus grand » (des 7-5), mais « il est le moyen aussi ».

ARC (6 ;4) sacrifie la sĂ©riation pour mettre M plus grand que d’autres, puis plus petit que le reste. AprĂšs quoi il trouve la solution astucieuse de ranger le tout en un toit dont le sommet est M, ce qui le rend plus grand que les Ă©lĂ©ments latĂ©raux tout en lui conservant la position de moyen entre trois clous Ă  droite et trois Ă  gauche. Mais il n’y a pas de solution pour le plus petit.

BID (7 ;11) enlĂšve d’emblĂ©e les plus grands que M, qui devient ainsi lui- mĂȘme le plus grand, puis fait de mĂȘme avec les plus petits : « On enlĂšve tout, il reste lui et il est le plus petit. Non, il reste tout seul (il rit), ça va pas ». Il revient alors Ă  une solution propre au niveau IA en mettant le M Ă  cĂŽtĂ© du plus petit de la sĂ©rie. Puis il trouve la solution correcte en enlevant de la sĂ©riation soit les grands, soit les petits, ce qui rend M le plus grand ou le plus petit des restants, mais il exprime alors ce rĂ©sultat en termes de prĂ©dicats couplĂ©s.

KAR (7 ;6) de mĂȘme dĂ©bute en IA, puis construit un toit et l’analyse en termes de couples : « Avec celui-lĂ , il a rapetissĂ© et avec celui-lĂ , il est le plus grand ».

On voit ainsi que le palier IB est un niveau de transition entre les prĂ©dicats couplĂ©s et les relations composables, se manifestant entre autres par la solution en forme de toit, celle-ci sacrifiant la sĂ©riation simple par une double sĂ©rie d’élĂ©ments Ă  sommets ascendants et descendants (sans base horizontale).

2. Le niveau II

DÚs sept-huit ans, la solution est trouvée dÚs le début par élimination des plus grands ou des plus petits pour faire de M le plus grand ou le plus petit tout en restant le moyen dans la série complÚte :

SAC (7 ; 10) dĂ©clare d’abord la solution « impossible : de toute façon il restera ce qu ’il est ». Puis il coupe la sĂ©rie en deux et montre que M est le plus grand de l’une de ces demi-sĂ©ries, le plus petit de l’autre et le moyen du tout.

CEL (8 ;6). « On n’a qu’à enlever ceux-lĂ  (1-4) et M devient le plus grand et ce sera celui-lĂ  (nouveau mĂ©dian) le nouveau moyen ».

NAT (8 ;1). « Là (série de départ) il est le moyen. On enlÚve ça (les plus grands) et il est le plus grand. Et si on enlÚve ça (les plus petits), il est petit. - Et si je le mets au bout (de la série complÚte)? - Il est toujours le moyen ».

FLO (8 ;10). Pour rendre M le plus grand, on n’a qu’à enlever les plus grands. « Et pour en faire le plus petit ? - On fait le contraire ».

3. Conclusion

L’intĂ©rĂȘt de cette recherche est ainsi de mettre en Ă©vidence le rĂŽle des significations des prĂ©dicats et des compositions elles-mĂȘmes. Pour ce qui est des premiers, on peut en distinguer de trois sortes :

(1) les « prĂ©dicats couplĂ©s » de façon indissociable, tels que la grandeur d’un Ă©lĂ©ment et sa place dans la sĂ©rie, comme si, en changeant cette position, on modifiait du mĂȘme coup la grandeur de l’élĂ©ment (niveau IA).

(2) Un autre couplage plus raffinĂ© consiste Ă  croire que « mettre ensemble » un grand Ă  cĂŽtĂ© de petits ou l’inverse modifie par contagion ces Ă©lĂ©ments devenus voisins.

(3) Enfin, les prĂ©dicats sont relativisĂ©s, les termes de « grand » et de « petit » n’ayant de sens que par rapport Ă  des rĂ©fĂ©rentiels, ce qui les rend essentiellement relatifs : « grand » signifie alors « plus grand que x » et « petit » Ă©galement. Cette Ă©volution de la signification des prĂ©dicats est alors indissociable d’une transformation des modes de coordination, procĂ©dant d’un simple arrangement figurai Ă  une composition des relations comme telles, qui ne s’affirme qu’au niveau du dĂ©but des opĂ©rations concrĂštes, donc au niveau IL Autrement dit, Ă  l’évolution des significations correspond un dĂ©veloppement des implications entre actions, dont l’un des caractĂšres essentiels est de ne pas constituer de pures « formes », mais de dĂ©pendre Ă©troitement de leurs contenus.

Section II
Significations d’assemblages et de leurs raisons internes 3

4. Classifications à éléments variables

Nous avons beaucoup Ă©tudiĂ© jadis, avec B. Inhelder 4, la formation des classifications, mais en nous bornant Ă  employer la plus simple des techniques qui s’imposaient : donner Ă  l’enfant un certain nombre d’objets et lui demander de les arranger comme il l’entendait, sans procĂ©der en cours de route Ă  des adjonctions ou suppressions d’élĂ©ments. Dans ce qui suit, oĂč on cherchera Ă  dĂ©gager les significations et liaisons propres au dĂ©tail des conduites, il s’agira de faire varier les contenus de maniĂšre Ă  pouvoir analyser les rĂ©actions Ă  ces modifications successives des objets Ă  classer.

Le matériel consiste en deux grandes bougies blanches, trois bougies moyennes et rouges, cinq petites bougies rayées (bleu-blanc) et en sept bougies rondes et jaunes.

On se livre alors aux manipulations suivantes en demandant chaque fois comment il faut nommer ou caractĂ©riser l’ensemble prĂ©senté :

la : on prĂ©sente Ă  l’enfant une boĂźte dans laquelle on introduit sous ses yeux une grande bougie blanche, puis on ferme la boĂźte et on demande Ă  l’enfant ce qu’il faut Ă©crire sur une Ă©tiquette pour connaĂźtre le contenu de la boĂźte.

1b : puis on ouvre la boĂźte et on ajoute une bougie rouge moyenne. On demande alors Ă  l’enfant s’il est nĂ©cessaire de faire une nouvelle Ă©tiquette : si l’enfant rĂ©pond affirmativement, il nous dictera une nouvelle Ă©tiquette ; et ainsi de suite pour chaque modification de contenu de la boĂźte.

le : on ajoute une petite bougie rayée bleu-blanc.

Id : on ajoute une bougie ronde jaune.

Puis, on procĂšde de mĂȘme dans l’ordre dĂ©croissant : le : on retire une bougie ronde jaune.

1b : on retire une petite bougie rayée bleu-blanc.

la : on retire une bougie moyenne

(On se propose de distinguer deux groupes d’enfants, le premier commençant par l’ordre croissant des bougies et le second commençant par l’ordre dĂ©croissant, pour dĂ©terminer si le mode de prĂ©sentation joue un rĂŽle dans l’attribution des significations).

2a : on présente deux grandes bougies blanches dans la boßte et on demande une étiquette.

2b : on ajoute deux bougies moyennes rouges.

2c : on ajoute deux petites bougies rayées bleu-blanc.

2d : on ajoute deux bougies rondes jaunes.

(Puis on procùde comme dans la premiùre situation en enlevant chaque fois deux bougies en suivant l’ordre inverse).

3a : on prĂ©sente une grande bougie blanche et une Ă©tiquette. 3b : on ajoute trois bougies moyennes rouges et une Ă©tiquette. 3c : on ajoute cinq bougies rayĂ©es bleu-blanc et une Ă©tiquette. 3d : on ajoute sept bougies rondes jaunes et une Ă©tiquette. (Puis on procĂšde dans l’ordre inverse en enlevant chaque fois une catĂ©gorie de bougies comme dans les deux prĂ©cĂ©dentes situations. Dans chaque type de situation, on se propose donc de distinguer deux groupes d’enfants, le premier commençant dans l’ordre croissant, le second dans l’ordre dĂ©croissant).

On observe alors trois niveaux. Le premier (quatre-six ans) est caractĂ©risĂ© par l’emploi de prĂ©dicats absolus sans connotations relationnelles. Le second (six-neuf ans) est celui de l’insertion en des classes partielles qui ne sont pas insĂ©rĂ©es au titre de sous-classes dans une classe englobante totale, le troisiĂšme (dix-douze ans) atteint par contre ce statut de « groupement » hiĂ©rarchique. Notons que si la rĂ©ussite n’est atteinte qu’aprĂšs neuf ans, c’est qu’à chaque adjonction ou suppression d’élĂ©ments, de tels groupements Ă  contenus variables sont plus difficiles Ă  Ă©laborer que les groupements Ă  contenus inchangĂ©s, donc Ă  sous-classes stables (comme c’est le cas dĂšs sept-huit ans avec les techniques habituelles). L’intĂ©rĂȘt de la prĂ©sente technique est donc de multiplier les significations et les liaisons infĂ©rentielles ou implications entre actions.

Voici des exemples du niveau IA :

TIE (3 ;7) est d’accord qu’il s’agit de bougies mais qu’il appelle « crayons » et que les rondes sont aussi des bougies dont on peut allumer la mĂšche : « C’est quoi ?- Des boules pour allumer ». Mais quand on lui demande de nommer l’ensemble contenu dans une boĂźte, il se borne Ă  une Ă©numĂ©ration : « Un crayon bleu, non un blanc, un rouge, un crayon avec des lignes blanches (= dĂ©jĂ  dĂ©signĂ© sur le bleu). - Mais tu peux dire un seul mot pour tout ce qu’il y a dans la boĂźte ? - Oui, deux crayons blancs, deux roses et deux petits. - Mais si on met tout ensemble ? - Un arbre, ça ressemble Ă  un arbre. - Et tu peux me faire deux tas pour mettre ce qui va bien ensemble dans chaque tas ? - (Il fait deux tas identiques par correspondance terme Ă  terme) ».

MAR (4 ; 1 ) procĂšde aussi par Ă©numĂ©ration des contenus, et pour deux sous-classes (deux boĂźtes) met aussi deux ensembles identiques par correspondance. « Tu peux dire en un seul mot ce qu’il y a dans la boĂźte ? - Des roses, des bleues, des jaunes (boules) et des blancs ». (En outre, la grande bougie blanche sera dĂ©finie comme « blanche » tout au long de l’expĂ©rience, quel que soit le contexte).

A un niveau IB, les rĂ©actions sont les mĂȘmes sauf qu’un objet peut prĂ©senter deux prĂ©dicats conjoints, mais demeurant absolus :

SIM (5 ;2). « Si je prends les deux ensemble ? - Des blanches et des blanches. - Et si je ne les vois pas, comment tu me les décriras ? - Des blancs, mais un est petit et un est grand ».

A partir d’un niveau II, il y a un dĂ©but de formation de petites classes disjointes avec mises en relation des prĂ©dicats. C’est ainsi que la grandeur donnera lieu aux trois degrĂ©s : grands, moyens et petits. D’autre part, un mĂȘme objet peut ĂȘtre dĂ©fini tantĂŽt en fonction de sa couleur, tantĂŽt de sa grandeur et tantĂŽt de sa forme. En particulier, les « rondes » et les allongĂ©es constituent deux classes, mais sans termes gĂ©nĂ©riques pour ces derniĂšres :

TOI (5 ;5) nomme d’abord les ensembles en fonction du nombre de leurs Ă©lĂ©ments : « LĂ . il y a deux bougies et lĂ  une », « lĂ  on en a quatre et puis c’est tout », etc., mais il en vient Ă  la grandeur et distingue alors trois petites classes sĂ©riables : « Comment tu les appelles ? - Une qui est grande, trois sont petites et cinq encore plus petites ». La division en deux tas donne pour l’un « les grosses, les moyennes et les petites » et pour l’autre « c’est toutes les bougies rondes », sans qu’il y ait identitĂ© ou correspondance terme Ă  terme entre ces deux tas comme aux niveaux prĂ©cĂ©dents. L’ensemble total donne lieu Ă  un dĂ©but de terme gĂ©nĂ©rique : « boĂźte toute pleine de bougies », mais il suffit d’en enlever une pour provoquer un retour Ă  l’énumĂ©ration.

JOS (7 ;6) dĂ©bute par des Ă©tiquetages par Ă©numĂ©ration des contenus. « Et en un mot ? - On peut marquer ‘bougies’. - Et si tu fais deux tas ?- (Sans hĂ©siter, elle met dans l’une les rondes et dans l’autre le reste) LĂ  il y a les ronds et lĂ  les longs ».

CAR (7 ;4). MĂȘmes Ă©tiquetages initiaux. Puis on lui demande de construire des sĂ©ries qui aillent bien ensemble et elle construit cinq paquets sĂ©riĂ©s, par couleurs et formes : trois paquets de rondes par couleurs et les autres par grandeurs.

STE (8 ;0) range les sous-classes « par couleurs ». « On peut faire autrement ? - Oui, par grandeurs. - Et pour le tout ? - Les bougies de toutes les couleurs ».

Ce niveau II est donc Ă  mi-chemin entre les classes disjointes et les classes englobantes, les premiĂšres demeurant la plupart du temps les prĂ©fĂ©rĂ©es. Il y a donc relativisation des prĂ©dicats, ce qui, du point de vue des implications entre actions, comporte deux consĂ©quences. D’une part, l’enregistrement d’un prĂ©dicat entraĂźne une sorte de « conjonction obligĂ©e » avec ceux de mĂȘme nature, mais en mĂȘme temps la constatation des diffĂ©rences conduit Ă  une diffĂ©renciation de nouvel les sous-classes. Toute la construction des « groupements » opĂ©ratoires consiste alors en une synthĂšse Ă©quilibrĂ©e des similitudes et des oppositions, ce qui est en bon chemin dĂšs ce niveau II mais ne s’achĂšve qu’avec le niveau III, dont voici un exemple :

FR A (11 ;11) part de la classe la plus englobante et rĂ©unit d’emblĂ©e le tout en proposant comme Ă©tiquette le terme gĂ©nĂ©rique de « bougies diverses, parce qu’aucune n’a la mĂȘme forme ; il y en a qui ont la mĂȘme forme, mais qui sont les plus petites et les plus grandes 
 et d’autres de couleurs diffĂ©rentes et (en mĂȘme temps) pas de la mĂȘme grandeur. Ce n ’est donc pas trĂšs prĂ©cis ». Lors des adjonctions ou suppressions, « de toute façon ce sera la mĂȘme chose qu’avant ou bien quelque chose d’autre »; ce qui la conduit Ă  proposer une sĂ©rie de sous-classes possibles dont la rĂ©union ramĂšne Ă  la dĂ©nomination initiale de « bougies diverses ».

Certains sujets, pour unifier cette diversitĂ©, se bornent Ă  caractĂ©riser les sous-classes par le nombre de leurs Ă©lĂ©ments, mais ce n’est que provisoire, ensuite ils raisonnent comme Fra.

Section III
Transformations de structures 5

Le problĂšme Ă  examiner maintenant consiste Ă  prĂ©senter au sujet certains objets reliĂ©s en une structure d’ensemble et de voir si avec un autre contenu il sera capable de reconstituer la mĂȘme structure. Or, nous avons vu plus haut que la structure sĂ©riale semble si prĂ©gnante qu’elle suffit mĂȘme Ă  modifier les grandeurs attribuĂ©es aux Ă©lĂ©ments selon la place qu’ils occupent. Mais Ă  notre Ă©tonnement, nous allons voir que la sĂ©riation elle-mĂȘme n’est pas toujours imitĂ©e ou reconstituĂ©e lorsqu’on prĂ©sente d’autres contenus Ă  ordonner. A fortiori il en sera de mĂȘme de structures plus complexes (emboĂźtements, intersections, etc.) en utilisant des contenus aussi variĂ©s que cinq clous, des triangles similaires de surfaces diffĂ©rentes ou des bracelets (cercles de diamĂštres croissants), des cartes reprĂ©sentant un, trois, cinq, sept ou neuf souris, dix rectangles de couleurs diffĂ©rentes, des cylindres de diamĂštres croissants avec alternances de blancs, de noirs, etc. La technique consiste Ă  sĂ©rier les clous devant le sujet ou Ă  prĂ©senter d’autres contenus structurĂ©s et Ă  demander de structurer de la mĂȘme façon les diffĂ©rents contenus.

5. Sériations

On retrouve trois niveaux principaux. Voici des exemples du premier :

INA (4 ;6), avec un modĂšle consistant en cinq clous bien sĂ©riĂ©s, croit le reconstituer correctement en formant un simple alignement mais sans ordination (1, 5, 4, 2, 3): « C’est pareil ? - Oui. - Tu es sĂ»re ? - Oui. - Comment faire pour avoir exactement la mĂȘme chose ? - (Elle les retourne : pointe en bas et base en haut mais dans le mĂȘme ordre). - Tu peux faire de mĂȘme avec les souris ? - Comme ça (de nouveau un simple alignement, sans tenir compte du nombre). - Et avec les bracelets ? - (Alignement irrĂ©gulier) ».

CAR (4 ;4). MĂȘme modĂšle. Elle donne quatre Ă©lĂ©ments (et non cinq), irrĂ©guliers : « Comment je les ai mis ? - (Elle donne l’ordre des siens). - Et comme ça (mĂȘme ordre mais en superpositions verticales)? - Non. - Et avec les bracelets ? - (Alignement avec erreurs). - Et avec les souris ? - (Elle fait 1, 3, 7 ,5). - Fais-le encore. - (MĂȘme ordre irrĂ©gulier) ».

YOR (4 ;6). ModĂšle : quatre triangles sĂ©riĂ©s. Copie : grand triangle contenant un cercle qui lui-mĂȘme enveloppe un petit triangle. ModĂšle : cinq clous sĂ©riĂ©s. Copie : quatre triangles alignĂ©s mais irrĂ©guliers.

ERI (4 ; 10). ModĂšle : cinq clous sĂ©riĂ©s. « Choisis une collection et fais la mĂȘme chose.- (Il dresse un grand tuyau A et ensuite quatre clous mal sĂ©riĂ©s, puis un tuyau B < A et un troisiĂšme C > B et un gros final) ». On superpose les deux sĂ©ries (qu’il avait mĂ©langĂ©es). « Tu peux essayer avec les bracelets ? - (Il les encastre) ».

FRE (4 ;6). ModĂšle : sĂ©rie correcte des souris jaunes (1, 3, 5, 7, 9). « Tu peux faire la mĂȘme chose avec les triangles verts ? - Non. - Et comme ça (modĂšle : sĂ©riation des clous). - Oui ». Il fait alors une correspondance terme Ă  terme entre les Ă©lĂ©ments mais sans ordination.

NIC (6 ;6). ModĂšle : souris. Copie avec clous : sa sĂ©rie est irrĂ©guliĂšre. « Qu’est-ce que j’ai fait ? - En ligne. - Et encore ? - Toute droite ».

On voit ainsi que ce qui est retenu du modĂšle n’est que la forme d’ensemble : une succession linĂ©aire horizontale ou parfois des enveloppements topologiques. Mais le dĂ©tail des relations est nĂ©gligĂ© ou erronĂ©, en particulier lorsqu’il s’agit du nombre des Ă©lĂ©ments ou de l’ordre des emplacements.

Le progrĂšs que marque le niveau II est l’utilisation des correspondances terme Ă  terme, d’oĂč le succĂšs dans la plupart des cas, en particulier lors des sĂ©riations en fonction du nombre des Ă©lĂ©ments (souris, etc.). Voici deux exemples :

SAC (7 ;0) est dominĂ© par la bijection et ne rĂ©ussit ses copies qu’avec des mĂȘmes nombres : quatre souris jaunes comparĂ©es Ă  cinq grises ne va pas « parce qu’il y en a plus ici » et cinq carrĂ©s et trois cylindres : « Non, je ne peux pas ».

RIH (7 ;6) de mĂȘme, malgrĂ© ses rĂ©ussites Ă  nombres Ă©gaux dit pour cinq contre quatre : « Non, on ne peut rien faire ».

En un mot, si la correspondance bi-univoque joue un rĂŽle positif chez ces sujets, elle gĂȘne par ailleurs l’abstraction de la relation dominante qui est l’ordination possible quels que soient les contenus et leurs nombres. Par contre, ils tiennent compte de facteurs tels que sont les couleurs et leurs alternances, etc..

Au niveau III, l’ordre domine enfin les autres facteurs enjeu :

DID (7 ; 11) reste intermĂ©diaire entre II et III : aprĂšs une rĂ©ussite immĂ©diate pour cinq triangles correspondant Ă  cinq anneaux rouges et un classement des collections par couleurs, il s’achoppe Ă  la comparaison entre un, trois, cinq, sept, neuf souris jaunes et deux, quatre, six, huit grises : « Ce n’est pas pareil ». De mĂȘme entre dix carrĂ©s et cinq clous : « Ce n’est pas la mĂȘme chose parce qu’il y en a seulement cinq. - Il y a autre chose qui fait pareil ? - Oui, ça fait de plus en plus de souris et lĂ  des clous de plus en plus grands ».

Dans les rĂ©actions des cas francs, on assiste Ă  une abstraction immĂ©diate de l’ordre :

VER (7 ;7) fait correspondre six rouleaux Ă  huit cercles : « Je les ai mis par ordre de grosseur (cylindres) et par ordre de grandeur (cercles) ». Et il fait de mĂȘme pour neuf clous. Quant aux nombres inĂ©gaux, ils n’empĂȘchent pas que « ça va tout le temps par de plus grands nombres », y compris quatre et neuf.

O VE (8 ;3). « Ca va aussi du plus petit au plus grand », indépendamment des nombres.

CAL (8 ; 11 ). « Là il y a de plus en plus et là aussi ».

Tout en considĂ©rant constamment l’exigence de classer les collections par couleurs (ce qu’on ne demande pas), ces sujets dĂ©gagent donc cet aspect essentiel que reprĂ©sente l’ordre de croissance.

6. EmboĂźtements et intersections

Il nous reste Ă  examiner la reconstitution des modĂšles d’inclusions et d’intersections, qu’il s’agisse d’imiter ce que l’expĂ©rimentateur a construit avec d’autres objets ou de meubler de façon correcte des diagrammes de Venn dessinĂ©s sans contenus. Pour ce qui est de ce dernier cas, qui donne lieu Ă  un enseignement scolaire trop prĂ©coce, il est intĂ©ressant de constater combien il est mal compris des jeunes sujets.

A un niveau I, pour le modÚle (xÿ) V (xy), la partie commune xy est sans rapport avec les deux autres :

LAU (6 ;4) met en xy la « famille des papas » (trois bougies moyennes rouges), en Xy la « famille des mamans », sans aucun rapport avec les autres.

CED (6 ;4) met en xy une bougie bleue, en xy des roses et en xy une blanche. Quand on lui montre que xy fait aussi partie de y, il met des roses partout.

STE (6 ;3) met en xĂż des moyennes, en xy des rondes et rouges et en xy les mĂȘmes qu’en xy (sans donc l’idĂ©e de parties communes xy), « parce que les maisons se rentrent dedans (xy en y) », sans voir la rĂ©ciprocitĂ© xy en x.

TH A (7 ;8) met en xĂż des blanches, en xy des petites et en xy « les rouges, parce que c ’est une couleur qu ’on n ’a pas vue dans les autres » comme si xy = xy (incompatibilitĂ©). AprĂšs quoi elle passe Ă  trois classes distinctes pour xĂż, xy et xy.

LO R Ă  huit ans encore met en xy des Ă©lĂ©ments n’appartenant ni Ă  x ni Ă  y.

On voit qu’à ce niveau I, l’intersection n’est nullement comprise. Ced rĂ©partit les objets en trois classes distinctes, puis met les mĂȘmes dans les trois. Ste inclut xy en xy. Tha prĂ©cise qu’en xy sont des Ă©lĂ©ments qui n’appartiennent ni Ă  xy ni Ă  xĂż, etc. Bref, l’intersection n’est encore en aucun cas la partie commune Ă  x et y.

Au niveau II, on observe une conduite intermĂ©diaire oĂč l’intersection xy est meublĂ©e par une addition d’élĂ©ments empruntĂ©s les uns Ă  xĂż et les autres Ă  xy, ce qui n’est pas la recherche d’un prĂ©dicat commun mais l’addition de deux « reprĂ©sentants ». Ou encore ils situent en xy des Ă©lĂ©ments de caractĂšres intermĂ©diaires entre ceux de x et ceux de y :

AN A (7 ;0) met en xÿ des bougies droites et en xy des bougies rondes ; en xy sont alors placées une droite et une ronde : « Une pour cette famille (xÿ) et une pour cette famille (xy) ».

YVE (10 ;ll) met en xy « les grandes bougies » en Xy « les petites » et en xy « des moyennes parce que c’est entre les petites et les grandes’.

RIC (11 ;11) en xÿ des jaunes, en xy des rouges et en xy « des orange, parce que rouge et jaune ça fait orange ».

Enfin, au niveau III, la solution correcte est peu Ă  peu dĂ©couverte ou trouvĂ©e d’emblĂ©e :

RIO (7 ;9): En xÿ « des bougies droites », en xy « des rondes orange » et en xy « une longue comme (en xJ) et qui est orange comme les rondes ».

ICO (10 ;l 1) met en xV des rondes rouges, en xy des longues blanches et en xy une longue rouge.

GER (10 ;7) parvient mĂȘme Ă  une solution correcte pour l’intersection entre trois et pas seulement deux sous-classes.

On voit que, malgrĂ© l’enseignement scolaire, l’intersection n’est pas comprise aussi vite qu’on le dit faute des implications entre actions que suppose la coordination des classes.

7. Inclusions

Nous nous sommes servis de deux modĂšles distincts pour figurer l’inclusion. L’un, que nous appellerons le « partage », reprĂ©sente un tout figurĂ© par un cercle et sĂ©parĂ© en deux parties A et A’ au moyen d’une simple ligne (droite ou quelconque), tandis que l’autre, appelĂ© « enveloppement », reprĂ©sente un grand cercle (ou ellipse) appelĂ© « maison » Ă  l’intĂ©rieur duquel se trouve un petit cercle dont on prĂ©cise qu’il est l’une des chambres de cette maison. Le tout sera appelĂ© B. Le petit cercle A et la couronne qui l’entoure sera A’, d’oĂč Ă  nouveau A + A, = B. Or, le fait intĂ©ressant est que la comprĂ©hension de l’inclusion est notamment plus facile dans le cas du partage que dans celui de la maison, car en ce dernier cas le sujet a tendance Ă  voir en A (petit cercle) et A’ (couronne enveloppante) deux classes disjointes et non pas deux sous-systĂšmes complĂ©mentaires au sein d’un mĂȘme tout B.

A commencer par les « maisons », voici des exemples du niveau I :

CED (6 ;4) met en A une bougie jaune et en A’ deux rondes : « Et pour toute la maison (en insistant sur « toute »)? - Ces deux bougies (montre A) ».

ALA (6 ;6) met en A une bougie longue et une ronde, et en A’ trois exemplaires de chacune des bougies choisies pour A. « Combien dans la grande maison (on montre le tout)? - Trois rondes et trois droites », et non pas quatre de chaque, ce qui caractĂ©rise donc A’ et non pas B.

AN A (7 ;0). « Dans le grand jardin (A’) des bougies rondes et dans le petit (/1) des bougies droites et grosses ». Pas de dĂ©nomination pour le tout.

DI A (7 ;1). Petites bougies roses et blanches en A’, petites bleues et blanches en A, mais avec nĂ©cessitĂ© de deux Ă©tiquettes sans dĂ©nomination d’ensemble.

CAR (7 ;9). MĂȘmes rĂ©actions de dĂ©but mais ne trouvant pas le nom pour le tout, elle change le contenu de A et y met les mĂȘmes qu’en A’, d’oĂč un tout oĂč, pour l’enfant, B = A ’ et B = A..

Si l’on appelle inclusion une rĂ©union de sous-classes prĂ©sentant, d’une part, un prĂ©dicat commun et, d’autre part, des prĂ©dicats diffĂ©renciĂ©s pour chacun des sous-classes, il n’y a donc pas lĂ  d’inclusion. La meilleure preuve en est que, si l’on demande le nombre des Ă©lĂ©ments du tout B (= A + A,) ils donnent celui des A’ et non pas B.

Au niveau II, le tout est caractĂ©risĂ© par l’ensemble des A et des A,, mais par simple addition et non pas par synthĂšse ou recherche d’un prĂ©dicat commun :

DAV (6 ;3). En A des bougies roses, en A’ des blanches. « Et comment s’appelle toute la maison ? - C’est la maison des roses et des blanches ».

STE (6 ;3). En A des bougies droites moyennes, en A’ des rondes et pour le tout B « des moyennes et des rondes ».

Enfin, au niveau III, il y a réussite immédiate :

TOP (9 ;8) met en A’ deux bougies droites, en A deux rondes et comme tout « l’ensemble des quatre bougies », donc B et non plus A’ ou une simple Ă©numĂ©ration.

ENI (10 ;ll). En A des ronds jaunes, en A’ des ronds rouges et pour le tout B « l’ensemble des jaunes, non (il rit) des ronds ».

Quant au partage des Ă©lĂ©ments en deux tas A et A’ sĂ©parĂ©s par une simple ligne, l’inclusion de A + A’ en un tout B est bien plus facile puisqu’il n’y a plus de confusion possible entre ce tout B — A + A’ et la sous-classe A’, tandis que dans l’épreuve prĂ©cĂ©dente la sous-classe A’ entoure A, ce qui rend malaisĂ©e la distinction entre le tout B et cet anneau A’. On trouve donc des rĂ©ponses correctes dĂšs le niveau I.

SIM (5 ;2) dit d’emblĂ©e que le tout B est formĂ© par « tous les blancs, mais ceux-lĂ  (A) sont petits et ceux-lĂ  grands ». Il y a donc un prĂ©dicat commun Ă  A et Ă  A’ et deux prĂ©dicats diffĂ©renciĂ©s pour A et A’.

ANT (5 ;5). A est composĂ© de rondes brunes et A’ d’un tas d’autres couleurs, le tout B se dĂ©finissant alors comme un « tas de bougies mĂ©langĂ©es ».

PAO (5 ;7). A est composĂ© de rondes et A’ d’un tas de « longues de couleurs diffĂ©rentes ». Le tout B est Ă  nouveau un « tas de mĂ©langĂ©es ».

KAR (6 ;6). « Ils sont tous petits (B) » mais « quelques-uns (A) sont debout et les autres couchĂ©s (A’) ».

NAT (6 ;11) A est composĂ© « des ronds », A’« des droits » et B « du tas de seize bougies’ (= A + A’).

Il est clair que, quand l’inclusion rĂ©sulte d’opĂ©rations ou actions de rĂ©union effectuĂ©es par le sujet lui-mĂȘme, elle ne soulĂšve pas de problĂšme sauf naturellement quant aux quantifications de A, A’ et B Ă©tudiĂ©es jadis (lorsque les A’ sont bien moins nombreux que les A).

En ce cas, il y a quelque parentĂ© avec la situation des cercles emboĂźtĂ©s Ă©tudiĂ©s Ă  l’instant oĂč l’inclusion relĂšve d’une relation imposĂ©e du dehors.

Section IV
Les activites spontanees des sujets

Il nous reste Ă  examiner les questions par lesquelles dĂ©butaient nos interrogations : fournir Ă  l’enfant un matĂ©riel aussi hĂ©tĂ©rogĂšne que possible et en un dĂ©sordre complet et lui demander de le ranger comme il l’entend en justifiant ses actions. En fait, celles-ci aboutissent finalement Ă  les classer en fonction de leurs ressemblances et Ă  sĂ©rier les Ă©lĂ©ments de chaque collection, ce qui revient donc Ă  une synthĂšse de ces deux sortes d’opĂ©rations. Mais si banales que soient ces conduites, elles nous aideront Ă  comprendre en fonction de quelles significations et implications entre actions elles se constituent jusqu’à s’imposer comme nĂ©cessaires aux yeux du sujet.

Au niveau I, le sujet construit soit des objets complexes composés de parties hétérogÚnes accolées auxquelles il donne aprÚs coup une signification, soit des collections désordonnées par assemblage, non anticipées, mais réunies par à-coups successifs.

YOL (4 ;5) prend un grand triangle, y insĂšre un petit clou puis un petit cercle contenant lui-mĂȘme un petit triangle. Elle pose sur l’un des cĂŽtĂ©s du grand triangle un petit rouleau qui traverse ce cĂŽtĂ© et ajoute au tout deux petits anneaux proches d’un des cĂŽtĂ©s du grand triangle, mais extĂ©rieurs Ă  celui-ci. Le tout ne reçoit pas de dĂ©nomination. Par contre un carton rectangulaire est accolĂ© Ă  un triangle, suivi d’un nouveau carton, puis de deux anneaux, puis d’un cylindre entre deux cartons. Le tout est donc un enchaĂźnement et non plus un conglomĂ©rat et il est baptisĂ© « un Ă©lĂ©phant au zoo ». Un autre enchaĂźnement de onze Ă©lĂ©ments est appelĂ© « un train plein de chiens ». D’autre part, les trois rouleaux sont emboĂźtĂ©s les uns dans les autres, mais avec intervalles garnis par des clous. La derniĂšre figure marque une tendance vers l’ordination. Cinq Ă©lĂ©ments supĂ©rieurs sont alignĂ©s mais non contigus : deux triangles contenant des cartons suivis de trois cartons contenant les triangles. Sous ces cinq couples pendent cinq longs clous qui les relient Ă  cinq cartons alignĂ©s mais non sĂ©riĂ©s.

NIO (5 ;5) prend neuf triangles de diffĂ©rentes couleurs et les accole cĂŽtĂ©s contre cĂŽtĂ©s, comme un dallage trĂšs irrĂ©gulier mais sans lacunes. L’un de ces triangles est appelĂ© « un chien », un autre « le bateau » et le plus grand « un bateau ». En d’autres figures, les clous sont accolĂ©s bout Ă  bout, d’abord en une figure fermĂ©e irrĂ©guliĂšre Ă  six cĂŽtĂ©s diversement orientĂ©s, puis en un arc de cercle et enfin en une suite presque droite. Les cercles encastrĂ©s sont la seule figure semi-ordonnĂ©e, mais avec deux inversions.

LOS (6 ;6) donne comme dessin final six couples (deux triangles, deux anneaux, deux ensembles de clous orientĂ©s pointes Ă  gauche ou Ă  droite, deux cartons et deux, puis trois rouleaux) simplement agglomĂ©rĂ©s sans plan d’ensemble, mais serrĂ©s les uns contre les autres.

Ces rĂ©actions initiales soulĂšvent un problĂšme intĂ©ressant d’implications ou de semi-implications entre actions. D’une part, une ressemblance perçue entre deux Ă©lĂ©ments (par assimilation Ă  un mĂȘme schĂšme) implique (au sens de « entraĂźne » par implication proactive) une mise en voisinage spatial, mais d’abord local en tant que simples couples. Mais, d’autre part, un voisinage mĂȘme fortuit entraĂźne une signification commune (cf. l’« élĂ©phant » et le « train » chez Yol), ce qui aboutit Ă  une forme Ă©lĂ©mentaire de structure qui n’est ni une sĂ©riation ni une classification, mais ce que nous appellerons un « enchaĂźnement ». Il y a donc dĂšs ce niveau I un dĂ©but prometteur de structurations, qui seront Ă©laborĂ©es dans la mesure oĂč les semi-implications locales se coordonneront en implications plus systĂ©matiques.

C’est ce qui se produira au niveau II, oĂč le sujet commence par classer les Ă©lĂ©ments par formes et couleurs, mais sans sĂ©riation interne de ces collections :

TI A (6 :6) classe ensemble les cartons jaunes, puis les triangles verts et rouges, les cartes avec souris, puis les bracelets, mais n’introduit la sĂ©riation que dans le cas des anneaux, ordonnĂ©s du plus grand au plus petit avec alternance des couleurs.

MAR (6 ;4). « J’ai classĂ© les trucs qui Ă©taient la mĂȘme chose. - Comment ? - Par la couleur : tous (en un mĂȘme tas) de la mĂȘme couleur ». Mais il ne sĂ©rie que les clous : « Ah en grandeurs) ».

DI A (7 ;11). MĂȘmes classements, avec sĂ©riation des clous. Seulement ils ne le sont plus sur le dessin final, oĂč ils sont rĂ©partis en deux ensembles, l’un bien sĂ©riĂ©, l’autre en dĂ©sordre.

SAC (8 ;3) classe correctement les sous-ensembles et en sĂ©rie certains , mais pas tous, jusqu’au moment oĂč une intuition brusque lui fait dĂ©couvrir que c’est gĂ©nĂ©ralisable : « C’est aussi du plus petit au plus grand », et oĂč elle applique ce principe jusqu’aux cartons avec nombres : 1,3,5,7,9 pour des bracelets qui figurent dans le matĂ©riel, passant ainsi au niveau III.

Voici enfin des cas du niveau III, à commencer par un cas intermédiaire, qui combine les sériations et les classements pour toutes les collections, sauf pour les triangles :

NAT (8 ;1) commence par accoler les triangles en une figure sans forme, comme les dallages du niveau I, puis fait de bons classements pour tous les autres Ă©lĂ©ments, avec sĂ©riation immĂ©diate pour chaque collection. Cela fait, on lui rend les triangles et il les accole Ă  nouveau en un tout sans signification. Les clous sont bien sĂ©riĂ©s mais il les rĂ©unit aussi en une sorte de fleur dont les pĂ©tales sont sĂ©riĂ©s du plus petit au plus grand en partant du mĂȘme centre.

CHA (7 ;10), RIN (7 ;7), SAC (7 ;10) classent le tout en petites collections par formes et couleurs, chacune donnant lieu Ă  une sĂ©riation immĂ©diate et correcte, sans que rien soit omis dans l’ensemble multiple du matĂ©riel.

Il y a donc, dÚs ce niveau III, synthÚse des ressemblances et des différences, ce qui nous conduit à discuter des idées générales propres à ce chapitre.

Conclusions

Ce chapitre un peu touffu vise à dégager les formes les plus élémentaires des implications entre actions et les significations qui y sont attachées. En fait, elles portent toutes sur les liaisons de ressemblances et de différences en des situations variées.

A cet Ă©gard, l’implication entre actions (de mises en connection) qui paraĂźt la plus Ă©lĂ©mentaire, et donc la plus gĂ©nĂ©rale, semble se rĂ©duire Ă  une pure tautologie : « une plus grande ressemblance » implique « une plus petite diffĂ©rence » et « une plus grande diffĂ©rence » implique « une moindre ressemblance ». Or, ces Ă©vidences sont si peu Ă©videntes et donc si peu tautologique chez les jeunes sujets que, comme E.

Marti 6 l’a dĂ©jĂ  montrĂ©, les relations « plus diffĂ©rent » et « moins ressemblant » sont loin d’ĂȘtre synonymes vers quatre ou cinq ans et sont systĂ©matiquement distinguĂ©es. Notons en outre qu’en de nombreuses situations, les rapports de ressemblances se traduisent spatialement par des voisinages et les rapports de diffĂ©rences par des sĂ©parations, et cela au point qu’en certains cas le voisinage crĂ©e ou augmente la ressemblance comme chez quelques sujets de la section I oĂč le terme mĂ©dian M d’une sĂ©riation change de taille en Ă©tant placĂ© prĂšs des grands ou des petits Ă©lĂ©ments.

Cela dit, la loi gĂ©nĂ©rale qui semble se dĂ©gager de nos quatre sections est l’absence initiale de classes englobantes et le passage progressif des « prĂ©dicats couplĂ©s » et des simples enchaĂźnements Ă  des emboĂźtements de plus en plus larges et mieux hiĂ©rarchisĂ©s. En d’autres termes, Ă  la suite de centrations alternĂ©es et locales sur des ressemblances ou des diffĂ©rences, le progrĂšs consiste dans toutes les situations en une synthĂšse de ces deux sortes de rapports et cette synthĂšse exige la formation de systĂšmes d’ensemble. Le plus simple de ceux-ci est la sĂ©riation, qui consiste en une Ă©quivalence des diffĂ©rences successives (entre un Ă©lĂ©ment et son successeur). Quant aux classements, ils comportent rĂ©ciproquement une diffĂ©rence des Ă©quivalences : ces derniĂšres relient les sous-classes emboĂźtĂ©es de mĂȘme niveau, tandis que les diffĂ©rences sont les rapports entre les classes emboĂźtantes en fonction de leur ordre hiĂ©rarchique (les moins nombreuses Ă©tant les plus englobantes et les plus nombreuses Ă©tant les moins emboĂźtantes). Les deux systĂšmes (sĂ©riation et classification) exigent donc chacun une synthĂšse des ressemblances et des diffĂ©rences, mais avec rĂ©ciprocitĂ© dans leurs structures. Il ne faut donc pas s’étonner si ces synthĂšses sont tardives, ni si on les retrouve avec des difficultĂ©s analogues en chacune des quatre sections de ce chapitre.

Quant aux instruments de ces synthĂšses, il va de soi qu’il s’agit d’implications entre actions, remplaçant peu Ă  peu les « prĂ©dicats couplĂ©s » initiaux. Par exemple (1) la formation d’une classe implique la rĂ©union des semblables en un tout A ; mais, par ailleurs, (2) la rĂ©union implique des oppositions ou diffĂ©renciations : par exemple A s’oppose Ă  A’; (3) la rĂ©union de classes opposĂ©es engendre une classe de rang supĂ©rieur : (A . A’) → B ; (4) d’oĂč B → (A V A’); (5) la sĂ©riation implique l’itĂ©ration de diffĂ©rences de mĂȘmes valeurs ou de valeurs croissantes de mĂȘme nature ; (6) la relation implique les Ă©quivalences et diffĂ©rences conjointes entre n objets ; (7) les diffĂ©rences impliquent des Ă©quivalences partielles : par exemple deux objets diffĂ©rents en tous leurs prĂ©dicats sont encore deux objets ; (8) les ressemblances impliquent divers degrĂ©s croissants jusqu’à une limite qui est l’identitĂ© pure.

Ces implications ne sont pas de simples dĂ©finitions dĂ©guisĂ©es mais des connections entre actions matĂ©rielles ou mentales du sujet, actions et connections pourvues de significations dont les rapports constituent les implications en jeu (parmi bien d’autres et indĂ©pendamment des aspects causaux) propres aux actions matĂ©rielles.