Vers une logique des significations ()

Conclusions generales a

Ce livre avait pour but de dĂ©crire certaines formes Ă©lĂ©mentaires que prennent les rĂ©ponses d’enfants Ă  des problĂšmes simples, afin de mettre en lumiĂšre les racines psychogĂ©nĂ©tiques des relations logiques conduisant aux opĂ©rations et Ă  leurs compositions en structures. Les recherches confirment la thĂšse centrale de Piaget : dĂšs les niveaux les plus Ă©lĂ©mentaires, la connaissance comprend toujours une dimension infĂ©rentielle. En quoi consiste cette dimension infĂ©rentielle ? On rĂ©pondra briĂšvement qu’aux niveaux les plus Ă©lĂ©mentaires, les infĂ©rences sont seulement des implications entre significations (ces derniĂšres Ă©tant attribuĂ©es aux propriĂ©tĂ©s, aux objets et aux actions elles-mĂȘmes). Pour donner plus de clartĂ© Ă  cette rĂ©ponse et rĂ©sumer les recherches rapportĂ©es en ce livre, nous nous appuierons sur certains principes fondamentaux de la psychologie gĂ©nĂ©tique.

1. Les significations rĂ©sultent d’une assimilation des objets par les schĂšmes, et ainsi les propriĂ©tĂ©s ne sont pas de « purs » observables mais sont toujours le fait d’une interprĂ©tation des « donnĂ©es ». ConformĂ©ment Ă  la conception classique du schĂšme (un schĂšme est ce qui est rĂ©pĂ©table et gĂ©nĂ©ralisable dans une action), on dira que la signification d’un objet, « c’est ce qu’on peut en faire », la dĂ©finition s’appliquant non seulement au niveau sensori-moteur, mais Ă©galement au niveau prĂ©opĂ©ratoire Ă  partir de la fonction symbolique. Toutefois, la signification est aussi ce qu’on peut dire des objets (elle est alors la description), ou encore ce qu’on en peut penser des objets, (c’est-Ă -dire les classer, les mettre en relation les uns avec les autres, etc.).

Quant aux actions elles-mĂȘmes, leur signification se dĂ©finit par « ce Ă  quoi elles aboutissent » en fonction des transformations qu’elles produisent dans les objets ou les situations. Qu’il s’agisse de prĂ©dicats, d’objets ou d’actions, toutes les significations impliquent donc des activitĂ©s d’un sujet interagissant avec des rĂ©alitĂ©s extĂ©rieures (physiques), ou engendrĂ©es de l’intĂ©rieur, comme dans le cas des ĂȘtres logico-mathĂ©matiques.

2. Les actions, qu’elles soient Ă©lĂ©mentaires ou de rang supĂ©rieur, ne sauraient exister ni fonctionner sans liaisons entre elles. Les schĂšmes d’actions ne sont jamais isolĂ©s. Il existe diverses formes de liaisons entre schĂšmes et donc entre significations rĂ©sultant de leur application. La liaison la plus gĂ©nĂ©rale est une relation d’implication.

A cet Ă©gard, il est essentiel d’établir une distinction claire entre deux aspects des relations entre actions : les relations causales et les relations d’implication. Les premiĂšres sont centrĂ©es sur les objets et se rapportent aux rĂ©sultats des actions, qui eux ne sont constatables qu’aprĂšs coup. Les secondes sont des relations entre significations et sont, en tant que telles, susceptibles d’ĂȘtre anticipĂ©es.

Il y a en fait progression ou transition entre les actions matĂ©rielles et leurs coordinations (dont les significations ne sont partiellement dĂ©gagĂ©es qu’une fois exĂ©cutĂ©s les mouvements), et les coordinations d’actions dont les rĂ©sultats peuvent ĂȘtre anticipĂ©s. Dans ce dernier cas, les significations s’imposent dĂšs leurs anticipations. En d’autres termes, l’emploi de toute signification suppose et entraĂźne celui de certaines implications. Celles-ci ne se rĂ©duisent pas aux implications entre Ă©noncĂ©s, et interviennent dĂšs le dĂ©but dans le passage progressif des coordinations d’actions aux compositions infĂ©rentielles. Ici commence la logique. En effet, si une action n’est en elle- mĂȘme ni vraie, ni fausse, et ne s’évalue qu’en termes d’efficacitĂ© ou d’utilitĂ© par rapport Ă  un but, l’implication entre actions lors des anticipations est par contre susceptible de vĂ©ritĂ© ou de faussetĂ© et constitue dĂ©jĂ  une logique, dĂšs les niveaux les plus primitifs.

Il nous est maintenant possible de donner une nouvelle formulation Ă  ce que nous avons appelĂ© la thĂšse centrale du prĂ©sent livre : il existe une logique des significations qui prĂ©cĂšde la logique formelle des Ă©noncĂ©s ; une telle logique des significations est fondĂ©e sur des implications entre significations ou, ce qui revient au mĂȘme, sur des implications entre actions.

3. Le trait le plus caractĂ©ristique des liaisons logiques Ă©laborĂ©es par le sujet au niveau des actions puis des Ă©noncĂ©s est que cette Ă©laboration a lieu en s’appuyant en chaque cas sur des implications signifiantes. Plus prĂ©cisĂ©ment, ces liaisons implicites ou explicites sont thĂ©oriquement (donc du point de vue de l’observateur) et distinctement rĂ©ductibles Ă  des combinaisons d’implications et de nĂ©gations. Cela revient Ă  dire qu’à tous les niveaux, le fondement de toute logique est infĂ©rentiel, ce qui va de soi pour toute logique des significations. Il est donc important de montrer le dĂ©veloppement corrĂ©latif des infĂ©rences et des implications.

Les recherches du chapitre III montrent l’évolution de trois types d’infĂ©rences qui caractĂ©risent trois niveaux tout Ă  fait distincts :

a) Les anticipations limitĂ©es Ă  ce que permettent les rĂ©pĂ©titions constatables d’arrangements ou de modifications dĂ©jĂ  constatĂ©s empiriquement ; Ă  ce niveau, le sujet ne raisonne ou n’infĂšre qu’à propos d’un univers d’objets empiriques.

b) Les infĂ©rences portant sur des anticipations dĂ©passant le constatable et fondĂ©es sur des implications qui sont nĂ©cessaires mais ne livrent pas encore leurs « raisons »; il s’agit ici d’implications entre actions qui sont engendrĂ©es par abstraction rĂ©flĂ©chissante et ne se bornent plus Ă  tirer les consĂ©quences logiques d’abstractions empiriques.

c) Les inférences fondées sur des « raisons » ou des démonstrations possibles.

D’autre part, il y a Ă©volution corrĂ©lative des implications signifiantes. Piaget propose une distinction entre des formes ou degrĂ©s d’implications signifiantes apparaissant Ă  trois niveaux diffĂ©rents :

i) Implications « locales »; la signification des actions est déterminée par leurs résultats constatés. Les implications demeurent relatives à des données limitées et à des contextes particuliers.

ii) Implications « systĂ©miques »; les implications de ce type s’insĂšrent dĂ©jĂ  en un systĂšme de relations comprises de proche en proche. A ce niveau dĂ©butent les jugements sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Mais ces infĂ©rences ne suffisent pas pour parvenir aux « liaisons » nĂ©cessaires. Il y a encore confusion entre nĂ©cessitĂ© et gĂ©nĂ©ralitĂ©.

iii) Implications « structurales »; ce sont des implications portant sur les compositions internes de structures déjà constituées. A ce niveau, il y a compréhension endogÚne de la « raison » des faits généraux observés. Les relations générales du niveau II deviennent nécessaires.

4. Les implications signifiantes donnent aussi lieu Ă  une triade qui est d’un genre diffĂ©rent. Ces implications entre actions peuvent en effet se prĂ©senter sous trois formes :

a) Implications proactives ; elles dĂ©gagent les consĂ©quences des propositions en jeu ; elles consistent Ă  affirmer que si A → B, les B sont des consĂ©quences nouvelles dĂ©rivĂ©es de A.

b) Implications rĂ©troactives 1 ; elles portent, non pas sur les consĂ©quences, mais sur les conditions prĂ©alables, et expriment le fait que si A → B, alors A est une condition prĂ©alable de B.

c) Implications justificatrices ; une forme justificatrice d’implication relie les formes a) et b) par des connexions nĂ©cessaires atteignant les « raisons ».

Autrement dit, les implications comportent trois aspects : l’amplification qui porte sur les consĂ©quences ; le conditionnement qui porte sur les conditions prĂ©alables ; et l’approfondissement permettant de dĂ©gager les raisons.

5. Avec la naissance de la fonction sĂ©miotique, les implications entre actions s’accompagneront d’énoncĂ©s et il y aura formation d’implications signifiantes entre Ă©noncĂ©s. Mais les implications sont une fois de plus dĂ©terminĂ©es par les significations sans ĂȘtre rĂ©ductibles aux seules extensions. Il est par consĂ©quent naturel, et mĂȘme indispensable, de construire une logique des significations dont l’opĂ©ration centrale sera l’« implication signifiante ». Dans cette logique, on peut adopter le signe « → » pour dĂ©signer cette forme d’implication. On Ă©crit alors A → B si une signification 5 de A est englobĂ©e dans celles de B et si cette signification commune 5 est transitive. En ce cas, les « englobements » de significations en comprĂ©hension correspondent Ă  des emboĂźtements en extension. Ils donnent accĂšs Ă  des « valeurs de vĂ©rité », mais partielles et dĂ©terminĂ©es par les significations, avec relativisation des nĂ©gations par rapport aux rĂ©fĂ©rentiels que constituent les emboĂźtements. Nous reviendrons sur ce point.

6. ConsidĂ©rons maintenant d’autres liaisons entre significations que les recherches mettent en Ă©vidence. Un rĂ©sultat important doit ĂȘtre mentionné : le fait qu’on assiste Ă  la formation prĂ©coce, au plan des actions, d’opĂ©rations qui ne sont naturellement pas encore rĂ©unies en structures d’ensemble, mais dont chacune, envisagĂ©e Ă  part dans son contexte de significations, est isomorphe Ă  l’une des seize opĂ©rations binaires de la logique des propositions.

Cette dĂ©couverte est importante en ce qu’elle paraĂźt contredire tout ce que la psychologie gĂ©nĂ©tique a affirmĂ© du stade des « opĂ©rations formelles ». Il est dit explicitement en psychologie gĂ©nĂ©tique que les seize opĂ©rations binaires de la logique des propositions sont caractĂ©ristiques des systĂšmes se constituant vers onze-douze ans seulement. Deux raisons majeures fondent cette affirmation classique. La premiĂšre est qu’à ce niveau seulement dĂ©bute la pensĂ©e hypothĂ©tico-dĂ©duc- tive, c’est-Ă -dire la possibilitĂ© de tirer les consĂ©quences nĂ©cessaires de simples hypothĂšses, et non exclusivement de donnĂ©es constatables, comme c’est le cas au niveau des « opĂ©rations concrĂštes » vers sept-dix ans. La seconde raison de cette formation tardive est qu’entre les seize opĂ©rations binaires de ce niveau hypothĂ©tico-dĂ©ductif s’établissent des rapports d’inversion N et de rĂ©ciprocitĂ© R constituant des groupes de quatemalitĂ© (groupes INRC oĂč C = inverse de R est corrĂ©lative de l’identitĂ© I) qui sont utilisĂ©s par le sujet en des situations physiques (comme dans le cas bien connu de la balançoire).

On pourrait penser que la dĂ©couverte des seize opĂ©rations binaires au plan des coordinations entre actions, c’est-Ă -dire bien avant toute pensĂ©e hypothĂ©tico-dĂ©ductive et a fortiori bien avant l’emploi de structures INRC, est en contradiction flagrante avec l’affirmation classique. Mais la situation est tout-Ă -fait diffĂ©rente : aux niveaux prĂ©coces, on observe simplement les seize combinaisons possibles entre couples d’actions mais sans systĂšme d’ensemble. Chaque combinaison s’effectue en fonction de contextes variables.

7. Il y a donc un long processus de construction de liaisons logiques que les sujets élaborent au gré des situations. Les foncteurs logiques reçoivent de la sorte diverses interprétations possibles : il existe plusieurs formes de « et », de « ou », et de négation qui diffÚrent « en compréhension ».

Les expĂ©riences dĂ©crites ont pour but de les identifier. La recherche rapportĂ©e dans le chapitre III montre par exemple clairement l’existence de diverses implications entre actions, incompatibilitĂ©s, et ainsi de suite. L’analyse rĂ©vĂšle que les enfants utilisent effectivement environ onze des seize opĂ©rations binaires. Mais en d’autres chapitres, le lecteur verra que des recherches mettent en Ă©vidence d’autres combinaisons qui incluent les liaisons restantes.

On assiste ainsi Ă  la formation prĂ©coce d’intersections, d’incompatibilitĂ©s, etc., utilisĂ©es au plan des actions et non des Ă©noncĂ©s, ce qui montre une fois de plus le rĂŽle formateur gĂ©nĂ©ral de la logique des actions et des implications entre actions, sources des implications signifiantes qui vont bien au-delĂ  des implications extensionnelles.

Le propre de ces diverses liaisons initiales est de constituer chacune, puis entre elles, des fragments de structures qui se coordonnent progressivement jusqu’à la constitution des « groupements » Ă  partir de sept-huit ans. Ces Ă©bauches de structuration, dues aux mises en relation entre significations, prĂ©sentent Ă©galement l’intĂ©rĂȘt de prĂ©parer la formation, non seulement des groupements des opĂ©rations concrĂštes, mais encore des opĂ©rations plus complexes de la logique propositionnelle.

8. Reprenons maintenant quelques rĂ©sultats qui se rapportent aux foncteurs logiques. Dans le cas de la conjonction, les diverses recherches montrent Ă  l’évidence que ce type de liaison peut se prĂ©senter sous diffĂ©rentes formes. On trouve tout d’abord deux sortes de conjonctions. D’une part, le texte fait rĂ©fĂ©rence aux « conjonctions obligĂ©es » dans le cas oĂč p est insĂ©parable de q, tous deux faisant partie d’un mĂȘme emboĂźtement. D’autre part, l’expression « conjonction libre » est utilisĂ©e quand il n’y a pas nĂ©cessairement liaison et conjonction entre les deux termes en prĂ©sence.

Il est bien clair que cette distinction existe dĂšs les niveaux Ă©lĂ©mentaires. ConsidĂ©rons les cas les plus simples. On peut dĂ©finir la signification des prĂ©dicats comme l’ensemble des ressemblances et diffĂ©rences entre une propriĂ©tĂ© observĂ©e sur un objet et les autres prĂ©dicats simultanĂ©ment enregistrĂ©s ou dĂ©jĂ  connus. Les prĂ©dicats sont donc liĂ©s entre eux par les prĂ©opĂ©rations de « conjonction » qui, d’aprĂšs la terminologie introduite par Piaget, seront « obligĂ©es » (c’est-Ă -dire nĂ©cessaires, et donc avec implication mutuelle, comme entre la prĂ©sence d’une forme et celle d’une grandeur), ou « libres » (et donc contingentes, comme entre une forme et une couleur). Une forme intermĂ©diaire a Ă©tĂ© observĂ©e chez les jeunes sujets : le chapitre IV parle de « prĂ©dicats couplĂ©s » reliĂ©s par des rapports de conjonctions « pseudo-obligĂ©es » (par exemple comme si la grandeur de l’élĂ©ment mĂ©dian en une sĂ©riation se modifiait en changeant de position). Le livre propose des distinctions similaires relatives aux diverses formes de disjonction.

Dans le cas de la nĂ©gation, il faut manifestement faire la diffĂ©rence entre deux types de signification auxquels nous nous sommes dĂ©jĂ  rĂ©fĂ©rĂ©s. Dans la logique extensionnelle, la nĂ©gation a pour rĂ©fĂ©rentiel tout l’univers du discours, tandis qu’il existe des nĂ©gations qui sont relatives aux emboĂźtements les plus proches d’un Ă©noncĂ© donnĂ©. Par exemple, dans l’implication extensionnelle classique p ⊃ q ≡ (p. q V p. q V p. q), l’énoncĂ© p en p . q ou en p . Ç est tout ce qui n’est pas p, et non pas la complĂ©mentaire de p sous q. En revanche, si la classe b contient a et a’, b moins a donnera a, et la nĂ©gation est ici relative Ă  l’emboĂźtement qui est la classe b englobant a et a’. Piaget introduit ici l’expression « nĂ©gation proximale » pour faire rĂ©fĂ©rence Ă  une nĂ©gation toujours relative Ă  l’emboĂźtement le plus proche. Il parle par contre de « nĂ©gation distale » si p Ă©quivaut Ă  tout ce qui n’est pas p dans l’univers du discours et indĂ©pendemment des emboĂźtements Ă©ventuels qui seraient en jeu.

Si l’on admet ces distinctions, on constate que les opĂ©rations binaires comprennent bien seize cases, mais sont d’un nombre supĂ©rieur selon les variĂ©tĂ©s de conjonctions, de nĂ©gations et mĂȘme de disjonctions effectivement observĂ©es. Ces variĂ©tĂ©s d’opĂ©rations dĂ©pendent des contextes et des rĂ©fĂ©rentiels, autrement dit des emboĂźtements considĂ©rĂ©s.

9. Deux autres remarques nous permettront de rĂ©capituler les rĂ©sultats. Tout d’abord, il est manifeste qu’on ne saurait sĂ©parer nettement ce que Frege appelle Sinn (le sens) et Bedeutung (la dĂ©notation). Sinn est la signification, Bedeutung son extension. Elles sont toujours insĂ©parables, Ă©tant deux aspects du mĂȘme processus, qui correspondent essentiellement aux deux directions du processus d’assimilation identifiĂ©s par Piaget : l’assimilation attributive qui va d’un schĂšme connu Ă  un objet nouveau (en d’autres termes, quand l’objet nouveau est compris Ă  partir d’un schĂšme connu); et l’assimilation intĂ©grative qui va d’un nouvel objet Ă  un schĂšme. Dans le premier cas, l’assimilation attributive enrichit l’objet, qui est nouveau, mais sans modifier nĂ©cessairement le schĂšme. Dans le cas de l’assimilation intĂ©grative, le sujet sait ce que le nouvel objet veut dire, ce qu’il est, parce que l’assimilation Ă  un schĂšme antĂ©rieur est dĂ©jĂ  connue.

Si l’on met ces distinctions en relation avec la thĂšse centrale de ce livre, selon laquelle les racines psychogĂ©nĂ©tiques de la logique se trouvent dans les significations et leurs implications, on arrive Ă  une consĂ©quence importante. Un objet n’est en effet rien d’autre (en tant qu’objet de connaissance) qu’un ensemble de prĂ©dicats conjoints et sa signification revient Ă  « ce qu’on peut en faire », donc Ă  l’assimilation Ă  un schĂšme d’action (qu’il s’agisse d’une action matĂ©rielle ou mentale). Le fait que le processus d’assimilation ait une double direction montre qu’une logique des significations qui prĂ©cĂšde et prĂ©pare une logique des Ă©noncĂ©s, doit suivre la voie d’une thĂ©orie logique Ă  la fois intensionnelle et extensionnelle (issue de l’assimilation intĂ©grative).

La seconde remarque concerne la grande flexibilitĂ© d’une thĂ©orie logique qui a son point de dĂ©part dans les infĂ©rences et prend la relation d’implication signifiante comme liaison logique fondamentale. On ne saurait trop insister sur le fait que dans les recherches des chapitre prĂ©cĂ©dents, les foncteurs logiques prĂ©sentent « en comprĂ©hension » diverses significations en fonction des conjonctions, disjonctions, incompatibilitĂ©s, implications mutuelles, etc., que les sujets Ă©laborent en s’appuyant chaque fois sur des implications signifiantes rĂ©ductibles Ă  des combinaisons d’implications et de nĂ©gations. Il existe ainsi des maniĂšres concrĂštes de traiter de « formes » de conjonctions et de disjonctions correspondant aux foncteurs d’une logique intensionnelle. C’est le cas de la conjonction intensionnelle (la cotenabilitĂ© du chapitre XI) dĂ©finie par l’expression :

p O q —   df p→q

10. Nous sommes maintenant en mesure de situer les résultats dans le contexte plus large de VEssai de logique opératoire (LO). Les recherches indiquent trois directions à suivre pour reformuler les principes centraux de LO. Il va sans dire que chacune recquiert de nouveaux efforts de recherche.

a) Le but principal de cet ouvrage a Ă©tĂ© de montrer comment se prĂ©pare la construction d’une logique des actions qui soit le substrat indispensable de la logique opĂ©ratoire. A cette fin, il faut analyser de plus prĂšs la nature des implications signifiantes, et en particulier de celles qui consistent en « implications entre actions » ou opĂ©rations. Le concept d’« im- plication entre actions » est la notion la plus originale introduite dans le livre. Pour prĂ©ciser l’analyse de cette forme d’implication, il est nĂ©cessaire de remonter aussi haut que possible dans l’évolution psychogĂ©nĂ©tique, des actions pratiques jusqu’aux infĂ©rences les plus Ă©lĂ©mentaires.

b) Le second but a permis de dĂ©celer Ă  un niveau trĂšs prĂ©coce, celui des actions, la formation d’opĂ©rations dont chacune, envisagĂ©e Ă  part et relativement Ă  son contexte de significations, devient isomorphe Ă  l’une des seize opĂ©rations binaires de la logique des propositions.

c) Le troisiĂšme objectif a Ă©tĂ© de montrer que, dans l’évolution des relations logiques, non seulement les foncteurs logiques sont prĂ©sents bien avant les stades « opĂ©ratoires », mais aussi et surtout les relations logiques sont construites par fragments qui se composent graduellement en structures logiques.

Nous terminerons en rappelant une fois encore la thĂšse centrale de l’épistĂ©mologie gĂ©nĂ©tique qui est Ă  l’origine des recherches rapportĂ©es dans ce livre. Le sujet de connaissance, avec les normes qu’il Ă©labore sans cesse par lui-mĂȘme (sans avoir besoin de philosophes ni de psychologues pour lui en prescrire), ne peut ĂȘtre saisi objectivement ni au dĂ©but, ni au terme, ni en un stade quelconque de son histoire ou de sa formation, parce qu’il ne constitue jamais un systĂšme achevĂ©. Sa vraie nature est celle d’un processus auto-organisateur, qui est continu et dont seules la ou les vections d’ensemble sont Ă©pistĂ©mologiquement dĂ©cisives. Tout le problĂšme est donc de reconstituer ces vections, bien qu’elles soient toujours inachevĂ©es et accessibles par reconstitution aprĂšs-coup et non par dĂ©duction a priori. Ni la spĂ©culation philosophique, ni l’analyse pure ne sauraient se substituer Ă  une telle mĂ©thode de reconstitution.