Vers une logique des significations ()
Chapitre VII.
Le cannage 1
a
đ
On utilise deux dispositifs de cannage, des cadres de bois (largeur, 25 cm ; hauteur, 50 cm) sur lesquels sont fixĂ©s dans le sens de la hauteur des rubans (2 cm de large) qui serviront de fils de chaĂźne. On a alternativement un ruban de couleur claire (rose, rouge et orange) et un ruban de couleur foncĂ©e (pourpre, bleu foncĂ© et vert foncĂ©), soit lâalternance : rose (r), pourpre (p), jaune (J), bleu (b), orange (o), vert (v). Des rubans blancs (B) et noirs (N) jouent le rĂŽle de fils de trame, passant alternativement sur et sous chacun des fils de chaĂźne. Les rubans blancs sont utilisĂ©s pour les rangs impairs et les rubans noirs pour les rangs pairs. Si le rang 1 commence par un croisement B/r (câest-Ă -dire ruban blanc sur ruban rose), on aura la suite : B/r ; p/B ; B/j ; b/B ; B/o ; v/B (voir tableau la). Au deuxiĂšme rang, on dispose ensuite un ruban noir de telle maniĂšre que lâalternance du rang prĂ©cĂ©dent soit inversĂ©e : lĂ oĂč le fil de trame blanc passait au dessus du fil de chaĂźne et le masquait, le fil de trame noir passe en dessous et laisse apparaĂźtre le fil de chaĂźne (voir le rang 2 sur le tableau la). Au rang 3, une nouvelle inversion de lâalternance ramĂšne Ă la disposition du premier rang car le systĂšme est cyclique. Comme on peut le voir sur le tableau 1, le dessin du cannage ainsi obtenu offre Ă lâoeil une alternace clair/foncĂ© qui apparaĂźt sous forme de colonnes (= modĂšle en colonnes).
[p. 102]Tableau 1. Les deux modÚles inverses
Mais au lieu de commencer en faisant passer le premier ruban blanc au-dessus du ruban rose, on peut commencer par le faire passer au -dessous ; comme on peut le voir sur le tableau 1b, cela suffit pour donner Ă lâoeil un dessin diffĂ©rent du premier car, cette fois, lâalternance clair/foncĂ© apparaĂźt en lignes (= modĂšle en lignes) 2.
Pour voir quelle reprĂ©sentation les sujets se faisaient du systĂšme, on a mis Ă leur diposition des petits cubes aimantĂ©s. Il y a quatre sortes de cubes : des blancs, des noirs, des beiges, pour symboliser les rubans clairs et des marrons pour symboliser les rubans foncĂ©s ; ces cubes fixĂ©s lâun Ă lâautre permettent de figurer les quatre croisements caractĂ©ristiques de chaque modĂšle.
LâexpĂ©rience sâest dĂ©roulĂ©e de la maniĂšre suivante. On prĂ©sente tout dâabord au sujet le modĂšle en colonnes en lui disant de bien regarder comment sont disposĂ©s les rubans. Puis on donne Ă lâenfant un mĂ©tier vierge, câest-Ă -dire identique au modĂšle mais ne comportant que les fils de chaĂźne fixĂ©s aux montants de bois ; la tĂąche du sujet consiste Ă placer correctement les fils de trame. Ceux-ci sont prĂ©levĂ©s sur le modĂšle. On a considĂ©rĂ© le comportement des sujets aux six Ă©preuves suivantes :
1. Mise en place du premier fil de trame : rĂ©alisation dâune alternance. Si lâenfant a commis des erreurs, on rectifie afin de pouvoir passer Ă lâĂ©preuve suivante.
2. Mise en place du second fil de trame : rĂ©alisation de lâinversion.
3. Mise en place du troisiĂšme fil de trame : rĂ©alisation dâun cycle.
4. PrĂ©vision Ă distance des types de croisement : lâemplacement de chacun des rubans blancs et noirs Ă placer Ă©tant marquĂ© sur les montants du mĂ©tier Ă droite et Ă gauche, on demande au sujet de prĂ©voir comment sera le croisement entre fil de chaĂźne et fil de trame en tel ou tel point du mĂ©tier.
5. Réalisation du modÚle inverse : on présente au sujet le modÚle en lignes et on lui demande de le réaliser sur la partie demeurée inutilisée de son métier.
6. ReprĂ©sentation des deux modĂšles inverses par les quatre croisements qui les dĂ©finissent : on donne au sujet les petits cubes et on lui demande de montrer Ă lâaide de ceux-ci comment se croisent les rubans dans chacun des modĂšles.
On a enregistré au magnétoscope le comportement des vingt enfants, ùgés de quatre à douze ans, auxquels cette situation a été présentée. Les solutions que les sujets ont donné à ces problÚmes ont permis de distinguer trois niveaux avec des sous-niveaux.
1. Les niveaux IA Ă ICđ
Voici un exemple de IAÂ :
RIC (4 ;3) formule une belle implication : « Le B passe par dessous celui- lĂ parce quâon le retrouve de lâautre cĂŽté ». Il sait dire que les modĂšles sont diffĂ©rents et montrer les diffĂ©rences locales entre deux fds de trame voisins, mais il ne parvient pas Ă rĂ©aliser une alternance juste sur son propre mĂ©tier vierge. Il dĂ©clare cependant : « On fait en dessous et aprĂšs en dessus. - Et si on faisait toujours la mĂȘme chose ? - Ca tombe mais si câest en dessous et (aprĂšs) en dessus ça ne tombe pas ». Mais il nâen continue pas moins Ă commettre des erreurs dans les rĂ©alisations et finit par dire : « Le B et le N ce n âest pas la mĂȘme chose : le B il est fait pour mettre en dessous (dâoĂč finalement tout le N en dessous, puis corrections) ».
Et de IBÂ :
RAP (4 ;7) rĂ©ussit Ă bien placer les B sur son mĂ©tier : « Une fois lĂ (sous r), une fois lĂ (sous p), etc. - SĂ»r ? - Oui. parce que câĂ©tait comme ça (sur le modĂšle). - Et les NI - Câest tout Ă fait pareil que le B (il les place effectivement de façon semblable faute dâinversion : N sous r, puis sur p.  etc.). Ils font la mĂȘme chose. - Ton B est comme celui du modĂšle ? - Oui. - Et ton N ! - Non, il y a quelque chose qui ne va pas ». Elle fait une correction locale, dâoĂč cette fois une faute sur lâalternance en ligne (deux N de suite sans B entre deux). Elle essaie de tout recommencer et en rĂ©alitĂ© refait la mĂȘme chose avec faute sur lâalternance, ne parvenant pas Ă la combiner avec lâinversion.
LAU (6 ; 1 ) nâarrive pas Ă distinguer dâemblĂ©e les deux modĂšles. Part en colonnes : « Ils (les N et les B) doivent ĂȘtre jouĂ©s pareils ». Pour anticiper un croisement Ă©loignĂ©, il lui faut effectuer tous ceux qui prĂ©cĂšdent.
Et de ICÂ :
EME (6 ;3) parvient finalement Ă concilier lâinversion et lâalternance mais aprĂšs de nombreuses fautes, dont trois B successifs par dessus p, j et h et des N pareils aux B. Echec Ă la transposition sur les aimants. Conclusion finale : « 7/ faut tout refaire parce que maintenant je sais ».
En un mot, ce niveau I (de A Ă C) est caractĂ©risĂ© par un minimum dâinfĂ©rences et un ensemble de copies locales et empiriques de tel ou tel aspect des modĂšles : « Jâai fait comme ça avec le doigt comme si câĂ©tait le ruban », dit encore Eme en mettant lâaccent tantĂŽt sur lâalternance, tantĂŽt sur lâinversion, sans parvenir Ă les combiner infĂ©rentiellement et ne parvenant Ă leur synthĂšse quâaprĂšs diffĂ©rentes erreurs. En dâautres termes, ce premier niveau est celui dâactions successives avec liaisons aprĂšs coup mais carence dâimplications explicites entre elles et par consĂ©quent dâanticipations avec comprĂ©hension des « raisons », qui ne sont dâailleurs pas recherchĂ©es par le sujet.
2. Le niveau IIđ
DĂšs sept-huit ans dĂ©butent de nombreuses infĂ©rences explicites avec emploi de termes tels que « parce que » (raisons) ou « alors » (consĂ©quences), dont le double intĂ©rĂȘt est de consister en implications entre actions, donc entre significations conscientes. Sans constituer encore une structure dâensemble formulĂ©e comme telle, les implications sâinsĂšrent dĂ©jĂ en un systĂšme de relations comprises de proche en proche, qui sâapparente Ă un double groupement de sĂ©riation des croisements et de classification des couleurs c (claires) et f (foncĂ©es) en leur succession alternĂ©e.
Voici des exemples de IIAÂ :
TIZ (5 ;2) Ă©choue dâabord Ă lâalternance des B, puis copie croisement par croisement. MĂȘmes Ă©checs, puis rĂ©ussite pour les N. Le modĂšle en lignes est rĂ©ussi dâemblĂ©e.
GIN (6 ;9) rĂ©ussit Ă©galement une alternance en lignes avec les B, mais donne la mĂȘme avec les N : « Câest bien ? - Non, parce que jâai fait comme la B et ce nâest pas la mĂȘme couleur ». Il donne alors la synthĂšse en colonnes : B et N correctes avec prĂ©visions rĂ©ussies, mais aprĂšs plusieurs fautes corrigĂ©es. Il classe bien les couleurs c et f dans lâĂ©preuve des aimants. « Peut-on avoir B sur /puis B sur c dans le mĂȘme jeu ? - Oui ⊠non. - Pourquoi ? - ⊠- Et N sur c suivi de N sur fl - Non, oui. - Montre-moi oĂč sur le mĂ©tier. - Non, on ne lâa pas. - Pourquoi ? - ⊠- Alors ? - (Il corrige en f sur N) ».
GAN (8 ;11) montre la diffĂ©rence entre les deux modĂšles et choisit les colonnes. Il place correctement les B : « SĂ»r ? - Oui, câest bien parce que là ça passe dessus, tandis que là ça passe dessous et là ça passe dessus. - Et les NI - (il pose correctement le premier) ». Mais pour anticiper une situation Ă©loignĂ©e, il est obligĂ© de construire les intermĂ©diaires en tenant compte de lâalternance des deux classes claires et sombres de couleurs N sur c, etc.: il constate par exemple f sur B, « alors ça va ĂȘtre ensuite R sur f ». Mais il aboutit Ă N sur c, f sur N puis N sur c suivi de N sur f dâoĂč correction en f sur N et autres changements locaux lâempĂȘchant dâorganiser lâensemble du systĂšme : « En commençant par le N, on va trouver la mĂȘme rĂšgle ? - Non, ça va changer la rĂšgle ».
Et du niveau IIBÂ :
BER (6 ;6) reproduit correctement les deux suites : « Si je mets B sur c, penses-tu que jâaurai quelque chose de nouveau ? - Je pense quâils sont dĂ©jĂ lĂ (les montre juste). - Et si on faisait le contraire, est-ce possible ? - Non, parce que dans le jeu câest le N qui passe sur le jaune (clair) ». « Et si on pose les aimants comme ça (c sur B, B sur f c sur N et f sur N)I - Ce n âest pas juste parce que ce n âest pas possible que ce soit comme ça dans le jeu ».
T AM (8 ;6) de mĂȘme gĂ©nĂ©ralise cette relation : « Câest comme ça dans le jeu : tu vois : le N il est toujours sur une couleur claire et toujours sous une couleur foncĂ©e. - Et si jâavais dĂ©jĂ ces deux lĂ (c sur B et B sur f, peut-on avoir N sur cl - Non, parce que je ne le vois pas sur le modĂšle ⊠Ce nâest pas possible dâavoir le B et le N qui passent au-dessus des clairs, autrement il faudrait avoir deux clairs Ă cĂŽté ». On propose un Ă©change dâun B sur f dâune sĂ©rie contre un/sur B de lâautre : « Ce nâest pas possible sur un mĂ©tier : je ne le vois pas ». Tam fait donc primer ce quâil peut faire avec les aimants sur ce quâil voit sur les mĂ©tiers.
Le propre de ce niveau II est donc le passage progressif des copies empiriques et locales du modĂšle (niveau I) Ă des essais pour dominer lâensemble du systĂšme avec ses lois structurales, dâoĂč un mĂ©lange de constatations et dâinfĂ©rences les reliant par des implications entre actions. Au niveau IIA on trouve dĂ©jĂ certaines prĂ©visions rĂ©ussies, mais aprĂšs erreurs ensuite corrigĂ©es, tandis quâen IIB on voit apparaĂźtre des justifications sâexprimant sous la forme de « câest toujours » ainsi que cela se voit dans le jeu (Tam) ou « ce nâest pas possible » que cela soit comme ça sur un mĂ©tier (Ber et Tam). Il y a donc lĂ des recherches de la « raison » dâune succession, mais se bornant encore Ă une rĂ©fĂ©rence au modĂšle et non encore aux conditions intrinsĂšques dâun cannage. Mais en IIB les sujets se rapprochent de ces raisons plus profondes Ă partir de ce quâils dĂ©couvrent en manipulant les aimants.
En un mot, ce niveau II fait la transition entre ce qui nâĂ©tait au niveau I quâun effort de copie essentiellement empirique, avec les erreurs et les lacunes que comporte le mode de connaissance exogĂšne, et ce qui deviendra au niveau III une comprĂ©hension endogĂšne de la « raison » des lois et faits gĂ©nĂ©raux observĂ©s. Une telle succession des comportements revient en quelque sorte Ă doubler et presque Ă remplacer la connaissance physique initiale des observables disponibles par une connaissance logico-mathĂ©matique des structures en jeu, ou, plus simplement dit, Ă construire un « modĂšle dĂ©ductif » indispensable Ă la comprĂ©hension du ou des systĂšmes prĂ©sentĂ©s.
A cet Ă©gard, les aimants jouent un rĂŽle essentiel en tant quâinstruments de la construction de tels modĂšles. Alors quâau dĂ©but (niveau I) ils nâont dâautre signification que dâajouter un problĂšme de plus Ă ceux que posent dĂ©jĂ les deux mĂ©tiers complets, ils acquiĂšrent au niveau II la signification de symboles permettant une modĂ©lisation Ă la fois Ă©largie et, en un sens, simplifiĂ©e des croisements. En possession dâun tel instrument, les sujets du niveau III parviendront alors Ă ce qui nâest quâesquissĂ© au niveau II : une comprĂ©hension effective et gĂ©nĂ©rale des rapports en jeu dans les mĂ©tiers, rapports devenant gĂ©nĂ©raux au niveau II mais sans encore de nĂ©cessitĂ© intrinsĂšque.
3. Le niveau IIIđ
Ce dernier niveau est donc celui oĂč, non seulement le sujet peut dĂ©duire les relations en jeu, mais encore en justifier le caractĂšre nĂ©cessaire, ce qui constitue une recherche et un Ă©tablissement des « raisons »:
PAT (10 ;4) rĂ©ussit dâemblĂ©e les alternances « parce que si le B passe au- dessus dâune couleur, le N doit passer en dessous de la mĂȘme couleur ». La prĂ©vision Ă distance est correcte : « Ici le B sera dessus parce quâil passe toujours au-dessus du pourpre, donc câest obligé : on le voit avec lâautre blanc quâon a dĂ©jĂ fait ». Aimants : il fait B sur c, N sur f f sur B et c sur N : « On pourrait faire une autre sĂ©rie ? - (Il donne : c sur B, / sur N, B sur f et N sur c). - Et si on voulait faire une troisiĂšme sĂ©rie ? - On pourrait commencer avec les B au-dessus des couleurs claires et les B sous les foncĂ©es : et les N sur les f et les B sur les c. - Câest une nouvelle sĂ©rie ? - (11 regarde les jeux) Ah ! Oui, câest la mĂȘme que la premiĂšre. On ne peut que faire les deux sĂ©ries qu âon a dĂ©jĂ faites ».
ROB ( 10 ;6). Alternances correctes avec une erreur locale aussitĂŽt corrigĂ©e : « Comment as-tu vu que tu tâĂ©tais trompé ? - En comparant avec le B : ce doit ĂȘtre le contraire. - Comment ce sera quand tu arriveras ici ? - Ce sera lĂ , N sous lâorange. - Pourquoi ? - Je me repĂšre sur le jaune ». Aimants : il fait deux groupes de trois : N sur c qui est sur BctB sur /qui est sur N, ce qui traduit une comprĂ©hension effective de la structure : « On peut avoir B sur N ! - Non. ça ne se peut pas. - Et si je mets c sur B et B sur cl - Ca dĂ©pend du nombre de lignes : ce serait possible avec un nombre pair et ici il y en a neuf. - Câest possible sur le mĂȘme mĂ©tier dâavoir le B passant sur c et aussi sous cl - Ah non, ça ne se peut pas parce quâil y a toujours un fil sombre entre les deux. - Et un c sur un B et un f aussi au dessus du Bl - Non. ce nâest pas possible : ce serait tous au-dessus ou tous en dessous ». « On peut faire des Ă©changes entre les deux sĂ©ries ? - Ce nâest pas possible parce que si le B est sur le c, il ne peut pas ĂȘtre sur un f ».
AUD (12 ;0). Pour le fd de trame N2 avec anticipation dâun croisement Ă©loigné : « On peut le savoir quand on regarde sur la mĂȘme ligne. Par exemple, le N passe en dessous de lâorange, alors on sait quâil doit passer au-dessus du vert et en dessous du rose ; ou on peut simplement regarder lâautre blanc, puisque tous les blancs font de mĂȘme façon ». 11 Ă©numĂšre de façon exhaustive les diffĂ©rents rĂ©fĂ©rents qui lui pourraient servir pour prĂ©voir un croisement. On lui propose un Ă©change entre deux sĂ©ries dâaimants : « Dans un seul, non, parce que si lâun (des jeux) a un B qui passe sur une couleur foncĂ©e, ensuite la couleur claire il pourrait pas passer sous du N, ça serait le contraire (situation lignes) ».
XYS ( 13 ;0) va jusquâĂ proposer un seul couple dâaimants pour engendrer toutes les autres possibilitĂ©s de croisements. Il fait le passage au symbolique Ă un tel point quâil nous propose des sĂ©ries de couples qui ne peuvent pas se trouver sur un mĂȘme mĂ©tier : « Oui, si on a envie quâil fasse ce jeu lĂ (colonnes), on lui laisserait que c sur N et il saura continuer. - Comment ? - Oui, un seul suffit. Puisque on sait que les couleurs claires passent dessus du N, on sait que les couleurs foncĂ©es passent dessous et pour le B câest forcĂ©ment le contraire ».
La nouveautĂ© de ces rĂ©ponses est que les infĂ©rences des sujets ne se bornent pas Ă atteindre le « toujours parce que câest ainsi » ou lâimpossible « parce que je ne le vois pas sur le jeu ». Le nĂ©cessaire, le possible ou lâimpossible sont motivĂ©s par des dĂ©ductions qui en fournissent les « raisons ». En particulier, les aimants en viennent Ă servir de signifiants gĂ©nĂ©raux constituant par leurs combinaisons des « modĂšles explicatifs » applicables aux mĂ©tiers, et permettant mĂȘme comme chez Xys une construction de toutes les possibilitĂ©s.
4. Conclusionsđ
LâĂ©volution gĂ©nĂ©rale dont nous venons de retracer les grandes lignes peut ĂȘtre caractĂ©risĂ©e par le passage progressif des coordinations dâactions matĂ©rielles, dont les significations ne sont dĂ©gagĂ©es (et encore partiellement) quâune fois les mouvements exĂ©cutĂ©s, Ă des coordinations dâinfĂ©rences, dont les significations sâimposent dĂšs leurs anticipations. Cela nâempĂȘche pas que dĂ©jĂ au niveau I certaines implications gĂ©nĂ©rales sont formulĂ©es, qui commandent toutes les actions ultĂ©rieures : par exemple, « le B passe par dessus (telle ou telle ligne de chaĂźne) parce quâon le retrouve de lâautre cĂŽté » (Rie). Quant au dĂ©tail des actions Ă accomplir pour reproduire les relations inhĂ©rentes au mĂ©tier choisi, il est remarquable que les plus jeunes sujets aient besoin de les effectuer par des mouvements de la main et des doigts, avant de dĂ©placer les rubans eux-mĂȘmes selon les trajets dĂ©couverts par lâaction propre antĂ©rieure.
Bien entendu, lâĂ©volution gĂ©nĂ©rale que nous venons de rappeler comporte certaines irrĂ©gularitĂ©s, comme parfois une plus grande facilitĂ© Ă manipuler correctement les aimants que les mĂ©tiers complets, mais dans les grandes lignes, on vĂ©rifie le passage progressif des coordinations dâactions aux compositions infĂ©rentielles au sein desquelles ce sont des abstractions rĂ©flĂ©chissantes qui dirigent les manipulations.
Cela dit, lâintĂ©rĂȘt propre de cette recherche est de porter sur une structure dâensemble complexe dont les caractĂšres multiples sont solidaires et difficiles Ă discerner dĂšs le premier coup dâoeil. La recherche sur les chemins du chapitre II (structure dâarbre) portait dĂ©jĂ sur un systĂšme dâensemble, mais facile Ă discerner en tant que les trajets partiels reposaient tous sur les mĂȘmes liaisons dichotomiques. Au contraire, dans le prĂ©sent cas, il sâagit de relations distinctes (alternance des B ou des N, inversions entre deux, multiplicitĂ© des croisements, correspondance avec les aimants, etc.), mais toutes reliĂ©es les unes aux autres en une structure dâensemble trĂšs complexe ne devenant comprĂ©hensible quâaprĂšs une fine analyse du dĂ©tail. Il en rĂ©sulte quâil nous faut distinguer deux sortes dâimplications entre actions ou significations : les implications que nous appellerons « locales » ne portant que sur une sorte de relations (alternance des B ou des N, inversions des B et des N, rĂ©pĂ©tition des croisements, etc.) et les implications que nous nommerons « systĂ©miques », qui consistent Ă relier les relations locales en un tout cohĂ©rent jusquâĂ en fournir les « raisons ». Dâun tel point de vue, il est clair que la succession de nos trois niveaux consiste en une construction progressive de ces implications systĂ©miques, absentes au niveau I, dĂ©butant au niveau II (mais oĂč les « raisons » ne consistent quâĂ invoquer un « toujours ainsi dans le jeu ») et sâimposant au niveau II avec comprĂ©hension des « raisons » intrinsĂšques au systĂšme.
Il est donc Ă©vident quâil existe des implications entre actions dĂšs le niveau I, mais du type « local » et telles que la signification de ces actions soit dĂ©terminĂ©e par leurs rĂ©sultats constatĂ©s sur les mĂ©tiers. Ce nâest quâen de rares exceptions que lâimplication est dĂ©duite sans le contrĂŽle empirique : câest pourtant le cas lorsque le sujet dĂ©clare (et mĂȘme avec certitude) que, si le B ou le N demeuraient constamment au-dessus et au-dessous, « ils tomberaient » (Rie), tandis quâil nâen est rien en cas dâalternance dessus-dessous. Par contre, le fait que cette alternance peut se continuer sans cesse est Ă la fois une infĂ©rence inductive et un fait observable.
Au niveau II dĂ©butent les implications systĂ©miques dans les comparaisons entre modĂšles, ou les jugements sur ce qui est possible et ce qui ne lâest pas dans les mĂ©tiers prĂ©sentĂ©s. Mais comme dĂ©jĂ dit, ces infĂ©rences ne suffisent pas pour parvenir aux « raisons » nĂ©cessaires, les seules raisons invoquĂ©es consistant Ă constater que câest « toujours » ou « jamais » le cas dans les liaisons constatĂ©es, ce qui consiste Ă confondre la nĂ©cessitĂ© avec la gĂ©nĂ©ralitĂ©. Mais cette derniĂšre suffit dĂ©jĂ Ă montrer que pour le sujet il y a « systĂšme » et non pas une simple collection de rĂ©gularitĂ©s locales.
Ce nâest quâau niveau III que les implications systĂ©miques lâemportent dĂ©finitivement, au point que le sujet Xys en arrive Ă dĂ©duire dâun seul couple dâaimants lâensemble de toutes les autres possibilitĂ©s, ce qui marque la victoire du « nĂ©cessaire » sur le « gĂ©nĂ©ral ».
Notons enfin quâĂ tous les niveaux dĂšs le premier les liaisons Ă©tablies par le sujet sont isomorphes Ă de futures opĂ©rations. La suite des alternances caractĂ©rise ainsi ce que nous appelons des « conjonctions obligĂ©es », câest-Ă -dire des conjonctions dont les termes sont insĂ©parables, tandis que la suite des fils de chaĂźne relĂšve de « conjonctions libres », en ce sens que rien nâobligeait de mettre le pourpre Ă cĂŽtĂ© du jaune, seules les suites cfcfcf Ă©tant nĂ©cessaires. Les inversions constituent en un sens des nĂ©gations. Des disjonctions exclusives caractĂ©risent les rapports entre N et B, tandis quâon peut parler de disjonction non exclusive quand B sur c entraĂźne soit N sur/ soit c sur N. Il existe par ailleurs des incompatibilitĂ©s ou impossibilitĂ©s, etc