Thèse de Loraine Chappuis

"Avoir la compagnie de l'autre sexe" : la répression des relations charnelles illicites à Genève au XVIIIe siècle. Une histoire sociale du désir selon les procès en paillardise (1670-1794)

Directeur : Michel Porret (Université de Genève) et codirectrice : Sylvie Steinberg (EHESS)

Président du jury : Martin Rueff (Université de Genève)

Baudouin_soins tardifs_thèse_Chappuis.jpgAu lendemain de la Réforme, le Petit Conseil, instance souveraine de la jeune République de Genève, promulgue plusieurs édits visant à encadrer les rapports sexuels extraconjugaux des femmes et des hommes. Normalisant comportements et morale sexuels, ces lois pénalisant la « paillardise » traduisent une perception et un idéal religieux dans lesquels plaisirs et désirs individuels sont subordonnés à la procréation dans le cadre matrimonial. Tendant à la sécularisation du traitement juridique, la rigueur de ce système normatif évolue et aboutit à une redéfinition du contentieux : durant le XVIIe siècle, les procès pour paillardise instruits ne concernent plus que les couples dont la femme se retrouve enceinte. À partir de cette redéfinition, l’illégalisme sexuel se fixe donc sur la grossesse illégitime : l’enjeu du procès se concentre sur l’attribution judiciaire de la paternité pour protéger le bâtard de l’infanticide et la communauté du poids financier des abandons. Plus de 3000 couples sont ainsi poursuivis dans le cadre de la justice républicaine faisant de la paillardise l’un des principaux contentieux pénaux quantitativement et socialement de la pratique judiciaire genevoise au XVIIIe siècle.

Si la répression de la paillardise constitue l’un des points cardinaux du contrôle social des relations sexuelles hors mariage, la justice civile n’en constitue cependant pas le seul rouage. Au contraire, plusieurs autres acteurs, comme le Consistoire, les ministres et l’hôpital général, participent étroitement de se contrôle et forment un dispositif qui vise à encadrer l’illégitimité tant des rapports sexuels des paillards que la naissance et l’existence de leur progéniture, les bâtards.  

Se concentrant sur l’activité répressive de la justice à travers les procès en paillardise et les pratiques d'assistance de l’hôpital général, cette thèse entend contribuer à combler le relatif vide historiographique autour de l’histoire sociale des relations sexuelles et de la bâtardise. Deux axes principaux sous-tendent cette recherche. Le premier s’intéresse au « commerce charnel » des paillards : aux représentations de leur sexualité, à leurs discours sur celle-ci, à sa place sociale, à son appréhension par les autorités civiles et religieuses. Le deuxième concerne ensuite les conséquences de ces rapports illicites, l’enfant illégitime. En étudiant les pratiques d’intégration ou de rejet familial, relatives à la dénomination de l’enfant notamment, ainsi que les mesures institutionnelles prises à son encontre, il s’agit de mesurer ses possibilités de socialisation face au poids du préjugé qui entoure la figure sociale du bâtard. Finalement, cette recherche veut interroger les mécanismes d’interventions étatiques dans les sphères privée, maritale et familiale pour participer à la construction d’un savoir sur les comportements sexuels dans le prisme de leur contrôle social.

Nicolas Delaunay (graveur) d’après Pierre-Antoine Baudouin (peintre), Les soins tardifs, 1770.