Mission spéciale (1940)a
À quelques kilomètres d’ici commencent les tranchées de la guerre, et des hommes meurent. Pourquoi cette guerre, pourquoi ces morts ? Parce que les États de l’Europe n’ont pas pu résoudre autrement le problème des minorités. Or ce problème n’existe plus chez nous ; notre fédéralisme séculaire l’a résolu par le droit et le fait, sur des bases chrétiennes et pratiques, dans un esprit de solidarité que symbolise exactement notre maxime confédérale : un pour tous, mais aussi tous pour un.
Nous sommes ici, mobilisés, parce que les peuples autour de nous se font la guerre ; et s’ils la font, c’est parce qu’ils n’ont pas su se fédérer progressivement. La guerre actuelle, quels qu’en soient les fauteurs, se trouve être dans son principe la guerre la plus antisuisse de l’histoire. C’est donc pour nous la pire menace. Mais en même temps la plus belle promesse ! Maintenant la preuve est faite, attestée par le sang, que la solution suisse et fédérale est seule capable de fonder la paix, puisque les autres aboutissent à la guerre.
[p. 63]Ce n’est pas notre orgueil qui l’imagine, ce sont les faits qui nous obligent à le reconnaître avec une tragique évidence. Et c’est cela que nous avons à défendre en défendant notre patrie : le seul avenir possible de l’Europe. Le seul lieu où cet avenir soit, d’ores et déjà, un présent.
Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, ce n’est pas pour défendre d’abord notre fameux confort moderne. Ce n’est pas seulement pour protéger nos « lacs d’azur » et nos « glaciers sublimes ». Si nous sommes là, c’est pour exécuter la mission dont nous sommes responsables depuis des siècles, depuis les temps du Saint-Empire : notre mission vis-à-vis de l’Europe. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de notre indépendance, et telle est la mission spéciale qui justifie notre neutralité.