Campus n°127

Genève et la Chine, une alliance qui s’inscrit dans le durable

5EM.JPG

Former les générations futures aux enjeux du développement durable, c’est l’objectif de la « Summer school » organisée cet été dans le cadre du partenariat conclu entre l’UNIGE et l’université chinoise de Tsinghua.

«Le but de l’éducation intellectuelle n’est pas de savoir répéter ou conserver des vérités toutes faites. C’est d’apprendre à conquérir par soi-même le vrai, au risque d’y mettre le temps et de passer par tous les détours que suppose une activité réelle », écrivait le psychologue Jean Piaget au début des années 1970 dans Où va l’éducation ? S’attaquer à des problèmes concrets, explorer de nouvelles pistes, privilégier les réalisations pratiques au savoir théorique, c’est précisément l’ambition de la Summer School organisée dans le cadre du nouveau partenariat liant l’UNIGE et l’Université chinoise de Tsinghua. Une formation dont la première édition s’est tenue cet été, permettant à la quarantaine d’étudiants qui y ont participé de se mettre, quelques semaines durant, dans la peau de véritables entrepreneurs sociaux.
« L’ensemble de cette collaboration avec l’Université de Tsinghua, qui est la meilleure université polytechnique de Chine, vise à développer des enseignements innovants utilisant le potentiel des nouvelles technologies et du crowdsourcing dans le cadre de la mise en œuvre des Objectifs du développement durable (ODD) fixés pour les quinze prochaines années par les Nations unies, explique François Grey, professeur au Centre universitaire d’informatique de l’UNIGE et responsable du volet genevois du projet. Le tout en partant non pas de concepts abstraits, mais de problèmes auxquels les organisations internationales sont confrontées au quotidien. Sorte de ballon d’essai, la formation mise sur pied cet été a permis de démontrer que la démarche avait un potentiel certain. »
Le projet a pris forme en janvier dernier au Forum de Davos, lors d’une réunion informelle entre le recteur de l’Université de Genève et son homologue de Tsinghua. Pour en affiner les contours, François Grey et son équipe se sont d’abord tournés vers les principales organisations internationales basées à Genève, telles que le CICR, l’OMS, l’UNEP, UNITAR ou le CERN, afin de proposer leurs services en vue de réaliser des projets concrets. Un tour de table qui s’est avéré fructueux.
« L’accueil a été très positif, confirme François Grey. D’une part, parce que ces organisations attendent beaucoup du crowdsourcing pour mobiliser le grand public, et en particulier les jeunes. De l’autre, parce que même si elles peuvent attirer des stagiaires venus des meilleures universités, elles ne disposent pas de petites équipes pluridisciplinaires capables d’imaginer, de tester et de produire rapidement des solutions bon marché en réponse à un problème précis. Et c’est justement ce que nous proposions de leur offrir au travers de la Summer School. »
Au final, cette phase de consultation a permis de dégager six projets réunissant les conditions requises, à savoir un lien avec les ODD, et un coût de production peu élevé : la création d’un appareil détectant la présence d’arsenic dans l’eau, la mise au point d’une application contribuant à mieux modéliser les risques de passage de virus entre les animaux et l’être humain, le développement d’un système d’aide au déplacement destiné aux aveugles, la fabrication d’un microscope à résolution nanométrique « low cost » pour analyser la pollution atmosphérique, l’écriture d’un jeu en réalité augmentée destiné a faire connaître les ODD au grand public et la conception d’un logiciel optimisant le monitoring environnemental (lire en page 53). Pour relever ces différents défis, une quarantaine d’étudiants, venus pour moitié d’Europe et pour moitié de Chine, ont ensuite été sélectionnés sur dossier.
« Les étudiants relativement avancés dans leur cursus privilégient souvent des formations pointues conduisant à une spécialisation accrue, note François Grey. Or, nous recherchions à peu près l’inverse, c’est-à-dire des gens capables de travailler de manière interdisciplinaire sur un sujet qu’ils n’avaient pas forcément choisi. Ce qui a été déterminant pour nous, c’est donc la variété des profils et l’enthousiasme montré pour le développement durable au sens large du terme. »
Les équipes une fois constituées, tout ce petit monde s’est retrouvé durant une semaine dans le quartier de Sécheron, sous les verrières du Campus Biotech. Le temps de permettre aux étudiants de se familiariser avec la réalité des organisations internationales (au travers de visites notamment) et de leur présenter les principaux enjeux liés à la problématique du développement durable.
Assistés par des mentors issus des organisations concernées, les participants ont consacré les quatre semaines suivantes au développement d’une étude de projet afin de valider sa faisabilité et d’en fixer les contours de manière plus précise.
Leurs dossiers bouclés, ils se sont ensuite envolés vers la Chine pour un séjour de deux semaines. La première s’est déroulée à Pékin, sur le vaste campus de l’Université de Tsinghua, qui accueille chaque année près de 30 000 étudiants, soit deux fois plus que celui de Genève. Dans cet écrin verdoyant, où ont été formés de nombreux dirigeants chinois – dont les deux derniers présidents du pays – les participants de la Summer School ont notamment pu bénéficier des infrastructures du « Lifelong Learning Lab ».
Créé en 2015 avec le soutien de la Fondation Lego, ce laboratoire d’un genre nouveau, dont François Grey est codirecteur, a pour vocation de soutenir les efforts réalisés par la Chine afin de réformer son système éducatif en développant des méthodes d’enseignement basées sur l’apprentissage pratique et collaboratif.
Chaque équipe a pu y étudier les différentes options possibles en termes de technologies « low cost » ou de logiciel « open source ». Les projets qui le nécessitaient y ont également été soumis à un groupe de lycéens et de collégiens chinois afin de vérifier que les applications de crowdsourcing sur lesquelles ils reposaient étaient bel et bien accessibles à ce public.
Le programme s’est achevé à 2000 kilomètres plus au sud, dans cette « Silicon Valley chinoise » que constitue la ville de Shenzhen. Proche de Hong Kong, cet ancien village de pêcheurs qui compte désormais 10 millions d’habitants profite depuis le début des années 1980 d’une croissance spectaculaire liée à son statut de zone économique spéciale.
Attirant des milliers d’investisseurs étrangers et abritant des antennes de diverses institutions chinoises telles l’Université de Pékin ou l’Université Tsinghua, la région se profile comme un acteur incontournable sur le marché de l’électronique.
« C’est l’endroit vers lequel se tournent aujourd’hui toutes les start-up de monde qui travaillent avec des composants électroniques, résume François Grey. On y trouve non seulement un immense choix de matériel peu cher et de nombreuses solutions en « open source », mais également des structures qui se sont spécialisées dans le prototypage comme le Shenzhen Open Innovation Lab où nous avons été hébergés. »
Comme tous les « laboratoires de fabrication » (« FabLab » en anglais), celui de Shenzhen est un espace collaboratif dans lequel différents outils – et notamment des machines-outils pilotées par ordinateur – sont mis à la disposition des entrepreneurs, designers, artistes, bricoleurs et autres étudiants pour leur permettre de passer rapidement de la conception à la réalisation d’un projet concret.
Au programme : travail en équipe le matin, puis visites d’entreprises, usines et autres laboratoires l’après-midi afin que les participants à la Summer School puissent prendre la mesure de l’écosystème technologique local avant de présenter le résultat final de leur travail à un panel composé d’experts en design, en développement et en manufacture.

Relever le défi

« Au final, le bilan de l’expérience est très positif, conclut François Grey. D’abord parce que toutes nos équipes sont parvenues à relever le défi qui leur était proposé, à savoir passer du stade de concept à celui de prototype en moins de deux mois, ce qui n’est pas la moindre des performances. Ensuite, parce que tous les partenaires impliqués y ont trouvé leur compte. Les Nations unies et les organisations internationales disposent désormais d’un certain nombre de solutions pouvant être reprises à moindre coût, voire gratuitement, pour faire face aux problèmes posés. Du côté chinois, cette collaboration a permis une meilleure compréhension des enjeux du développement durable à l’échelle planétaire ainsi que du « système onusien ». Pour l’Université, c’est un excellent moyen de mettre en valeur ce qui peut être accompli par des étudiants motivés et, surtout, d’augmenter son expertise dans le domaine en plein essor que constitue la science participative. »

Vincent Monnet