Journal n°100

Reproduction assistée: dépasser les clivages

Difficile de débattre des technologies de la reproduction et des outils diagnostics dans un climat serein. Le point avant la votation du mois de juin

Les recherches sur le vivant, en particulier celles liées aux technologies de la reproduction, ont le don de cristalliser des positions antagonistes dans le débat public. La décision récente des autorités britanniques d’autoriser la fécondation in vitro à partir de trois sources d’ADN différentes – celles du père et de la mère, ainsi que l’ADN mitochondrial d’une donneuse tierce – a une nouvelle fois suscité la controverse, certaines associations se révélant promptes à agiter le spectre du déterminisme génétique.
Pourquoi cette décision, et d’autres du même type dans le domaine du diagnostic prénatal, déchaîne-t-elle les passions? Alors que les Suisses devront se prononcer, en juin prochain, sur une modification de la Constitution autorisant le diagnostic préimplantatoire, Samia Hurst, professeure à l’Institut Ethique Histoire Humanités de la Faculté de médecine et consultante éthicienne auprès du Conseil d’éthique clinique des Hôpitaux universitaires de Genève, explore notre fonctionnement moral face aux technologies de la reproduction. Elle tiendra une conférence sur ce thème le 10 mars prochain, dans le cadre d’un séminaire international organisé par les Archives Jean Piaget.

La Grande-Bretagne devient le premier pays à valider la fécondation in vitro avec remplacement mitochondrial. Pourquoi cette décision fait-elle à ce point débat?
Samia Hurst:
La décision des autorités britanniques mobilise de manière très intéressante des notions qui dépassent le seul cadre de la médecine. On a dit dans la presse que cette décision aboutirait à mettre au monde des enfants «à trois parents». Mais que signifie être parent? S’agit-il de transmettre ses gènes? Devient-on parent lorsqu’on endosse une fonction sociale, éducative? La parentalité est-elle gestationnelle, considérant la mère dans sa capacité à donner la vie et le père comme l’accompagnateur de la grossesse? Ces différentes acceptions ne sont pas concomitantes ici. Cela nous rend inconfortables et l’on retrouve cet inconfort à chaque fois que les technologies de la reproduction font l’actualité.

Comment expliquer que ce type de fantasmes sur la parentalité prenne tant de place dans le débat public?
La parentalité nous importe, et lorsque nos représentations sont bousculées, il n’est pas étonnant que nous réagissions par des fantasmes. Ceux-ci viennent également colorer le regard moral, ou éthique, que nous posons sur ces technologies. Ici, le champ de la psychologie morale apporte quelques réponses sur les mécanismes à l’œuvre dans le fonctionnement des individus. Dans nos raisonnements éthiques aussi, nous avons tendance à partir de nos émotions. Cette posture ne peut que conduire à des positions tranchées, voire nécessairement opposées, et tourner très vite au dialogue de sourds. Aborder les questions d’éthique par le raisonnement et le dialogue permet de dépasser ces désaccords initiaux. Il reste cependant difficile de véritablement réconcilier les positions de chacun, car des sujets aussi délicats que les technologies médicales touchent également à des valeurs différentes.

Dans le cas du diagnostic préimplantatoire, comment se manifeste ce conflit de valeurs?
Il a fallu trouver un équilibre entre la liberté légitime des couples de pouvoir décider d’implanter ou non un ovule fécondé suite à un diagnostic et la préservation d’autres intérêts tout aussi légitimes. Ici, la protection à accorder à l’embryon est bien sûr controversée. A partir de quand une entité fragile bénéficie-t-elle d’une protection légitime? Un autre point essentiel qui a animé le débat était qu’il ne fallait en tout cas que les populations fragiles, comme certaines personnes vivant avec un handicap, puissent en déduire qu’elles sont devenues indésirables au sein de notre société. Quoi qu’il en soit, le diagnostic préimplantatoire consacre le principe actuellement en vigueur qui veut que c’est au couple, et in fine à la mère, de décider si une grossesse va ou non être mise en route. Ce principe reste évidemment valable en cas de maladies génétiques graves avérées.

La loi soumise au vote en juin fixe-t-elle des limites à la liberté des futurs parents?
Le texte sur le diagnostic préimplantatoire ne prévoit pas de liste de pathologies qui constitueraient une «contre-indication» à entreprendre une grossesse. A la place, il décrit le type d’informations génétiques que l’on pourra rechercher à travers un diagnostic préimplantatoire. Certains aspects, comme l’inclusion ou non de certaines maladies génétiques qui ne portent pas immédiatement atteinte au développement ou à la vie du fœtus, comme la trisomie 21, font l’objet de débats. Toujours est-il que le principe qui prévaut actuellement dans le cas du diagnostic fœtal, selon lequel la détresse parentale et le danger à la santé maternelle sont des éléments décisionnaires, est consacré.

Les enjeux liés à la recherche sur le vivant sont-ils condamnés à générer des positions antagonistes au sein du grand public?
L’apport de la psychologie morale, en particulier les travaux de Jonathan Haidt, nous enseigne que si nous partageons des intuitions morales communes, nous ne les considérons pas toutes au même degré. Certains fondamentaux psychologiques sont ainsi parfois reconnus comme relevant d’un enjeu moral, et d’autres non. Nous avons naturellement de la peine à dépasser ce clivage pour aboutir à un consensus. Ce qu’il y a de fascinant dans ces recherches n’est pas qu’elles nous montreraient une forme de «vérité morale». En nous permettant de regarder derrière les coulisses de notre fonctionnement moral, elles peuvent cependant nous aider à mieux comprendre des positions très différentes des nôtres et à développer une forme d’empathie éthique.

| mardi 10 mars |

Notre fonctionnement moral face aux technologies de la reproduction

18h15 | Uni Mail, salle MR040


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