Journal n°111

En 1915, la relativité générale change notre vision du monde

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En 1915, Albert Einstein énonce sa théorie de la relativité générale. Une véritable révolution dans le domaine de la physique que l’UNIGE célèbre du 24 au 27 novembre avec une série de conférences publiques

«E=mc2», la formule la plus célèbre du monde... Issue de la théorie de la relativité restreinte, qu’Albert Einstein énonce dans un article paru en juin 1905, elle ouvre la voie à la formulation, dix ans plus tard, d’une théorie plus vaste intégrant la loi de la gravité de Newton: la relativité générale. A l’occasion de son centenaire, les Sections de mathématiques et de physique, en collaboration avec le Pôle de recherche national SwissMAP, organisent une série de conférences publiques (lire encadré).

Naissance d’une théorie

Dans les années 1880, les physiciens américains Albert Abraham Michelson et Edward Morley procèdent à différentes mesures de la vitesse de la lumière et découvrent que cette valeur ne change pas quelle que soit la direction dans laquelle elle est observée. Pourtant, selon eux, celle-ci devrait être différente si elle est mesurée parallèlement ou perpendiculairement à la course de la Terre. Dans le premier cas, la vitesse mesurée devrait être plus élevée que dans le second, la vitesse de la Terre s’additionnant à la vitesse de la lumière. De la même manière, un observateur ne voit pas un avion se déplacer à la même vitesse s’il est lui-même immobile ou s’il se trouve en mouvement.

Pour expliquer cette contradiction, Einstein remet en cause le caractère absolu de l’espace et du temps: c’est la théorie de la relativité restreinte. Elle bouleverse l’image du monde que l’on avait jusque-là, en montrant qu’une seconde ne vaut pas toujours une seconde et qu’un mètre ne mesure pas toujours un mètre.

Première conséquence: la vitesse de la lumière – le «c» de la fameuse formule – devient une constante fondamentale. Sa valeur, 299 792 kilomètres par seconde, ne change pas, quelle que soit la vitesse de l’observateur. Second point: si elle ne varie pas, c’est que les distances doivent se contracter et le temps se dilater pour l’observateur en mouvement.

Professeur au Département de physique théorique (Faculté des sciences), Michele Maggiore explique: «Dans la vision newtonienne, l’espace et le temps sont deux choses totalement différentes. Grâce aux travaux de ses prédécesseurs, Einstein se rend compte que notre Univers possède quatre dimensions, dont l’une est le temps.»

Le fait que le temps ralentit pour les objets en mouvement a été vérifié expérimentalement, bien des années plus tard, grâce à une horloge atomique embarquée dans un avion pendant plusieurs heures. A son retour sur Terre, une infime différence est mesurée avec l’horloge restée sur place.

Une dernière conséquence de la théorie d’Einstein – la plus connue – est que la matière (m) et l’énergie (E) sont équivalentes (E=mc2). La formule explique ainsi pourquoi le Soleil brille: lors des réactions de fusion, une petite partie de la masse est transformée en énergie qui s’échappe sous forme de rayonnement.

Extension générale

Le concept de la relativité restreinte amène donc une nouvelle compréhension des lois de la nature. Toutefois, cette théorie a ses limites. En particulier, elle n’intègre pas la loi de la gravité de Newton. Einstein doit donc étendre sa réflexion et postule que la gravitation n’est plus une force exercée par un objet sur un autre, mais une déformation de la structure même de l’espace-temps.

Il faut imaginer l’Univers comme un tapis élastique. Si on y pose une masse – la Terre par exemple – ce tapis se déforme et se creuse, c’est la courbure de l’espace-temps.

«Avec Einstein, la manière de comprendre le mouvement des corps dans un champ de gravitation change complètement, explique Michele Maggiore. Dans le cadre newtonien, la Terre crée une force dans son voisinage que la Lune subit et qui lui donne le mouvement qu’on lui connaît, une trajectoire elliptique. La vision d’Einstein est beaucoup plus élégante: il n’y a plus de force de gravitation, la Terre déforme ­l’espace-temps autour d’elle et la Lune, qui ne subit aucune force, se déplace en ligne droite. Sauf qu’avec la déformation de l’Univers, les lignes droites deviennent des courbes.»

Cette prédiction est vérifiée par l’astrophysicien britannique Arthur Eddington en 1919, lors d’une éclipse solaire qui permet de mesurer la position d’étoiles situées derrière le Soleil. Celles-ci apparaissent effectivement légèrement décalées, comme l’avait prédit la théorie d’Einstein. «Cet effet de lentille gravitationnelle est beaucoup utilisé en cosmologie, explique Michele Maggiore. Une masse située entre la Terre et une galaxie va dévier les photons lumineux qui en proviennent. En fonction de la distorsion subie, l’image de cette masse – que l’on ne voit pas, car elle n’est pas lumineuse – peut être reconstituée. C’est ainsi que l’on a découvert la matière sombre.»

Avenir en construction

Une fois la théorie élaborée et comprise, les physiciens ont cherché à intégrer les principes de la relativité à la mécanique quantique. Première étape avec la relativité restreinte qui a conduit à la théorie quantique des champs, qui permet de comprendre la physique des particules et de nombreux aspects de la physique de l’Univers primordial. «D’autres forces ont été découvertes dans la nature, comme les interactions entre les particules élémentaires, qui ont permis aux physiciens de construire un modèle, le Modèle standard, raconte le professeur. Utilisé tous les jours dans les expériences du CERN, celui-ci fonctionne admirablement et a encore été renforcé par la découverte récente du boson de Higgs.»

Reste à faire le lien entre la relativité générale et le monde quantique, avec une théorie plus complète. Si d’importants progrès conceptuels ont été réalisés ces dernières années, cet objectif paraît toutefois encore assez lointain. «Ces deux théories agissent de manière significative uniquement dans des conditions extrêmes, comme au moment du Big Bang, explique le professeur. Nous ne disposons pas de données expérimentales, il faut donc les conceptualiser.»


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