Journal n°85

Comment la sécurité sociale a eu un effet libérateur sur les individus

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Pour marquer son centenaire, l’Office fédéral des assurances sociales a mandaté un groupe d’historiens afin de réaliser un site Internet retraçant la mise en place de la sécurité sociale en Suisse

La Suisse n’a pas la réputation d’être un pays avancé en matière de protection sociale. Une perspective historique sur la question fait toutefois apparaître un tableau plus nuancé.

UN SIECLE D'EMPOIGNADES

En 1877, la Confédération joue ainsi un rôle pionnier sur le plan international en promulguant une «loi sur les fabriques». Celle-ci limite la durée légale du temps de travail à 11 heures par jour et garantit une journée de repos hebdomadaire aux ouvriers de l’industrie, alors en pleine expansion. Il a certes fallu plus d’un siècle d’empoignades politiques, ponctuées d’avancées et de longues périodes de blocages pour parvenir au système de sécurité sociale tel que nous le connaissons aujourd’hui, mais les idées-forces de ce système avaient déjà été pensées autour de 1900, et pas seulement par des hommes de gauche.

Lancé en février de cette année à l’occasion du centenaire de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), le site Internet «Histoire de la sécurité sociale en Suisse» apporte un éclairage inédit, à la fois complet et condensé, sur la construction de l’Etat social. Réalisé par quatre historiens, un web designer et un graphiste, sur mandat de l’OFAS et sous la direction de Matthieu Leimgruber, professeur à la Faculté des sciences de la société, et de Martin Leng­wiler, professeur à l’Université de Bâle, ce site a d’abord été conçu à l’adresse du grand public. Un ruban chronologique, accompagné de documents visuels, donne un rapide aperçu des principales étapes de la mise en place des assurances sociales, selon une séquence propre aux pays industrialisés: les accidents du travail et la maladie, en lien avec l’industrialisation; puis la vieillesse, conséquence de l’augmentation de l’espérance de vie; et enfin le chômage, pour faire face à la salarisation croissante de la société.

Toute une série de notices, accompagnées de prolongements bibliographiques, proposent des éclairages historiques ainsi qu’une présentation des divers protagonistes, actrices et acteurs de la vie politique, qui ont incarné cette trajectoire centenaire. Enfin, une section «chiffres» donne accès à des graphiques mettant en perspective, sur la longue durée, de nombreuses statistiques disponibles dans ce domaine.

«Ce site a également été pensé pour avoir un prolongement au-delà du mandat de l’OFAS, explique Matthieu Leim­gruber. Il est prévu d’y ajouter des éléments et de l’utiliser en vue d’expositions ou pour l’enseignement et la recherche, y compris académiques, puisque plusieurs aspects évoqués n’ont pas encore fait l’objet de travaux approfondis.»

Quels éléments retenir de ce large survol? «On parle souvent de la charge financière que représente la sécurité sociale, oubliant les vrais débats de société qu’elle implique, observe Matthieu Leimgruber. Jusqu’où et par quels moyens l’Etat doit-il s’immiscer dans la sphère individuelle? La mise en place de la protection sociale a indéniablement joué un rôle libérateur pour les individus, en les délestant de tout un pan de préoccupations matérielles et des rapports de dépendance inhérents aux formes traditionnelles de solidarité. Pendant longtemps, la vieillesse, pour n’évoquer que cet aspect, a été synonyme d’incapacité et de précarité. Il a fallu l’instauration du système de retraite pour qu’apparaisse un nouvel âge de la vie qui n’existait pas auparavant. De ce point de vue, la sécurité sociale est aussi le garant d’une société démocratique composée de citoyens à part entière.»

UN SYSTEME DECENTRALISE

Le fédéralisme a également marqué de son empreinte la construction de la protection sociale en Suisse, agissant souvent comme un frein. Il explique en grande partie l’aspect fragmenté et disparate du système. Catholiques conservateurs, compagnies d’assurances et «fédéralistes romands» ont ainsi pu nouer des alliances pour agiter l’épouvantail d’un Etat centralisateur et liberticide et faire capoter des projets novateurs lors de référendum. Mais le fédéralisme a aussi donné lieu à des avancées notables, en permettant à des expériences de voir le jour à l’échelon communal ou cantonal, favorisant l’émulation entre villes et régions du pays. La Ville de Berne instaure une caisse chômage dès 1893. Bâle-Ville, de son côté, joue un rôle pionnier, en 1914, en rendant obligatoire l’affiliation à l’assurance-maladie pour certaines catégories de la population. Ce processus de construction par le bas explique que, dès les années 1960, 80% de la population était couverte par l’assurance-maladie, bien avant que l’obligation ne soit inscrite dans la législation nationale au milieu des années 1990.

| Pour en savoir plus |

histoiredelasecuritesociale.ch



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