Campus n°149

L’emploi idéal. Et vite !

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Le chômage est une des plus grandes causes de stress dans la société actuelle. Une équipe du PRN Lives a développé une plateforme internet basée sur les compétences de base qui permet de réduire le temps nécessaire pour trouver un emploi.

«Si l’on pouvait allouer à chacun l’emploi qui correspond de manière optimale à ses compétences, on pourrait augmenter considérablement le PIB. » Cette expérience de pensée présentée par Michele Pellizzari, professeur de l’Institut d’économie et d’économétrie (Faculté d’économie et de management), relève sans doute de l’utopie. Mais elle permet d’illustrer – en l’exagérant – l’expérience de terrain que lui et ses collègues de l’Université de Lausanne ont menée auprès des demandeurs et demandeuses d’emploi du canton de Neuchâtel. Cette étude, qui doit encore être publiée, a en effet consisté à proposer aux chômeurs, via une plateforme spécialement conçue pour cela, des jobs non pas en fonction de leurs envies ou du poste qu’ils occupaient avant mais de leurs compétences de base, qui ont été testées au début de l’intervention. Les résultats montrent qu’une telle approche augmente d’environ 10 % la vitesse de sortie du chômage. Les auteurs souhaitent désormais confirmer ce résultat en répétant l’expérience dans le canton de Vaud.
« Nous sommes partis du constat que les demandeurs et demandeuses d’emploi cherchent en général un nouveau poste dans le métier qu’ils et elles exerçaient avant de se retrouver au chômage, pose Michele Pellizzari. Cette stratégie n’est pas forcément la bonne. En effet, si on perd un emploi, c’est souvent parce qu’il n’était pas adapté ou parce que le métier est en voie de disparition, remplacé par des machines ou déplacé dans d’autres pays où la main-d’œuvre est moins chère. Dans ces deux cas de figure, assez fréquents, mieux vaut chercher ailleurs. Nous en avons discuté de manière informelle avec des collègues en psychologie et en informatique et c’est ainsi que nous avons imaginé cette étude qui s’inscrit dans le cadre du Pôle de recherche national Lives. »

Douze compétences de base

Pour la mener à bien, près de 600 demandeurs et demandeuses d’emploi ont été enrôlé-es et suivi-es durant un an. Toutes et tous ont passé un test psychologique visant à évaluer 12 compétences dites de base dont, entre autres, la capacité d’autocontrôle, la tolérance au stress, le leadership, la gestion du temps ou encore la mémorisation.
« Il existe également depuis longtemps une taxonomie de la plupart des métiers existants et pour lesquels nous connaissons les principales compétences nécessaires, précise Michele Pellizzari. L’idée de notre étude consiste à comparer les compétences des demandeurs/euses d’emploi avec celles requises par les emplois à disposition et de trouver la ou les combinaisons optimales. Pour ce faire, nous avons développé, avec l’appui d’informaticiens/ennes, une plateforme interactive sur Internet spécialement dédiée à cela. »
Cette plateforme présente, par défaut, les emplois vacants (obtenus grâce à une collaboration avec le Secrétariat d’État à l’économie) avec en tête ceux dont les compétences exigées sont les plus proches de celles de chaque candidat-es. Les programmes de recherche d’emploi déjà existants se basent, eux, sur des paramètres que le chômeur entre lui-même et qui, souvent, l’amènent à trouver le même métier qu’avant. Un automatisme que les scientifiques cherchent justement à éviter dans la mesure du possible.
Pour compléter le dispositif, l’expérience conçue par les scientifiques du PRN Lives comprend également un entraînement cognitif visant à préparer le ou la candidat-e à accepter une nouvelle orientation professionnelle. La perte d’un emploi représente en effet un des plus grands stress sociaux de notre époque, certains le placent même avant le divorce dans sa capacité à entamer le capital bonheur. Celui ou celle qui se retrouve au chômage est donc souvent démoralisé-e et peut voir ses capacités cognitives baisser. Il ou elle peut alors renoncer à prendre des risques, réduisant à néant l’effet que l’étude genevoise cherche justement à mesurer.

Sortie du chômage plus rapide

Afin de pouvoir comparer les différents cas de figure, les participantes et les participants ont été divisés aléatoirement en quatre groupes de taille égale. Le premier, qui est le groupe contrôle, n’a eu droit à aucun traitement de faveur. Le deuxième a eu accès uniquement à la plateforme, le troisième seulement à la préparation psychologique et le quatrième aux deux innovations.
Les groupes ont été suivis durant 24 semaines. Toutes les actions réalisées sur la plateforme, jusqu’au moindre clic, ont été enregistrées. Les scientifiques ont également pu avoir accès à toutes les données administratives des participantes et des participants (avec leur accord) durant ce laps de temps afin de savoir quand ils et elles ont trouvé du travail et de quel type.
« Nous avons pu montrer que, par rapport au groupe contrôle, les membres des trois autres groupes sont sortis du chômage plus rapidement, note Michele Pellizzari. Nos statistiques ne sont toutefois pas assez robustes pour pouvoir différencier les trois groupes entre eux de manière véritablement fiable. C’est pourquoi nous voulons réitérer l’expérience dans le canton de Vaud, où nous pourrons potentiellement rassembler un échantillon plus important. »

Trop de choses à la fois

Les résultats, même partiels, laissent cependant entrevoir quelques nuances entre les trois groupes. Et, de manière assez surprenante, ce n’est pas le quatrième groupe qui obtient le meilleur score. Selon l’économiste genevois, il se pourrait que le fait de demander trop de choses à la fois aux gens (un entraînement psychologique en plus de l’utilisation d’une nouvelle plateforme) ait pour conséquence qu’aucune des tâches ne soit finalement accomplie de manière satisfaisante.
Il en ressort que le groupe le plus efficace pour sortir du chômage est le troisième, à savoir celui qui ne propose que la formation cognitive. Ce qui renseigne davantage sur l’état d’esprit peu reluisant des chômeuses et des chômeurs que sur la valeur intrinsèque de la plateforme.
Par ailleurs, l’étude montre aussi que les personnes ayant utilisé la plateforme cherchent en moyenne les emplois qui sont les plus proches de leur profil de compétences. Surtout lorsque leur travail d’avant en était particulièrement éloigné. Ce résultat est intéressant dans le contexte de la Suisse, où la formation professionnelle est très importante et où, pour cette raison, les services de l’emploi ont tendance à encourager les demandeurs d’emploi à rester dans le même secteur professionnel.


Rester dans la même branche

Bien entendu, dans l’échantillon de chômeurs/euses neuchâtelois-es se trouvent aussi des personnes qui ont perdu d’excellents emplois et pour lesquelles il est judicieux de rester dans la même branche. Sur elles, la plateforme n’a eu presque aucun effet.
« De manière plus générale, il existe une proportion de sans emploi qui n’a pas besoin de beaucoup d’aide pour trouver un nouvel emploi, commente Michele Pellizzari. Une stratégie assez commune dans plusieurs pays consiste d’ailleurs à développer et à utiliser des outils simples, en ligne et bon marché pour orienter rapidement ces personnes-là afin de libérer du temps aux conseillers en personnel pour qu’ils puissent consacrer plus d’énergie aux cas les plus difficiles. Notre plateforme s’inscrit dans cette logique. Nous aimerions d’ailleurs profiter de l’étude plus vaste que nous préparons dans le canton de Vaud pour tenter de mesurer à quel point notre plateforme et la formation cognitive que nous proposons libèrent du temps aux conseillers et bénéficient ainsi indirectement aux membres du groupe de contrôle. »