Projets de recherche & FNS

Décentrer les sciences de l'enfance et de l'éducation

Décentrer les sciences de l'enfance et de l'éducation. Productions, circulations et réappropriations de savoirs entre Genève et les pays du Sud (1919-1980) 

Subside FNS : https://data.snf.ch/grants/grant/215356

Présentation

Ce projet de recherche a pour objectif d’examiner la production, les circulations et les réappropriations des sciences de l’enfance telles qu’elles se déploient entre la « Genève internationale » et les pays du Sud entre 1919 et 1980. L’historiographie s’est jusqu’ici focalisée sur l’émergence et l’institutionnalisation de ces savoirs dans le monde occidental, étudiant comment ils ont orienté les politiques éducatives à l’échelle nationale ou locale. Les circulations transnationales de théories, dispositifs et méthodes, ainsi que leurs vecteurs et médiateurs, ont aussi fait l’objet de nombreux travaux, portant notamment sur l’Europe et l’Amérique du Nord. Toutefois, la recherche académique s’est peu intéressée au rôle que les pays du Sud ont joué dans ces processus. Privilégiant une approche d’histoire globale plus attentive à ces espaces et aux acteurs qui en sont issus, ce projet souhaite combler cette lacune. Il propose plus précisément un décentrement du regard afin de mieux éclairer la complexe économie des « régimes circulatoires » qui se sont mis en place à l’échelle mondiale autour des sciences de l’enfance, définies ici comme les domaines de savoirs se rapportant aux théories et conceptions pédagogiques, aux politiques de scolarisation et d’alphabétisation, aux professions enseignantes et éducatives, ainsi qu’aux curricula et méthodes.

Ces circulations sont examinées, d’une part, au prisme des acteurs qui ont constitué la « Genève éducative internationale », en particulier l’Institut Rousseau, la Société des Nations et ses agences techniques (Bureau international du Travail), ainsi que le Bureau international d’éducation (qui intègre l’Unesco en 1947). S’y ajoute un dense réseau d’organisations non gouvernementales et de centres de recherche qui ont placé l’éducation et l’enfance sur leur agenda internationaliste et ont établi leur quartier général à Genève au cours de l’entre-deux-guerres ou encore dans les années 1960 (Union internationale de secours aux enfants, Conseil œcuménique des Églises, Institut africain de Genève, Institut panafricain pour le développement). Visant une histoire à « parts égales », le projet accorde d’autre part une place centrale à la recherche archivistique et à la documentation en langue locale disponible dans quatre pays du Sud jugés significatifs pour une étude de cas approfondie (Turquie, Brésil, Vietnam et Cameroun). L’objectif est de mettre au jour les différentes manières à travers lesquelles des savants, administrateurs, pédagogues, enseignants et réformateurs de ces pays, dont nombre de femmes, ont interagi avec les acteurs individuels et collectifs reliés à la « Genève internationale » et participé à la construction et aux circulations des savoirs scientifiques sur l’enfance et l’éducation. Il s’agit, en même temps, d’éclairer comment ces transferts, souvent asymétriques, ont fait l’objet de réappropriations de la part des agents locaux et orienté les réformes éducatives dans les pays sous observation.

Afin de restituer la matérialité des processus sociaux et savants dans la diversité de leurs contextes (historiques et géopolitiques), ce projet met en œuvre une enquête se déployant sur plusieurs échelles, du local au global. Il exploite de riches sources d’archives imprimées et manuscrites, publiques et privées, ponctuellement des entretiens oraux, et repose sur une méthodologie historienne mixte qui couple analyses qualitatives et quantitatives (par ex. bases de données en vue de prosopographies, d’analyses de réseaux à visées descriptive et explicative, relationnelles et longitudinales). Le projet est conçu sous forme collaborative, des institutions académiques et des historien.ne.s des pays du Sud étant pleinement impliqué.e.s dans l’élaboration et la diffusion des résultats. Ceux-ci consistent en une thèse, un ouvrage collectif, des articles (en plusieurs langues) dans des revues diversifiées et reconnues, trois workshops, une conférence internationale, ainsi que des manifestations destinées au grand public (expositions). Par sa démarche non eurocentrée, le projet contribuera à renouveler les connaissances sur l’histoire de la production et des transferts des savoirs scientifiques et des politiques publiques dans le champ éducatif, en valorisant notamment les apports et les épistémologies des pays du Sud. Il viendra ainsi enrichir les débats contemporains autour de la « décolonisation » des savoirs, des institutions culturelles et des espaces publics, au centre de l’actualité sociale et scientifique non seulement à Genève, mais aussi en Suisse et ailleurs dans le monde.