18 septembre 2025 - Melina Tiphticoglou

 

Analyse

Donald Trump en noir et blanc pour mieux briller

Lors de la dernière visite du président ukrainien à la Maison-Blanche, l’administration Trump a publié des clichés en noir et blanc dans ce qui semble être une tentative de se rattacher au passé héroïque de la gouvernance américaine. L’occasion d’aborder le processus d’iconisation des images.

 

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«Avant de se rendre à la réunion multilatérale avec les dirigeants européens dans la salle Est de la Maison-Blanche… » Capture d'écran du compte X de Dan Scavino, adjoint au chef de cabinet de la Maison-Blanche, publication du 18 août 2025.


En février 2025, la visite de Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche tourne à la confrontation. Devant les caméras du monde entier, Donald Trump humilie le président ukrainien avant de conclure la rencontre par une boutade: «Je pense que nous en avons vu assez. Cela va faire un grand moment de télévision.» Six mois plus tard, le 18 août 2025, lors de la seconde visite du chef d’État ukrainien à Washington, le vent a tourné et l’ambiance est plus cordiale. Parmi les images de cette rencontre, on trouve quelques clichés en noir et blanc, publiés sur les réseaux sociaux de l’administration Trump. Sur l’une d’elles, rendue publique par Dan Scavino, adjoint au chef de cabinet, on peut voir les deux présidents, en tête à tête dans le Bureau ovale, face à une carte du territoire ukrainien où apparaît son taux d’occupation par l’armée russe. Valérie Gorin, historienne spécialiste de la culture visuelle (Centre d’études humanitaires de l’UNIGE), y voit une tentative de Donald Trump de s’inscrire dans l’héritage visuel des années 1960-1970, celui des grands présidents américains. Entretien.

Le Journal: Que raconte cette image?
Valérie Gorin: Le caractère intimiste de la scène est frappant. Le décorum avec les drapeaux et les portraits des premiers présidents – on reconnaît Lincoln et Washington – ainsi qu’un petit effet de contre-plongée montrent l’élévation, l’aspect solennel du lieu, mais ce qui lui donne son caractère spécifique, c’est que Donald Trump est montré seul avec une autre personne. Le président américain est un homme de spectacle qui apparaît habituellement très entouré. Ici, les deux hommes semblent seuls, face à face, ils discutent presque comme des amis. Avec ce cadrage, le président américain se montre comme un homme qui prend des décisions seul.

L’usage du noir et blanc n’est pas sans importance non plus.
Non, en effet. Le noir et blanc donne à cette prise de vue un caractère vintage qui renvoie à la photographie de guerre. C’est un style tout à fait typique des magazines de photoreportage des grandes années du photojournalisme, entre 1960 et 1970, dont le Life est un référent visuel important. C’est, par exemple, dans ce type de revue qu’a été publiée une image assez célèbre du président John Fitzgerald Kennedy et de son fils jouant sous le bureau en 1963. Pour moi, Donald Trump tente de se réapproprier ces codes visuels afin de créer un parallèle avec la présidence Kennedy. Il serait intéressant de vérifier si ce style reste, si l'administration Trump l’adopte comme une signature dans sa façon de communiquer. 

Quelle pourrait être l’intention du président américain?
Donald Trump aimerait être vu comme un grand président, comme un éventuel futur Prix Nobel de la paix. Cette photo est peut-être une tentative de se rattacher à un passé plus héroïque de la gouvernance américaine, à des figures mythiques, dont John Fitzgerald Kennedy fait partie. Dans l’opinion publique américaine, ce dernier demeure en effet l’un des présidents les plus appréciés et est considéré, à tort, comme un faiseur de paix. La concurrence symbolique menée par Donald Trump se révèle aussi dans son attitude envers le Kennedy Center for the Performing Arts, dont il a récupéré la présidence du conseil d’administration en février et qu’il prévoit de renommer pour y apposer son nom.

L’histoire s’écrit notamment par les images que l’on retient à travers le temps. La photographie a-t-elle le pouvoir de fixer l’histoire?
Toute la question est de savoir comment une image devient iconique. Les processus sont relativement complexes. Cela va dépendre en partie des personnages représentés; plus ils sont célèbres ou plus l’événement est marquant, plus le cliché a une chance de retenir l’attention. Les acteurs qui participent à sa dissémination, ainsi que leur légitimité, jouent également un rôle. L’image doit encore circuler massivement dans tous les médias (presse, télévision, réseaux sociaux…) et à travers le temps pour s’ancrer dans les esprits. Enfin, la qualité de la photographie compte: une grande partie des images qui ont marqué l’histoire ont reçu des prix prestigieux.

Peut-on imaginer que lorsque la guerre en Ukraine prendra fin, cette image réapparaisse comme un moment clé de la résolution du conflit? 
Oui, tout à fait. C’est d’ailleurs souvent de la sorte qu’une image devient iconique et s’inscrit dans la durée. Elle va réapparaître à des moments clés, les dates anniversaires par exemple, pour affirmer: «C’est là que s’est opéré le tournant décisif.» Mais ce sens lui est attribué a posteriori.

Le message transmis par une image évolue donc au fil du temps?
Par nature, l’image est polysémique. Le sens est donné par la personne qui la regarde. Cette lecture va dépendre de son éducation, de sa position culturelle et géographique et de l’époque. La fameuse photo de la petite fille vietnamienne brûlée au napalm, par exemple, est souvent présentée comme une photo qui a mis fin à la guerre du Vietnam, ce qui est faux. Le cliché date de 1972, une période qui a vu les mouvements contre la guerre décliner. Lorsqu’elle est prise, cette photo vient plutôt réaffirmer la violence de la guerre et sa condamnation morale absolue. Aujourd’hui, 50 ans plus tard, sa reproduction est systématiquement censurée sur Facebook à cause de la nudité infantile, un sujet d’une sensibilité extrême dans notre société. Cette image iconique a donc voyagé à travers le temps en gardant du sens, mais un sens qui a constamment été réinterprété et réadapté au questionnement de l’époque qui regardait et non de l’époque regardée.

Dans le flux d’informations constant actuel, les images ont-elles encore la capacité à devenir iconiques?
Il est difficile de déterminer si une image va devenir une icône au moment où elle commence à circuler, mais il est vrai qu’aujourd’hui, il y a une difficulté à s’arrêter sur une image pour la commenter tant nous sommes noyé-es sous un flot continu. On pourrait citer en exemple la photographie d’Alan Kurdi, le petit garçon syrien retrouvé mort sur une plage de Turquie en 2015, qui a très rapidement marqué les esprits. Avec 20 millions de tweets en douze heures, c’est la photographie la plus tweetée de l’année. Nous avons littéralement été matraqué-es visuellement par cette image dont on peut dire qu’elle est devenue iconique en vingt-quatre heures, puisque le lendemain, elle faisait déjà la une de nombreux journaux dans le monde. C’est l’un des derniers exemples de photos iconiques au XXIe siècle. 

 

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