23 mai 2024 - Alexandra Charvet

 

Événements

«La migration va permettre d’améliorer nos systèmes de santé»

Répondre aux besoins de santé des populations migrantes constitue un immense défi pour les systèmes de santé européens. La 10e édition du Global Health Forum mettra cet objectif au cœur de ses débats le 28 mai.

 

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Arrivée du Geo Barents, le navire de Médecins sans frontières (MSF). Augusta, Sicile, Italie, 18 juin 2021. Image: A. Trichani/Alamy


Faire en sorte que les personnes migrantes, quel que soit leur statut, puissent avoir accès à des soins de santé de qualité dans toute l’Europe: le sujet sera au cœur des discussions de la journée «Migration, santé et équité» qui se tiendra le 28 mai prochain dans le cadre du 10e Global Health Forum. À cette occasion paraîtra une édition spéciale du Lancet Regional Health-Europe, «Addressing migration and health inequity in Europe», co-coordonné par Karl Blanchet, directeur du Centre d’études humanitaires Genève et professeur au Département de santé et médecine communautaires (Faculté de médecine). Entretien.


LeJournal: L’édition spéciale qui paraîtra le 28 mai a pour thème l’équité en matière de santé. De quoi s’agit-il exactement dans le cas de la migration?
Karl Blanchet:
Il s’agit de faire en sorte que les migrant-es, quels qu’ils ou elles soient et quel que soit leur statut, puissent avoir accès à l’ensemble des services de santé. Et cela, gratuitement ou en bénéficiant d’une couverture via une assurance. Ces populations sont en effet celles qui courent le plus de risques en termes de santé, puisque leurs conditions de vie sont parmi les moins bonnes. Le plus grand défi en Europe est qu’elles puissent trouver des espaces de soins où elles se sentent en sécurité. Cette condition est impérative car ce n’est qu’en dernier recours qu’une personne en situation irrégulière consulte un-e professionnel-le, ce qui complique grandement la tâche du ou de la médecin et augmente les risques pour le patient ou la patiente. Malheureusement, de plus en plus de pays européens obligent les professionnel-les de santé à transmettre les données qui concernent ces personnes à la police. Dans ce sens, le Programme santé migrants et la Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires (CAMSCO) des HUG sont des modèles à suivre par l’Europe.

 

Quelles sont les difficultés quand on parle de santé et de migration?
Le défi est d’arriver à mieux comprendre qui est le/la migrant-e – ses contraintes, ses traumatismes, ses aspirations –, de manière à pouvoir lui offrir les services de santé dont il ou elle a besoin. Les systèmes de santé ne peuvent plus fermer les yeux sur les problématiques de santé de ces gens car ils représentent 36% de la population en Europe et 40% dans le canton de Genève. La difficulté, c’est que la population migrante comprend de nombreux groupes de personnes qui ont toutes des statuts et des droits très différents. Il faut donc trouver des solutions pour que toutes puissent se soigner.

 

Quelles sont ces stratégies?
Une des stratégies appropriées est de développer l'hôpital «hors les murs», c’est-à-dire d’offrir des services de santé décentralisés au sein de la communauté, avec l’aide de mentors ou d’organisations locales qui vont pouvoir servir de relais de confiance entre professionnel-les et patient-es. Il y a beaucoup d'initiatives de ce type en Europe, qui sont malheureusement contrées par les gouvernements de certains pays, où l’on voit apparaître la criminalisation de celles et ceux qui apportent de l’aide aux migrant-es. La régularisation des migrant-es peut être une autre solution. Les réfugié-es ukrainien-nes ont pu, à travers un statut spécial, avoir accès à tous les services de santé. Pendant la pandémie, des pays comme le Portugal ont de leur côté légalisé tous les migrant-es afin qu'ils et elles puissent avoir accès non pas uniquement aux services d’urgence mais aussi aux vaccinations. Ces pays en voient aujourd’hui les bénéfices. Car il faut être réaliste: restreindre l’accès des migrant-es à un nombre très limité de services est une vision à court terme. Celles et ceux qui retardent leurs soins se retrouveront finalement dans des situations compliquées qui coûteront bien plus cher au système de santé à moyen terme.

 

Qu’est-ce qui semble le plus urgent à accomplir aujourd’hui?
C’est de reconnaître que les migrant-es ont besoin, comme tout le monde, d’avoir accès aux services de santé et qu’il faut donc leur faciliter la tâche. Dans les pays les plus riches du monde, l’argument du manque de moyens financiers me semble obsolète. On a prouvé que c’était possible pendant la pandémie, on l’a montré avec l’Ukraine… Ensuite, il s’agit de transmettre cette information aux migrant-es et de sensibiliser les professionnel-les de santé aux spécificités du travail avec cette population. La discrimination et le racisme doivent aussi être travaillés dans notre société et doivent d’ailleurs figurer comme thèmes d’enseignement dans toutes les écoles de médecine, d’infirmerie, de sages-femmes, etc., en Europe. Je suis convaincu que la migration va transformer nos systèmes de santé de manière très positive. Avec les migrant-es, on apprend à mieux parler et à mieux écouter. On travaille sur l’interculturalité, on apprend à adapter les lieux où sont donnés les soins, etc. L’accès aux soins va ainsi devenir meilleur et cela aura un impact sur toutes les populations pauvres des pays européens.

 

La recherche menée dans le domaine de la santé et de la migration doit-elle aussi être améliorée?
Il est essentiel de remettre le/la migrant-e au centre de nos préoccupations, que ce soit au sein des services de santé, mais également dans la recherche. Il ne s’agit pas simplement de mener des études sur les migrant-es, mais de les mener en collaboration avec eux et elles afin que ces derniers/ères nous aident à développer des questions qui leur sont essentielles. Il existe par exemple des maladies qui ont des significations symboliques très fortes dans certaines cultures – l’épilepsie est provoquée par un mauvais sort dans des pays d’Afrique de l’Ouest – ce qui conduit ces populations à ne pas chercher à se guérir médicalement. Engager des migrant-es pour mener des recherches auprès de leur communauté facilite la compréhension de ces perceptions. Un-e chercheur/euse externe va par ailleurs avoir difficilement accès aux lieux de vie des migrant-es pour y étudier les conditions d’hygiène, les facteurs de risques, etc. De plus, il y a un manque cruel de données qualitatives en Europe sur ces populations. Développer des bases de données plus détaillées permettra aux autorités de santé, mais également aux professionnel-les, d'avoir une meilleure vision de leurs patient-es.

Lire aussi l’édition spéciale du Lancet Regional Health-Europe
«Addressing migration and health inequity in Europe»

GLOBAL HEALTH FORUM

Health, a common good!

Du 27 au 29 mai | Campus Biotech

ADDRESSING MIGRATION AND HEALTH INEQUITY IN EUROPE

Table ronde

Mardi 28 mai | 12h45-13h45 | Campus Biotech


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