7h, la journée commence dans la chambre. Un endroit qui, dans la culture et les représentations occidentales, demeure représentatif de l’intime et, souvent, le lieu de la découverte sexuelle. Aujourd’hui, l’omniprésence du partage d’images et d’internet remet en question l’idée de la chambre comme territoire privé. Les frontières entre espace privé et public se floutent pour créer un nouveau type d’espace.
8h15, l’école. Plus qu’un simple lieu d’apprentissage, on y expérimente les codes du vivre-ensemble et on se confronte aux premières questions d’inclusivité et de différenciation en lien avec le genre. Le lieu est également le théâtre de fantasmes et d’expériences intimes singulières, avec sa cour où l’appropriation de certaines zones par des groupes mène à des formes de ségrégation dues au genre, ses rangées de bibliothèque devenant des terrains propices à la proximité des corps ou encore ses casiers, comme lieux de rencontre informels.
17h30, la journée se poursuit à la salle de sport. Considéré autrefois comme un moyen de maîtriser l’énergie sexuelle et de canaliser la libido grâce à l’épuisement corporel qu’il entraîne, le sport a aujourd’hui comme but l’accomplissement personnel et collectif ainsi que le dépassement de soi. Mais le culte du corps – essentiellement masculin, idéalisé et musclé – a aussi une influence sur la manière dont la sexualité intime est perçue et souvent associée à la performance sportive.
En tout, neuf lieux et autant de moments clés d’une journée sont explorés dans ce travail. Chaque dispositif mêle plans, textes et calques – un outil des architectes, des géographes et des urbanistes –, accompagnés par des images pornographiques et des périodiques érotiques issus des collections du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités (CMCSS). C’est en effet sur mandat de ce dernier que les étudiant-es du cours «Communication de projet urbain» se sont lancé-es dans la création de cette exposition.
«Notre Centre prend siège dans la bibliothèque de l’ancien Institut d’architecture de l’UNIGE, explique Ferdinando Miranda, directeur exécutif du CMCSS. Le lieu héberge également les activités du Master conjoint HES-SO et UNIGE en développement territorial, avec des étudiant-es qui travaillent et imaginent l’urbanisme et les villes de demain. Leurs cours leur apprennent notamment à penser les espaces, non plus uniquement en termes techniques, mais en intégrant les questions d’environnement, d’accessibilité, etc., en concertation avec les personnes bénéficiaires du lieu. Nous avons proposé de pousser le processus un peu plus loin, en intégrant les questions de sexualités dans leurs réflexions.» C’est avec cette consigne en tête que les 18 étudiant-es du séminaire se sont plongé-es dans les collections du Centre et ont imaginé une exposition avec le résultat de leurs recherches. «Lorsque le CMCSS a proposé de réaliser ce projet, nous étions, il faut l’admettre, interloqué-es, raconte Léonard Gavillet au nom des étudiant-es participant à ce travail. Nous avons dû sortir de notre zone de confort pour questionner un cocktail auquel certain-es d’entre nous n’avaient jamais pensé: le sexe et l’espace. La sexualité est pourtant intrinsèquement liée à l’espace: que ce soit dans le cyberespace ou dans le monde réel, elle doit bien se pratiquer quelque part. C’est pourquoi nous avons choisi de la questionner dans les espaces que nous, les étudiants et étudiantes, fréquentons au quotidien.»
Si le résultat est tangible, le travail n’est pas allé de soi pour les étudiant-es. Leurs réactions face à la documentation mise à disposition ont été ambivalentes, mêlant curiosité et embarras. Leurs témoignages font d’ailleurs partie intégrante de l’exposition, comme cet extrait anonyme: «Le fait de pouvoir faire de la sexualité et de sa pratique spatialisée une exposition est une chance unique pour moi d’élaborer une réflexion sur des questions qui, bien trop souvent, ne sont formulables qu’à voix basse. Les gens rigolent lorsque je leur dis que dans le cadre d’un cours, nous faisons ça. Pourtant, on ne rigolerait pas si le thème questionnait la pratique de la course à pied.»