18 septembre 2025 -Anton Vos
Une carte révèle l’activité du cerveau quand il prend une décision
Pour la première fois, un consortium international a réussi à suivre l’activité de 650’000 neurones quand une souris remplit une tâche et reçoit une récompense.

Taux de décharge des neurones dans l’ensemble du cerveau d'une souris au cours d’une tâche de prise de décision. Image: Dan Birman / IBL
Un consortium de 21 laboratoires appartenant à l’International Brain Laboratory (IBL) a produit, pour la première fois, une cartographie complète de l’activité cérébrale de la souris lors du processus, banal et pourtant complexe, de la prise de décision. «Cette expérience à large échelle a essentiellement abouti à deux résultats majeurs, rapportés dans deux articles de la revue Nature», résume Alexandre Pouget, professeur au Département des neurosciences fondamentales (Faculté de médecine) et cofondateur d’IBL. La première étude, dont le chercheur et son équipe sont les coauteur-es, montre que les signaux qui s’allument dans le cerveau durant la prise de décision sont répartis dans tout le cerveau, contrairement au modèle communément admis d’une structure décisionnelle plutôt hiérarchique. La seconde, dont il est l’auteur principal, révèle que ce qu’on appelle les «attentes antérieures», c’est-à-dire ce que la souris pense susceptible de se produire sur la base d’expériences précédentes, est également encodé dans l’ensemble du cerveau et non uniquement dans les zones responsables de la cognition, comme on le pensait jusque-là.
Cette avancée fondamentale doit beaucoup au développement récent de nouvelles sondes neuronales. La technique traditionnelle consiste en effet à enregistrer l’activité d’un neurone à la fois, à l’aide d’électrodes implantées dans le cerveau de souris ou de rats. Cette approche difficile et lente demande plusieurs mois de travail pour obtenir des résultats sur une centaine de cellules nerveuses. Elle est particulièrement adaptée à l’étude de régions cérébrales très ciblées mais pas du tout à une analyse globale du fonctionnement du cerveau. Or, il se trouve qu’au cours de la dernière décennie, les neurosciences ont fait un bond en avant considérable avec le développement de sondes neuronales numériques nommées «neuropixels», capables de surveiller des milliers de neurones simultanément.
De 100 à 650'000 neurones
«Grâce à ces électrodes sensibles, nous sommes passés d’un suivi de quelques centaines de neurones dans une seule zone à celui, dans le cadre de notre étude, de 650’000 neurones, répartis dans 279 zones du cerveau, ce qui représente 95% du volume cérébral d’une souris, explique Alexandre Pouget. Autrement dit, cette innovation a joué un rôle essentiel dans la confection de la carte cérébrale.»
Concrètement, coiffées d’un casque bardé d’électrodes, les souris (139 au total) ont été formées pour faire tourner avec leurs pattes une petite roue dans un sens ou dans l’autre afin de déplacer vers le centre d’un écran un stimulus visuel qui apparaît sporadiquement à gauche ou à droite. La carte cérébrale dynamique produite par cette tâche montre que l’activité neuronale atteint d’abord un maximum à l’arrière du cerveau, dans les zones qui traitent les informations visuelles, et se propage ensuite à l’ensemble du système nerveux central. Les zones de contrôle moteur s’illuminent lorsque la décision de la souris aboutit à un mouvement. Cette phase est suivie par une activité cérébrale généralisée quand la souris reçoit sa récompense sucrée. «Il existe une communication constante entre les différentes zones du cerveau pendant tout le processus de prise de décision», constate Alexandre Pouget.
Les scientifiques ont corsé l’affaire en diminuant parfois l’intensité lumineuse du stimulus visuel, jusqu’à le rendre invisible. L’animal en est donc réduit à devoir deviner dans quelle direction faire tourner la roue. Pour ce faire, il se base sur la fréquence à laquelle la lumière est apparue précédemment à gauche ou à droite (respectivement 80% et 20%, ou l’inverse selon les essais). C’est ce dispositif qui permet d’étudier comment la prédiction basée sur l’expérience antérieure influence la perception et la prise de décision.
Lancé officiellement en 2017, l’IBL a introduit un nouveau modèle de collaboration en neurosciences qui mutualise un ensemble standardisé d’outils et de gestion des informations entre plusieurs laboratoires, garantissant ainsi la reproductibilité des données. La carte du cerveau publiée dans ces études est ainsi à la disposition des équipes du monde entier qui l’exploitent déjà pour de nombreuses recherches. De plus, toutes les données ainsi que les spécifications détaillées des outils et des protocoles utilisés pour la collecte des données sont librement accessibles à la communauté scientifique.