«La médecine personnalisée interroge l’identité de l’espèce»

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Une révolution sur le plan médical et sociétal. Pour le biologiste Denis Duboule, invité à prononcer la conférence d’ouverture du Geneva Health Forum, la médecine personnalisée bouscule notre conception du rapport entre individus et entre générations

Le séquençage du génome humain permet aujourd’hui d’adapter les traitements aux caractéristiques spécifiques de chacun d’entre nous. Cette médecine personnalisée, déjà appliquée dans des hôpitaux en Suisse pour le traitement de tumeurs notamment, constitue une révolution dont les effets ne manqueront pas de se faire sentir à l’échelle globale, non seulement sur le plan médical mais aussi sociétal. Denis Duboule, directeur du Département de génétique et évolution (Faculté des sciences), en donnera un avantgoût, lors de sa conférence d’ouverture du Geneva Health Forum, le mardi 15 avril. Entretien.


Vous avez intitulé votre intervention au Geneva Health Forum «Améliorer la santé des patients en créant de nouvelles maladies». Un titre pour le moins énigmatique…
Denis Duboule: J’ai voulu pointer un certain nombre de paradoxes liés à la médecine personnalisée, car il est crucial, au vu des défis sociétaux qu’elle va poser, que la population et le législateur soient bien informés. Il convient d’abord de tordre le cou à certains fantasmes. Le séquençage du génome et la médecine personnalisée ne vont pas permettre de fabriquer des surhommes. C’est tout simplement aberrant du point de vue génétique.

Pourquoi?
Parce qu’il est impossible de faire des choix génétiques sur des caractéristiques particulières. A l’instar de toutes les espèces vivantes, nous sommes le résultat d’un compromis génétique maximal. Cela signifie notamment que lorsqu’on modifie un élément dans ce système, on modifie l’ensemble. Avec, potentiellement, le risque de provoquer de nouvelles maladies, si l’on définit la maladie comme une déviation de l’état optimal. Nous pouvons tenter d’améliorer notre odorat, mais cela se fera nécessairement au détriment d’autres caractéristiques.

L’ingénierie génétique n’a donc pas d’avenir?
Non. Prenons un exemple assez parlant, celui de la taille. Des scientifiques ont séquencé l’ADN d’individus exceptionnellement grands, en cherchant des polymorphismes, de petites différences qu’on ne retrouve pas chez les personnes de taille normale. Ils sont parvenus à en identifier une quinzaine. Mais même si un individu les rassemblait toutes, elles n’expliqueraient que 10% de sa taille. Ce qui est beaucoup plus intéressant, en revanche, c’est que la médecine personnalisée va nous obliger à questionner notre identité en tant qu’espèce et en tant qu’individus.

Pour quelles raisons?
Le séquençage du génome va devenir accessible au plus grand nombre. Mais, paradoxalement, la séquence d’ADN d’un individu à elle seule n’offre aucun intérêt si elle n’est pas comparée à celle de ses congénères. Nous serons donc encore plus tournés vers nous-mêmes et en même temps totalement ouverts au monde. Ce qui va entraîner une nouvelle ère de solidarité. Chacun aura son génome sur son ordinateur. Mais pour en tirer bénéfice, il faudra partager cette information avec d’autres personnes intéressées aux mêmes séquences, atteintes des mêmes maladies. En quelques clics, il sera possible de connaître la diète de chacun, les médicaments qu’il prend et de tirer de ces données des informations sur le régime alimentaire le plus adéquat en fonction de telle ou telle caractéristique génomique.

Vous semblez donc favorable au développement de cette médecine personnalisée?
Bien entendu, même si elle participe aussi à un mouvement narcissique global assez terrifiant, amplifié par les réseaux sociaux et le besoin de se mettre constamment en scène. Je ne me prononce pas sur le plan médical, ce n’est pas de mon ressort. Mais sur le plan théorique et éthique, elle pose des questions passionnantes.

Lesquelles, par exemple?
Etes-vous propriétaire de votre génome? Certainement pas d’un point de vue génétique. Vous ne l’avez ni produit ni acheté. Vous pourriez à la limite clamer un droit de copropriété sur celui de vos enfants, dans la mesure où vous avez participé à des réarrangements des séquences d’ADN que vous leur avez transmis. Mais dans tous les cas, une décision concernant votre génome met en cause vos ancêtres et votre descendance. Il s’agit alors d’une solidarité verticale. J’ai dans mon bureau un kit de séquençage que je n’ai jamais utilisé. Mais si je devais le faire, ce serait sur la base d’une discussion familiale, car la mise au jour de mon génome aura forcément des implications pour mon père, mes frères et soeurs, mes enfants. Je vais peut-être découvrir un gène associé à une maladie. Faudra-t-il en parler? Même la décision de ne pas séquencer sera lourde de conséquences. S’il s’avère que je suis porteur d’un caractère associé à une maladie comme la mucoviscidose, mes enfants et petits-enfants pourraient me reprocher de ne pas avoir séquencé mon génome.


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