17 septembre 2020 - UNIGE

 

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Un revêtement antireflet s’inspire des yeux de mouche

Des chercheurs genevois ont réussi à reproduire sur différentes surfaces un revêtement nanométrique identique à celui qui couvre les yeux des mouches de vinaigre et qui offre des propriétés antireflet et antiadhésives aux multiples applications

 

 

Yeux de mouche.jpg

Agrandissements successifs d’un œil de mouche. Celui-ci est formé de nombreuses facettes, elles-mêmes recouvertes d’une fine couche composée de protubérances de quelques dizaines de nanomètres de haut. Un micromètre (mm) = 1000 nanomètres (nm).
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Les yeux à facettes de nombreux insectes, dont la mouche de vinaigre, sont recouverts d’une couche mince et transparente, constituée de minuscules protubérances aux propriétés antireflet et antiadhésives. Un article à lire dans la revue Nature révèle les secrets de fabrication de ce nano-revêtement. Vladimir Katanaev, professeur au Département de physiologie cellulaire et métabolisme (Faculté de médecine), et ses collègues y montrent qu’il n’est formé que de deux ingrédients: une protéine appelée rétinine (retinin, en anglais) et de la cire cornéenne. Ces deux composés génèrent automatiquement le réseau régulier de protubérances selon un processus de morphogenèse modélisé dans les années 1950 par le mathématicien Alan Turing. Les auteurs ont même réussi à reproduire artificiellement le phénomène en mélangeant de la rétinine et de la cire sur différents types de surface. Très bon marché et basé sur des matériaux biodégradables, le procédé a permis d’obtenir des nano-revêtements ayant une morphologie semblable à celui qui couvre les yeux des insectes et présentant des fonctionnalités antiadhésives ou antireflet qui pourraient avoir de nombreuses applications dans des domaines aussi divers que ceux des lentilles de contact, des implants médicaux ou encore des textiles.

 

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«Ce nano-revêtement a été découvert à la fin des années 1960 sur des papillons de nuit, explique Vladimir Katanaev. Ces protubérances, distribuées selon un réseau dense, mesurent environ 200 nanomètres de diamètre et quelques dizaines de nanomètres de hauteur.» Typiquement, une cornée d’insecte dépourvue de revêtement réfléchit environ 4% de la lumière incidente. Chez celle qui en est recouverte, cette proportion tombe à zéro. Une amélioration de 4% peut sembler modeste mais cela constitue un avantage suffisant, en particulier dans des conditions d’obscurité, pour avoir été sélectionné lors de l’évolution. Ce revêtement offre aussi une protection physique contre les plus petites poussières en suspension dans l’air grâce à ses propriétés antiadhésives.
En 2011, Vladimir Katanaev et son équipe sont les premiers à découvrir que le nano-revêtement est également présent sur les yeux de la mouche de vinaigre (Drosophila melanogaster). Cet insecte est un animal beaucoup plus adapté à la recherche scientifique que le papillon de nuit, en particulier parce que son génome a été entièrement décrypté.

 

Alan Turing à la manœuvre

Sur la base de leurs premiers résultats, Vladimir Katanaev et ses collègues proposent que ce nano-revêtement soit le fruit d’un mécanisme de morphogenèse que le mathématicien britannique Alan Turing a modélisé dans les années 1950. Selon ce modèle, deux molécules s’organisent automatiquement pour produire des motifs en bandes ou taches régulières. La première agit comme activateur, démarrant un processus d’émergence d’un motif particulier et s’auto-amplifiant. Mais elle stimule en même temps aussi la seconde qui agit comme un inhibiteur et se diffuse plus rapidement. Ce modèle a permis d’expliquer des phénomènes naturels à des échelles macroscopiques (comme les taches de léopard ou les rayures de zèbre) mais, jusqu’à présent, jamais à l’échelle nanoscopique.
Grâce à des analyses biochimiques et au génie génétique, Vladimir Katanaev et ses collègues ont réussi à montrer que les yeux de mouche produisent deux substances qui jouent parfaitement le rôle des deux composants entrant en jeu dans le modèle de réaction-diffusion développé par Turing. Il s’agit d’une protéine appelée rétinine et d'une cire produite par plusieurs enzymes spécialisées (dont deux ont été identifiées). La rétinine joue le rôle d’activateur. D’une forme initialement non déterminée, elle adopte une structure globulaire au contact de la cire et commence à générer le motif. La cire, elle, joue le rôle d’inhibiteur. Le combat d’influence entre les deux fait émerger le nano-revêtement sous la forme d’un réseau de protubérances.

Nano-revêtement artificiel

«Dans un deuxième temps, nous avons réussi à produire de la rétinine à très faible coût à l’aide de bactéries génétiquement modifiées, précise Vladimir Katanaev. Nous l’avons purifiée puis mélangée à différentes cires commerciales sur des surfaces de verre ou de plastique. Nous avons ainsi pu reproduire le nano-revêtement très facilement. Son apparence est semblable à celle qu'on trouve chez les insectes et il présente des propriétés antireflet et antiadhésives que nous avons pu mesurer. Nous pensons que nous pouvons déposer un tel nano-revêtement sur presque n’importe quel type de surface: bois, papier, métal, plastique…»
Des premiers tests ont montré que le revêtement résiste à vingt heures de lavage à l’eau (le détergent ou le grattage l’endommagent facilement même si des améliorations technologiques pourraient le rendre plus robuste). Ses propriétés antireflet ont d’ores et déjà éveillé un certain intérêt auprès de fabricants de lentilles de contact. Les propriétés antiadhésives, elles, pourraient séduire les producteurs d’implants médicaux. Un tel revêtement permettrait par exemple de contrôler les sites où les cellules humaines viendraient s’accrocher ou non. L’industrie dispose certes déjà de techniques pour obtenir un tel résultat. Mais elles font pour cela appel à des méthodes agressives, comme le laser ou des acides. La solution de l’équipe genevoise a l’avantage d’être peu coûteuse, douce et parfaitement biodégradable.

 

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