3 février 2021 - Anton Vos

 

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Un Genevois sur cinq vit à plus de cinq minutes d’un parc

La ville du bout du lac compte beaucoup d’espaces verts publics mais un cinquième de la population doit tout de même marcher plus de cinq minutes pour atteindre le plus proche. C’est un des résultats d’une méthode développée à l’Institut des sciences de l’environnement.

 

 

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Jardin Anglais, à Genève. @iStock

 

Peu ou prou, un habitant de la ville de Genève sur cinq habite à plus de cinq minutes à pied d’un espace vert public. Cela peut sembler beaucoup mais cette proportion se révèle basse en comparaison internationale. Elle est en effet deux fois plus élevée à Göteborg en Suède et même plus de trois fois plus élevée à Bristol en Angleterre et à Barcelone en Espagne. C’est ce qui ressort d’une étude parue le 26 janvier dans la revue Remote Sensing et réalisée par l’équipe de Gregory Giuliani, chargé de cours à l’Institut des sciences de l’environnement et responsable de l’unité Digital Earth du GRID (Global Resource Information Database), appartenant au Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE). Explications.

 

Le Journal: D’où vient l’idée de mesurer la distance à pied séparant le logement des habitants de ces quatre villes à l’espace vert le plus proche?

Gregory Giuliani: Nous avons réalisé cette étude sur mandat d’Eurostat, l’institut officiel de la statistique de l’Union européenne (UE). Le contexte est le suivant: aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes. On s’attend à ce que ce taux atteigne les deux tiers d’ici à 2050. À l’intérieur de ces zones urbaines en pleine croissance, les espaces publics sont des lieux précieux pour assurer le bien-être des citadins. Ils permettent la détente, les loisirs, les rencontres, l’exercice physique. On peut aussi les considérer comme des symboles d’égalité car ils sont accessibles à tous, sûrs, ouverts, inclusifs, etc. Le problème, c’est que l’étendue des espaces publics dans les villes tend à diminuer. Or, parmi les Objectifs de développement durable (ODD) de l’Agenda 2030 des Nations Unies – que l’UE s’est engagée à mettre en œuvre – il en existe un, plus spécifique, qui appelle à «assurer l’accès de tous, en particulier des femmes et des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, à des espaces verts et des espaces publics sûrs» (ODD 11.7). Il manque toutefois une méthode de calcul de cette accessibilité qui soit fiable, reproductible et adaptée à toutes les villes afin de pouvoir les comparer et mesurer les progrès ou les dégradations au cours du temps. Il y a eu des propositions mais aucune n’a donné satisfaction jusqu’à présent. C’est pourquoi nous avons développé la nôtre.

 

Comment fonctionne votre méthode?

Nous nous sommes inspirés d’un modèle que Nicolas Ray, professeur associé à l’Institut de santé globale (Faculté de médecine) et co-auteur de l’article, a développé pour un cas de figure très différent, à savoir l’accessibilité des maternités dans des régions reculées d’Afrique. Nous l’avons donc adapté aux espaces verts en ville. Le modèle comprend de nombreuses couches d’informations. Nous avons d’abord exploité des images satellites, délimité la zone urbaine proprement dite et identifié les espaces verts. Ce sont des opérations qui sont aujourd’hui devenues routinières. La touche originale, c’est que nous avons ensuite fait appel à Open-Street Map (www.openstreetmap.org), un projet collaboratif de cartographie en ligne auquel tout le monde peut participer et qui dispose désormais des cartes les plus précises du monde, en dehors des documents topographiques officiels. L’avantage, c’est que parmi ces données, on peut distinguer les espaces privés et publics. Cette information est en général disponible dans les cadastres officiels mais ceux-ci ne sont pas toujours accessibles au public (c’est d’ailleurs pour cette raison précise et pour contourner les obstacles dressés par l’agence cartographique publique de son pays que le Britannique Steve Coast, de l’University College de Londres, a lancé le projet d’Open Street Map).

 

Et ensuite?

Nous avons intégré des données sur le réseau routier, les voies pédestres, les barrières que constituent les chemins de fer, les autoroutes, les cours d’eau et les lacs, la densité de la population, la nature du terrain (bâtiments, zones agricoles, etc) et bien d’autres éléments. Grâce à tout cela, connaissant l’emplacement des logements, des espaces verts publics et des axes de cheminement identifiés, nous avons procédé à des simulations en prenant deux cas de figure: les marcheurs/euses rapides, c’est-à-dire des adultes seul-es, progressant à 5 km/h, et des marcheurs/euses lent-es, correspondant à des personnes accompagnées d’enfants ou avec des poussettes ou des personnes âgées à mobilité réduite allant à 3 km/h. Nous avons alors calculé les bassins de cinq minutes pour chaque espace vert public, ce qui correspond environ à la distance suggérée dans le cadre des ODD.

 

Quels sont les résultats?

Pour les marcheurs/euses rapides et avec des données de 2018, nous avons calculé qu’environ 17 % de la population genevoise habitait à plus de cinq minutes à pied du premier espace vert public. Cette proportion monte à 34 % à Göteborg, à 48 % à Bristol et à 59 % à Barcelone. Pour les marcheurs/euses lent-es, les chiffres montent à 30 % à Genève, 53 % à Göteborg, 74 % à Bristol et 79 % à Barcelone. Nous avons également calculé les bassins couverts par des promenades de dix et de quinze minutes. Dans le premier cas, les différences entre les villes s’amenuisent. Dans le second, la majorité de la population peut accéder à l’espace vert le plus proche.

 

Pourquoi avoir choisi ces quatre villes?

Genève a servi de ville test. Elle nous a permis de développer le modèle et de le valider. Nous avons notamment pu vérifier que les données tirées d’Open Street Map sont fiables en les confrontant à celles du cadastre genevois (qui est accessible aux citoyens), que tous les espaces verts étaient retenus par nos analyses d’images satellites, etc. Les trois autres villes ont été choisies de manière à avoir un échantillon diversifié et sur la base de contacts que nous entretenons avec les chercheurs/euses sur place. Nos collègues ont d’ailleurs pu confirmer la pertinence de nos résultats.

 

À quoi vont servir les résultats de votre étude?

Pour l’instant, l’institut Eurostat, notre mandataire, est en train de revoir notre travail puis se prononcera sur la suite qu’il entend lui donner. De notre côté, nous sommes très satisfaits. Notre modèle est très robuste et très souple en même temps. Il est en effet conçu de telle façon qu’il est très facile d’y injecter des données d’autres sources que celles que nous avons choisies et de l’appliquer à d’autres problématiques. Nous sommes d’ailleurs en train de l’adapter pour la Suisse entière afin de mesurer l’accessibilité des forêts et des vignes à l’aide de la mobilité douce. J’espère également que les décideurs locaux prendront connaissance des résultats et seront ainsi convaincus de l’importance de développer davantage d’espaces verts en ville, en tout cas là où c’est possible, afin d’atteindre certains objectifs du développement durable. Il y a deux façons d’améliorer la situation: construire plus de parcs ou augmenter la densité urbaine.

 

 

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