Ainsi, 16 étudiant-es[1] se sont penché-es sur les différentes normes applicables aux travailleurs/euses du sexe dans 15 cantons. Présenté lors d’une conférence le 4 avril dernier, leur travail permet une meilleure compréhension des défis auxquels sont confronté-es les TDS en Suisse. «Certains cantons, comme Genève par exemple, ont édicté une loi cantonale sur la prostitution, détaillent les étudiant-es de la Law Clinic. D’autres, comme Zurich, laissent aux communes la pleine compétence pour réglementer le travail du sexe. D’autres encore, comme Argovie ou Thurgovie, ne disposent d’aucune législation sur le sujet.» La complexité et la diversité des systèmes peuvent parfois pousser les TDS à se risquer à des sanctions plutôt que de se conformer à des règles administratives complexes et dont les pratiques changent parfois drastiquement d’un canton à l’autre. Par exemple, il n’est pas évident, selon les cantons, de déterminer si l’activité d’un-e TDS exerçant dans un salon sera qualifiée de dépendante ou d’indépendante. «Il s’agit pourtant d’une question fondamentale étant donné les différences majeures découlant de ces statuts, que ce soit au niveau des assurances sociales, des conditions de travail ou encore du permis de séjour», expliquent les auteur-es de l’étude.
Stigmatisation institutionnelle
Les discussions que les étudiant-es ont menées avec les acteurs et actrices de terrain ont également mis en évidence la stigmatisation dont ils et elles font l’objet. Celle-ci s’exprime notamment par la difficulté à trouver un logement, à ouvrir un compte en banque ou à être suivi-e par un-e médecin formé-e à la question du travail du sexe. «Malheureusement, cette stigmatisation s’exprime aussi par le droit, déplorent les participant-es à la Law Clinic. Le traitement juridique particulier réservé au travail du sexe, par exemple son confinement à des zones et à des heures restreintes ou les obstacles bureaucratiques à son exercice, conduit à un phénomène d’invisibilisation qui a pour conséquence de mettre la stabilité économique, la santé physique et mentale et, parfois même, la vie des TDS en danger plutôt que de les protéger.»
La prostitution est ainsi généralement interdite dans les quartiers d’habitation et aux abords des écoles, des hôpitaux, des parcs, des toilettes publiques, etc., ce qui conduit à vider le droit à la liberté économique de sa substance. «Bien qu’il ne soit légalement pas possible d’interdire totalement le travail du sexe de rue, nos recherches ont montré que certains cantons l’ont fait, comme ceux de Neuchâtel et du Tessin, ainsi que certaines communes, comme Martigny, Sion ou Sierre, argumentent les auteur-es de l’enquête. Le fait que ces cantons et communes aillent frontalement à l’encontre de la législation fédérale reflète la stigmatisation institutionnelle à laquelle les TDS font face.»
Par ailleurs, un grand nombre de cantons prévoient une obligation d’annonce auprès des autorités. Si cet enregistrement devait en théorie conduire à une amélioration de la situation des TDS – facilitation des contrôles, responsabilisation des exploitant-es d’établissement, lutte contre le travail au noir –, dans les faits, les démarches exigées représentent des obstacles administratifs qui n’existent pas dans d’autres secteurs. «Plus les barrières à l’exercice légal de la prostitution sont élevées, moins il est probable qu’un-e TDS se soumette à ce processus, analyse l’équipe de recherche. Le TDS légal devient de facto plus difficile, en particulier pour une personne en situation précaire. Si celle-ci subit des violences, elle réfléchira à deux fois avant d’appeler la police dans le cas où elle ne s’est pas correctement déclarée.»
La question migratoire inséparable du travail du sexe
Enfin, le droit des migrations joue un rôle considérable dans l’exercice de la profession, les personnes étrangères représentant près de 90% des TDS en Suisse. Pour obtenir un permis de séjour par exemple, avoir un travail est souvent essentiel. «Dans leurs décisions, les autorités fédérales portent un jugement négatif et dévalorisant à l’égard du travail du sexe, constatent les futur-es diplômé-es. Un jugement de valeur qui se retrouve également dans l’examen des demandes de naturalisation facilitée, où la prostitution est jugée incompatible avec la conception suisse du mariage.» Cette différence de traitement est aussi visible dans d’autres domaines du droit, notamment en matière fiscale. Dans certains cantons, les TDS migrant-es ne sont par exemple pas imposé-es à la source comme les autres travailleurs/euses étrangers/ères. Elles et ils sont contraint-es de payer une taxe journalière, et ce, qu’elles/ils aient ou non fourni des prestations, les obligeant souvent à travailler tous les jours.
Un travail pas comme les autres
Les conclusions des étudiant-es de la Law Clinic montrent que si la prostitution est légale en Suisse, elle n’est pas un travail comme les autres, dans la mesure où elle est soumise à une réglementation spécifique qui impose de nombreuses restrictions. «Tant que la vision de la société sur le travail du sexe ne changera pas, les lois et le traitement juridique des TDS resteront un outil de stigmatisation», conclut l’équipe de recherche.
Les résultats produits seront utilisés par ProCoRe pour développer une application numérique, destinée aux TDS et aux centres de conseil, offrant une vue d’ensemble des différentes réglementations, pratiques administratives et lois cantonales. «Avec cet outil, nous espérons pouvoir combattre l’insécurité juridique subie par les TDS en Suisse et les renforcer dans leurs droits», explique Rebecca Angelini, directrice de ProCoRe. Dans un second temps, le travail effectué permettra à ProCoRe de réfléchir à des solutions politiques et de développer des bonnes pratiques.
Voir la conférence
[1] Alexander Berglas, Amélie Daverio, Benoît Fontanet, Carla Hunyadi, Caroline Zanette, Christophe Lecomte, Clara Pfyffer, Dimitrios Kiliaridis, Iris Pfyffer, Lauraine Fouda, Lélia Rizzi, Louise Koch, Nayla Gianni, Raquel Moura De Freitas, Rina Bajrami et Rubina Lanfranchi