Cours général 2023-2024

Faire ou défaire la honte : Arts, genre et discriminations

Penser la honte à l’aune des Etudes Genre et à l’ère de #MeToo permet de mettre en perspective un certain nombre de concepts qui traversent l’histoire des idées de l’Antiquité à l’époque contemporaine. La littérature, la philosophie, l’histoire de l’art, celle des religions, la psychanalyse ou encore la sociologie offrent des outils narratologiques, esthétiques et politiques pour analyser la mécanique de la honte. De la pudeur jugée vertueuse par Dante lorsqu’il s’agit de discuter la noblesse d’une femme ou d’un adolescent à l’humiliation publique synonyme de mort sociale, la description de la honte embrasse la sphère de l’intime aussi bien que les mécanismes sociaux de la discrimination et du rejet. Sa mise en récit dépeint la difficulté de se construire en tant que sujet ou les complexes du transfuge de classe.

 « Faire honte », « avoir honte », « être mort de honte » sont des expressions idiomatiques qui placent le sujet dans un processus qui « fait » et/ou « défait » sa place ou sa position sociale. Paradoxalement, elles ont le pouvoir d’enclencher une mise en narration de soi face au monde tout aussi bien qu’elles peuvent imposer le silence à nos velléités de rébellion.  
De quoi et de qui avons-nous honte ? Quelles sont les conditions requises pour que ce qui nous fait honte nous pousse à agir ? Véritable tourniquet émotionnel, le sentiment de honte nous situe comme humains tout en disposant du pouvoir de nier cette dignité même. Ce sentiment qui inhibe, entrave, paralyse n’épargne pas le célèbre sociologue Pierre Bourdieu qui avait paradoxalement honte de son accent – lui qui dénonçait les stratagèmes des groupes dominants pour imposer dans la société leur manière de parler.

Dans son essai La Honte est un sentiment révolutionnaire, Frédéric Gros explique que celle-ci soulève les passions et nous pousse à prendre position : « La honte est l’affect majeur de notre temps. On ne crie plus à l’injustice, à l’arbitraire, à l’inégalité. On hurle à la honte ». La honte nous déguise, provoque un jeu de masques et une multitude de représentations fortement théâtrales. Elle nous expose à notre propre intimité et au regard de l’autre ou à son absence de regard comme le suggère Freud dans L’Interprétation des rêves.

Les luttes sociales pour la reconnaissance des droits des communautés stigmatisées passent souvent par des stratégies de retournement de stigmates (marches des fiertés ou des salopes) qui s’avèrent de puissants moyens de défaire la honte et des vecteurs d’une remise en question politique et culturelle des stéréotypes classicistes, sexistes et racistes.

Le cours en Etudes Genre s’attachera à montrer comment la honte est un moteur et un motif de discrimination et de réparation dans la littérature, les arts et la théorie. Les écrits de Didier Eribon (Retour à Reims), Annie Ernaux (La honte) ou Gayatri Spivak (Les subalternes peuvent-elles parler ?) Radclyffe Hall (Le puit de solitude) ne le disent que trop : l’excès de paroles ou le puit du silence supposent un rapport au pouvoir et une certaine violence. La honte des origines, la honte sexuelle dans les familles, la honte de son corps ou de sa sexualité n’échappent pas aux codes du genre. Elle dialogue puissamment avec les concepts d’assurance et de fierté.
 
La première séance du cours aura lieu le 29 septembre