• Événements

25 ans d’études humanitaires à Genève

Le Centre d’études humanitaires (CEH) fête cette année ses 25 ans. Karl Blanchet, son directeur depuis 2020, évoque les évolutions de l’humanitaire et l’apport académique sur le terrain.

Numéro 45 - Octobre 2023

gaza.jpg

© Istock. Rue de Gaza

Le CEH – CERAH à l’époque — a été créée en 1998. Le monde humanitaire a-t-il changé depuis lors?

L’évolution des conflits a profondément modifié la réponse humanitaire. A l’exception notable de la guerre en Ukraine, tous les conflits récents sont des guerres civiles opposant des armées gouvernementales à un ou plusieurs groupes armés. Cependant, ces conflits internes cachent souvent des guerres hybrides — comme au Yemen ou en Syrie — où des Etats s’affrontent de manière indirecte sur un territoire qui n’est pas le leur.

De plus, aujourd’hui, les conflits de grande amplitude se déroulent dans des pays à revenus plus élevés que dans les années 90. Or, les besoins des populations ne sont pas les mêmes, en particulier dans le domaine de la santé. Il y a 25 ans, la prise en charge des maladies chroniques des populations affectées par les conflits n’était pas un sujet. Aujourd’hui, si.

Dernière évolution: l’échelle et l’intensité des crises humanitaires, dues aux conflits ou aux catastrophes naturelles, auxquelles le système humanitaire ne parvient plus à répondre. Et pourtant, les ressources financières et techniques ont beaucoup augmenté durant la dernière décennie. Il faut réinventer un nouveau système humanitaire plus inclusif, qui intègre les acteurs nationaux, en première ligne dans les crises.

De quoi l’avenir de l’humanitaire sera-t-il fait, selon vous?

Est-ce la fin de l’humanitaire sans frontière? Rony Brauman, ancien président de MSF et l’invité de notre conférence grand public le 9 octobre prochain, se posait déjà la question en 2009. Mais prédire l’avenir dans un contexte si imprévisible est tout simplement impossible. De plus, on observe une escalade inquiétante des attaques contre le personnel humanitaire. Est-ce un signe que celui-ci, autrefois protégé et respecté, est perçu comme un instrument politique aux mains des gouvernements occidentaux? Et, en Europe comme ailleurs, les nationalismes deviennent de plus en plus puissants. «Migrant» et «réfugié» sont devenus des insultes. Porter secours dans nos montagnes ou sur les mers devient un crime. On bâtit des murs pour séparer les communautés et les frontières deviennent de plus en plus concrètes et métalliques.

Et le système humanitaire dans tout ça? Il ne bouge pas. Trop souvent, il se substitue aux institutions locales qui se trouvent écartées des prises de décision majeures, freinant ainsi une normalisation pourtant indispensable. Et pourtant, en 2016, lors du Sommet mondial de l’Humanitaire à Istanbul, les grandes agences humanitaires s’étaient formellement engagées à donner un rôle majeur aux acteurs locaux. Mais en 2023, rien n’a changé.

L’humanitaire a besoin de réformes systémiques. Un transfert de pouvoir vers les pays concernés doit émerger. C’est le seul moyen pour que les compétences et les ressources fassent une réelle différences pour les populations et contribuent à reconstruire une stabilité politique et économique, préalable indispensable à la paix. Ce n’est donc pas la fin de l’humanitaire mais c’est la nécessité de repenser rapidement un humanitaire plus décentralisé et multipolaire qui pourra agir malgré les frontières.

Le cœur de l’activité du CEH est la recherche et la formation académique sur l’action humanitaire. En quoi est-ce nécessaire?

En 2017, nous avons publié dans le Lancet une revue systématique sur l’efficacité de toutes les interventions sanitaires dans les crises humanitaires. Or, certains domaines ont été sous-investis: maladies non-transmissibles et violences sexuelles notamment. La communauté scientifique se concentre aujourd’hui sur ces domaines mais aussi beaucoup d’autres tels que l’impact des attaques sur les hôpitaux et le personnel soignant, les innovations digitales ou encore l’analyse des données en temps réel. Il est indéniable que la qualité et le volume des études scientifiques ont bien augmenté au cours des cinq dernières années. Cette communauté s’est aussi enrichie d’un grand nombre de centres de recherche issus des pays affectés par les crises humanitaires permettant des collaborations nombreuses et enrichissantes.

Quelle est la valeur ajoutée de votre travail pour les acteurs humanitaires?

Notre centre est véritablement au croisement de la science et de la pratique. Notre recherche a du sens uniquement si nos résultats peuvent aider les professionnel-les et influencer les politiques internationales. Cette transformation de la science à la pratique puis au politique se produit à travers plusieurs activités: des évènements publics, des ateliers avec des professionnel-les et des diplomates ou encore avec tous les cours que nous organisons. De plus, la relation privilégiée du CEH avec le CICR et MSF est unique et nous permet de toujours rester à l’écoute des besoins des professionnel-les.

Vos projets pour les années à venir?

Notre ambition est d’attirer des chercheurs/euses de qualité pour répondre aux besoins les plus importants. La bonne nouvelle est que les organisations humanitaires comme le CICR et MSF deviennent de plus en plus sensibles à la nécessité d’utiliser la science dans leurs décisions et leurs programmes. Par exemple, l’UNICEF a mandaté le CEH pour conduire des études appliquées sur les soins de santé primaires en Afghanistan. Nous allons aussi travailler en Ethiopie sur les maladies non transmissibles et au Nigeria et en Ethiopie sur la mobilisation communautaire lors des campagnes de vaccination. J’espère que cette dernière étude apportera des innovations qui pourront être très utiles en Suisse.

Pour la formation, nous avons mis sur pied des bourses à l’attention des professionnel-les de terrain travaillant pour des ONG nationales ou des services publics. Chaque année, nous formons environ 250 personnes, dont une grande majorité sont des femmes, basées dans des pays affectés par une crise. Et nous aimerions encore augmenter ce programme, notamment avec le soutien de bailleurs internationaux.

© CEH/UNIGE
Karl Blanchet
Directeur du CEH et professeur ordinaire à la Faculté de médecine

Dans le même numéro

S'abonner à la newsletter

S'abonner