Un enfant atteint d’une maladie génétique rare traité avec du zinc
L’administration d’ions de zinc à un patient souffrant d’un trouble neurodéveloppemental sévère a permis de restaurer la fonction d’une protéine défectueuse et d’améliorer la qualité de vie de l’enfant de manière significative.
Un enfant de 3 ans atteint d’une encéphalopathie pédiatrique rare de cause génétique a été traité grâce à l’administration orale d’une simple molécule de zinc, couramment utilisée dans d’autres contextes. Cette première médicale, rapportée le 16 août dans un article de la revue Med, est le fait d’une équipe de scientifiques dirigée par Vladimir Katanaev, dont les travaux portent précisément sur cette thérapie encore expérimentale. Au bout de onze mois de traitement, le jeune patient, souffrant d’une forme particulièrement grave de la maladie caractérisée par un retard du développement intellectuel et moteur, des mouvements incontrôlables et une épilepsie parfois accompagnée de lésions et d’atrophies cérébrales, a vu sa condition s’améliorer significativement. Le tout, sans effet secondaire.
«L’enfant dont il est question dans notre étude faisait des crises hyperkinétiques très sévères liées à la maladie, qui le menaient aux urgences médicales 1 fois par semaine, explique Vladimir Katanaev. L’hyperkinésie se traduit par des mouvements désorganisés et incontrôlés qui peuvent causer des dommages à des organes et même briser des os. C’est très dangereux, voire mortel. Dès qu’on a commencé l’administration de zinc, l’état de notre patient s’est amélioré.»
En moins d’une année, la fréquence des crises hyperkinétiques a été divisée par 15 (passant d’environ 2 fois par jour à 1 fois par semaine) et celles d’épilepsie – moins nombreuses et moins dévastatrices mais qui s’ajoutent néanmoins aux premières – par 2,5. En même temps, ses capacités motrices générales se sont fortement améliorées. Le résultat le plus poignant – et subjectif – est peut-être le fait que ses parents ont pu renouer le contact émotionnel avec leur enfant, qui leur a enfin souri et passe de meilleures nuits. En bref, le petit et sa famille ont remarquablement gagné en qualité de vie.
La maladie neurodéveloppementale dont souffre l’enfant de cette étude est causée par une mutation sur le gène GNAO1. Celui-ci code pour une protéine, Gao, qui est l’un des composants essentiels de la construction des neurones. Cette molécule suit normalement un cycle d’activation et de désactivation successives, nécessaire au fonctionnement cellulaire. Elle est notamment responsable de la transmission des signaux de l’extérieur vers l’intérieur des cellules nerveuses.
Activation permanente
La mutation du gène GNAO1 a comme conséquence d’altérer la protéine Gao en remplaçant un seul acide aminé par un autre. Dans des travaux antérieurs, l’équipe genevoise a montré qu’à cause de ce simple défaut, les protéines Gao se retrouvent piégées dans un état d’activation permanent, sans possibilité de se désactiver, ce qui les empêche de remplir leur tâche et provoque les troubles neurologiques.
La mutation en question est hétérozygote dominante, ce qui signifie que l’une des deux copies du gène est altérée tandis que l’autre reste fonctionnelle. Mais cet allèle de secours ne suffit pas car même si les neurones disposent d’une moitié de protéines normales, les effets neurodéveloppementaux sont déjà dévastateurs.
«Il s’agit par ailleurs d’une mutation de novo, ou spontanée, précise Vladimir Katanaev. Cela signifie qu’elle apparaît par hasard chez un enfant alors qu’elle n’était pas présente chez les parents. Cela en fait une maladie très rare. Mais cela rend également impossible de prédire quel bébé sera touché.»
Dans un article paru le 7 octobre 2022 dans Science Advances, les scientifiques genevois expliquent comment, dans un premier temps, ils ont cherché à identifier un remède pour soigner les symptômes de la maladie. Pour ce faire, ils ont développé un système de criblage à haut débit de milliers de médicaments déjà approuvés, dans l’idée d’identifier une molécule capable de restaurer le cycle d’activation et de désactivation de la protéine Gao.
C’est ainsi que l’équipe est tombée sur la pyrithione de zinc, un vieux médicament antifongique et antibactérien utilisé sous forme de crème dans certaines maladies de peau. Des études en laboratoire ont rapidement confirmé qu’elle corrige la perte d’interactions intracellulaires. En poussant l’analyse un peu plus loin, Vladimir Katanaev et ses collègues ont toutefois remarqué que c’est l’ion de zinc, tout seul, qui est efficace. Coup de chance: cet élément se trouve très facilement en pharmacie. Il est déjà approuvé dans le traitement de la dépression légère, de l’insomnie, et même, dans certains cas, des troubles développementaux chez les enfants. La même publication rapporte des tests menés sur une mouche drosophile génétiquement modifiée de façon à imiter la maladie étudiée. Ceux-ci ont montré que l’adjonction de zinc au régime alimentaire des insectes, dès le stade larvaire et tout au long de leur vie, engendrait une quasi complète disparition des symptômes.
Plus de 150 mutations
«L’enfant de notre étude est porteur d’une mutation précise sur le gène GNAO1, souligne Vladimir Katanaev. Plus de 150 autres mutations ont été décrites dans la littérature scientifique. Dans chaque cas, la manifestation clinique de l’altération génétique peut être différente, avec des cas plus ou moins sévères. Nous avons donc commencé par classer ces mutations en fonction de leur réponse au traitement avec le zinc.»
Des travaux en laboratoire ont permis de les diviser en trois groupes. Le premier rassemble les mutations qui, a priori, ne répondent pas au zinc. Les deux autres réunissent celles qui y répondent, mais selon deux mécanismes moléculaires différents.
Depuis juillet, l’équipe de Vladimir Katanaev participe à une étude clinique de phase 1 qui suit, à l’Hôpital universitaire de Cologne, en Allemagne, une douzaine de patients, âgés de 6 mois à 10 ans, auxquels est administré le traitement au zinc. Si le remède est sûr, les scientifiques pourront passer aux phases suivantes. L’idée est d’identifier les différentes réponses, cliniques cette fois, que le traitement peut avoir sur ces individus selon le type de mutation dont ils sont porteurs.
«L’objectif consiste à arrêter la progression de la maladie, espère Vladimir Katanaev. Je ne pense pas que l’on puisse guérir de tels troubles neurologiques dont les dégâts dans le cerveau commencent avant la naissance et s’accumulent avec le temps. Mais peut-être que l’on arrivera à donner une chance à ces enfants de rattraper une partie de leur retard neurodéveloppemental.»
Image: structure du gène GNAO1 avec la localisation des trois mutations les plus fréquentes.
Larasati et al., Sci. Adv. 8, eabn9350 (2022) 21 October 2022