Journal n°109

Un manioc OGM pour lutter contre la carence en vitamine B6

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Une équipe genevoise a participé au développement et à la production en plein champ d’une variété de manioc transgénique enrichie en vitamine B6. La méthode utilisée n’a pas été brevetée

Une variété de manioc transgénique (Manihot esculenta) enrichie à la vitamine B6 a été cultivée avec succès en plein champ expérimental. Cette réalisation, fruit d’une collaboration internationale à laquelle a participé l’équipe de Teresa Fitzpatrick, professeure au Département de botanique et de physiologie végétale (Faculté des sciences), a été publiée le 8 octobre dans la revue Nature Biotechnology. Selon les auteurs, cette nouvelle plante génétiquement manipulée pourrait être intéressante pour certaines populations africaines, grandes consommatrices de manioc et présentant des carences endémiques en vitamine B6.

Cette dernière est un composé essentiel pour l’être humain dans la mesure où elle intervient dans plusieurs réactions du métabolisme d’acides aminés, d’hydrates de carbone ainsi que dans la synthèse de plusieurs neurotransmetteurs. Une carence permanente de cette substance provoque des maladies ou des dysfonctionnements neurologiques graves ainsi que des problèmes circulatoires et dermatologiques.

Le corps humain est incapable de produire lui-même la vitamine B6 et doit donc s’en procurer via l’alimentation. Les sources sont abondantes, les plus riches étant la volaille (dinde, poulet), les foies (bœuf, agneau, veau), les bananes, les pommes de terre, les pois chiches, les pistaches...

«Malheureusement, dans les pays en voie de développement, certaines populations dépendent d’une seule culture, explique Teresa Fitzpatrick. Elles ne sont pas toujours en mesure de diversifier et d’équilibrer leur alimentation avec des apports réguliers de viandes ou de légumes.»

C’est le cas en Afrique où le manioc représente l’aliment de base pour près de 250 millions de personnes et où de nombreuses régions présentent des carences en vitamine B6. La racine et les feuilles de cette plante contiennent bien de la précieuse molécule, mais leurs teneurs naturelles sont entre 2 et 3 fois trop faibles pour assurer l’apport journalier recommandé.

«Il existe bien des suppléments contenant de la vitamine de synthèse, mais ils ne fournissent pas toujours la substance sous la bonne forme et avec la meilleure biodisponibilité (c’est-à-dire sa propension à être utilisée par l’organisme), poursuit la chercheuse. De plus, la distribution de tels compléments se heurte à des problèmes logistiques importants puisque les populations souffrant de carences vivent souvent dans des régions reculées. Cette solution n’est donc ni bon marché ni durable.»

L’équipe de Teresa Fitzpatrick contribue depuis plusieurs années à la sélection d’une variété «naturelle» de manioc enrichie à la vitamine B6. Sans succès, à ce jour. D’où le recours aux organismes génétiquement modifiés (OGM) qui se révèle la seule stratégie efficace et durable.

En collaboration avec des chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et des Universités de Shanghai et d’Utrecht, les biologistes genevois ont produit des lignées transgéniques dans lesquelles ils ont introduit quelques exemplaires supplémentaires des gènes nécessaires à la synthèse de la vitamine B6.

Les chercheurs ont alors sélectionné les plantes transgéniques produisant davantage de vitamines pour les étudier en laboratoire, puis en plein champ à Shanghai. Résultat: les transgènes n’affectent pas l’expression des autres gènes de la plante, et la nouvelle propriété est stable durant au moins deux cycles de vie.

Les tubercules et les feuilles ont ensuite été bouillis durant trente minutes afin d’en ôter les substances toxiques et les rendre comestibles. Ce traitement a diminué de moitié la teneur totale en vitamine B6, mais celle-ci reste encore entre 8 et 19 fois plus élevée dans le manioc OGM que dans la variété sauvage. Mieux, la biodisponibilité de la précieuse substance est également entre 4 et 8 fois supérieure.

«Un adulte consommant près de 50 g de feuilles ou 500 g de tubercules OGM par jour obtiendrait la quantité nécessaire de vitamine B6 recommandée», note Teresa Fitzpatrick.

La méthode ayant permis de produire le manioc OGM enrichi à la vitamine B6 n’a pas été brevetée.