Journal n°118

Le droit de la famille bouleversé

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Les changements sociaux ont transformé le droit des familles. L’entrée en vigueur du droit de l’entretien de l’enfant en 2017 devrait permettre de résoudre certaines inégalités. Point sur la situation législative

L’an dernier, près de 17  000 couples divorçaient en Suisse. Bien que l’autorité parentale conjointe soit devenue automatique depuis 2014, le mode de prise en charge de l’enfant reste au libre choix des parents, si bien que, dans les faits, seuls 5% des parents séparés choisissent aujourd’hui de mettre en place un système de garde partagée. Pour mieux appréhender les nouvelles formes de parentalité et l’évolution des pratiques légales en la matière, un colloque international est coorganisé par le Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’UNIGE et l’Institut international des droits de l’enfant (IDE) les 19 et 20 mai à Sierre.

Promouvoir l’égalité

Le nombre élevé de séparations ces quarante dernières années a conduit les familles à se réorganiser différemment. Pour accompagner ces changements qui affectent de nombreux enfants, différentes pratiques sociales et légales ont été mises en place. «Aujourd’hui, les mouvements autour de la question de la parentalité cherchent à promouvoir la coparentalité et à mieux répartir les tâches d’éducation et de prise en charge des enfants entre les deux parents après une séparation», explique Michelle Cottier, professeure au Département de droit civil (Faculté de droit), spécialiste du droit de la famille et membre du comité d’organisation du colloque. Beaucoup de voix s’élèvent dans le débat, avec des priorités différentes.»

Le débat politique sur la question de la parentalité est en effet partagé entre deux camps: celui qui prône la généralisation de la résidence alternée et celui qui met l’accent sur une prise en compte des réalités de la répartition – en règle générale inégales – des tâches au sein des couples. «En Suisse, le choix du mode de la garde alternée comme système d’organisation, même pour les parents qui la souhaitent, est fortement limité par les conditions-cadres, telles que le manque de structures d’accueil ou de soutiens financiers aux familles, constate Michelle Cottier. La même situation prévaut en Australie, où le shared parenting a été choisi comme modèle. Dans les faits, seule une très petite minorité l’a intégré, en raison d’un contexte économique défavorable. Alors qu’en Suède, pays qui s’est doté d’un système de soutien aux familles beaucoup plus développé, la garde alternée est plus répandue. Quant à l’exemple belge, où l’on impose la résidence alternée même contre la volonté d’un parent, la complexité des situations oblige à un retour en arrière.»

Pensions alimentaires

Parmi les thèmes qui font débat figure la pension alimentaire. La révision du droit de l’entretien de l’enfant entrera en vigueur en janvier 2017. Celle-ci améliorera la situation financière des familles monoparentales, en éliminant les inégalités de traitement entre parents mariés et non mariés: les contributions d’entretien pour les enfants seront augmentées, incluant un montant pour leur prise en charge. «L’idée est d’assurer un entretien de base pour la personne qui s’occupe de l’enfant. Toutefois, cette amélioration se trouve, dans une certaine mesure, en tension avec l’objectif de favoriser l’engagement des deux parents dans la prise en charge des enfants», constate Michelle Cottier. Les réformes menées en Suisse prônent un modèle libéral, où les familles peuvent s’organiser comme elles le souhaitent. «Si les changements législatifs peuvent parfois contribuer à transformer les normes sociales, ce sont surtout les conditions-cadres qui sont décisives. La plus grande difficulté pour faire évoluer les choses reste liée au gel des dépenses publiques. On l’a encore constaté dernièrement avec le refus du congé paternité par le Parlement», regrette Michelle Cottier.

«Avocat de l’enfant»

Selon la professeure, les réformes qui restent à mener devront viser à donner plus de soutien aux parents en situation de conflit avec, par exemple, un système de médiation gratuit. «Il est en effet plus avantageux de porter l’effort sur le processus d’organisation de la famille après la séparation que d’imposer un modèle par décision d’un juge. Mais attention, des études ont montré qu’à trop se concentrer sur les parents, les droits de l’enfant peuvent être oubliés, relève la professeure. Les témoignages d’enfants sur le sujet sont édifiants» (lire encadré). C’est pourquoi, dans la formation qu’elle dispense, la Faculté de droit met notamment l’accent sur les droits de l’enfant, renforcé par l’intégration du Centre interfacultaire en droits de l’enfant. «Il existe déjà des dispositions concernant un «avocat de l’enfant» dans les procédures de divorce. Toutefois, les juges doivent être convaincus de son utilité pour prendre le risque de rajouter un acteur de plus dans les discussions», observe Michelle Cottier.

Familles recomposées

Sur un autre plan, le débat s’agite aussi autour du rôle du nouveau parent social dans les familles recomposées. La relation créée devra être mieux protégée, par exemple en donnant à un tiers des droits ressemblant à l’autorité parentale. «Le rapport du Conseil fédéral au sujet de la modernisation du droit de la famille contient des éléments sur les familles recomposées, avec des propositions pour les beaux-parents», rajoute Michelle Cottier. Le Parlement vient de voter, quant à lui, une loi sur l’adoption homoparentale. «La version finale doit encore être entérinée, mais celle-ci ne rencontre aujourd’hui que peu d’oppositions. Cela va permettre aux parents dont la réalité sociale est déjà la coparentalité de légaliser le statut du parent non biologique», se réjouit la spécialiste du droit de la famille.

| 19 ‒ 20 mai |

Les nouvelles formes de parentalité: le temps du partage… et l’enfant?

HES-SO/Valais, Sierre

http://unige.ch/cide


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