Journal n°118

Joseph-François Lafitau, un jésuite au pays des Iroquois

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En cherchant à comprendre les populations natives du Canada pour mieux les convertir, Joseph-François Lafitau a, malgré lui, participé à l’émergence de l’ethnographie moderne. Un colloque lui est consacré

Un père jésuite du nom de Joseph-François Lafitau, contemporain de Voltaire, désirait, en bon jésuite, convertir ses semblables et prouver l’universalité de la Bible. Au lieu de cela, il a eu malgré lui une influence considérable sur les sciences humaines, ce qui lui vaut d’être encore étudié aujourd’hui. Un colloque lui est consacré début juin.

Tout commence au début du XVIIIe siècle: Joseph-François Lafitau passe plus de cinq ans en Nouvelle-France à étudier les Iroquois et les Hurons du Canada. Son séjour lui permet de devenir intimement familier avec leur langue, leurs pratiques et leurs religions. Cette méthode d’immersion n’était ni inhabituelle pour les jésuites ni anodine: en comprenant mieux leur «cible», il leur était plus facile de les convertir. En plus du prosélytisme, Lafitau avait un autre projet, celui de prouver que les «sauvages» natifs d’Amérique étaient liés au reste de l’humanité et descendaient bien d’Adam et Eve.

Pour ce faire, il publie en 1724 un ouvrage monumental: Mœurs des sauvages ameriquains comparées aux mœurs des premiers temps.

Une mine de savoir

Dans ce livre de 1100 pages en deux volumes, il compare minutieusement ses observations sur les mœurs des tribus natives avec la bibliographie disponible sur l’Antiquité. L’exercice lui permet de découvrir une multitude de similitudes, démontrant alors selon lui la validité de son hypothèse.

En dépit du biais religieux, la description des coutumes des peuples amérindiens et la comparaison anthropologique avec les «anciens» placent Lafitau parmi les précurseurs de l’ethnographie et de l’anthropologie. De plus, comme le souligne le professeur Frédéric Tinguely (Département de langue et de littérature françaises modernes, Lettres), «cet ouvrage a contribué à valoriser les “sauvages” tout en désacralisant les Anciens, transformant ainsi les uns et les autres en objets d’étude anthropologique à part entière». La riche iconographie que contient l’ouvrage et la masse d’informations sur les cultes sont par ailleurs appréciés des historiens de l’art et des religions, tandis que la rhétorique de la comparaison, omniprésente, intéresse de près les littéraires.

De tous les horizons

Malgré l’importance du travail de Lafitau, aucun grand colloque ne lui avait jusqu’ici été consacré: ce sera chose faite dès le 1er juin avec un événement qui se compose d’une journée d’études et de formation doctorale, animée par Andreas Motsch (Université de Toronto) et Frédéric Tinguely, suivie de deux jours de conférences au Musée d’ethnographie de Genève et d’une table ronde sur le sujet «Sauvages d’Amérique: images et imaginaires du XVIIIe à nos jours».

La manifestation réunira ainsi à Genève des spécialistes internationaux de Lafitau, venus de toutes les disciplines qu’il a influencées.

| Du 1er au 3 juin |

La plume et le calumet: Joseph-François Lafitau et les «sauvages amériquains»

http://unige.ch/-/lafitau