Journal n°120

Un style qui débride les normes du roman

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En 1957, Michel Butor publie aux Editions de Minuit ce qui restera son œuvre la plus connue, «La Modification». Verbatim

«Voici la pleine ville, le port à votre droite avec des bateaux tous hublots allumés, le fameux phare, les quais, d’autres trains, tous les voyageurs qui attendent avec leurs bagages, les hauts immeubles au-dessus s’échafaudant sur le roc, l’arrêt, Agnès qui se lève pour baisser la vitre. Quant à vous, dans l’immobilité soudain totale, vous retournez entre vos doigts ce livre que vous n’avez pas lu, mais par la présence duquel commence à s’imposer si fortement à vous un autre livre que vous imaginez, ce livre dont vous désireriez tant qu’il fût pour vous, dans les circonstances présentes, ce guide bleu des égarés à la quête duquel court, nage, et se faufile ce personnage embryonnaire qui se débat dans un sous-paysage encore mal formé, reste silencieux devant le douanier Janus dont le double visage est surmonté d’une couronne de corbeaux, chacune de leurs plumes noires bordée d’un liseré de flammes qui s’élargit de telle sorte que toutes leurs ailes bientôt sont en flammes, puis tout leur corps, puis leur bec et leurs pattes semblables à du métal chauffé à blanc, seuls leurs yeux demeurant comme des perles noires froides au milieu de cet embrasement, qui entend un sifflement, s’efforce de voir, mais il n’y a plus qu’un nuage épais qui se répand, et dans le lointain, à travers cette grande arche qui se distingue encore, une certaine argenture comme un reflet d’aube, au milieu de cette épaisse vapeur commençant à se dissiper, aperçoit la queue et les jambes, croit apercevoir les oreilles d’un renard ou d’un loup, d’une louve,»

Michel Butor, un extraordinaire découvreur de formes
Un écrivain dans l’auditoire